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15/10/2020 | FRANCE | N°19NC01428

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 15 octobre 2020, 19NC01428


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contribution sur les hauts revenus qui lui ont été assignés au titre de l'année 2012 à raison de l'imposition d'une plus-value de cession de valeurs mobilières.

Par un jugement n° 1700187 du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge de la pénalité pour manquement délibéré ayant assorti les impositions litigieuses, a

mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contribution sur les hauts revenus qui lui ont été assignés au titre de l'année 2012 à raison de l'imposition d'une plus-value de cession de valeurs mobilières.

Par un jugement n° 1700187 du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge de la pénalité pour manquement délibéré ayant assorti les impositions litigieuses, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du 8 janvier 2019 ;

2°) à titre principal, de rétablir à la charge de M. C... les pénalités dont le tribunal administratif a prononcé la décharge à hauteur de la somme de 252 274 euros ;

3°) subsidiairement, de substituer à la pénalité pour manquement délibéré celle de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts en cas d'inexactitude ou omission dans une déclaration déposée pour l'établissement de l'impôt et de réformer le jugement en ce sens.

Il soutient que :

- en pratiquant l'abattement de 100 % prévu par l'article 150-0 D bis du code général des impôts sur les plus-values de cessions d'actions de petites et moyennes entreprises alors qu'il n'en remplissait pas les conditions selon l'interprétation dépourvue d'ambiguïté du texte retenue par l'administration relativement à la notion de participation indirecte et qu'il en avait été avisé à deux reprises par le service, sans qu'il n'ait contesté ces prises de position, M. C... a délibérément cherché à éluder l'impôt dû sur la cession des droits sociaux qu'il détenait dans le capital de la société Gem Elektromontagen Graber Gmbh ; en conséquence c'est à tort que le jugement attaqué a prononcé la décharge de la pénalité pour manquement délibéré qui avait été appliquée aux impositions supplémentaires assignées à l'intéressé ;

- subsidiairement, dans le cas où la cour ne rétablirait pas la pénalité pour manquement délibéré, il conviendrait d'y substituer celle de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts, les conditions d'une telle substitution étant en l'espèce réunies.

M. C... n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a cédé, le 6 mars 2012, l'intégralité des droits sociaux qu'il détenait dans le capital de la société de droit allemand GEM Elektromontagen Graber GmbH, dont il était le dirigeant. Il a réalisé, en conséquence de cette cession, une plus-value d'un montant de 2 627 857 euros qu'il a placée sous le régime de l'abattement de 100 % prévu à l'article 150-0 D ter du code général des impôts. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration, suivant la procédure contradictoire de rectification, a remis en cause le bénéfice de cet abattement au double motif que M. C... ne remplissait pas la condition d'avoir détenu, directement ou par personne interposée, pendant cinq ans, au moins 25 % des droits dans la société dont les titres avaient été cédés et qu'il n'avait pas fait valoir ses droits à la retraite dans les vingt-quatre mois précédant ou suivant la cession. M. C... a été assujetti en conséquence à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2012, assortie de la majoration pour manquement délibéré et des intérêts de retard, s'élevant à la somme totale de 943 506 euros. Sa réclamation préalable ayant été rejetée le 15 novembre 2016, l'intéressé a saisi du litige le tribunal administratif de Strasbourg. Par le jugement ci-dessus visé du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge de la pénalité pour manquement délibéré, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Par la requête ci-dessus visée, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a prononcé la décharge de la majoration pour manquement délibéré et a mis à la charge de l'Etat une somme au titre des frais du litige.

Sur la pénalité pour manquement délibéré :

2. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration. ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et son intention délibérée d'éluder l'impôt.

3. L'article 150-0 A du code général des impôts soumet à l'impôt sur le revenu les plus-values de cession de droits sociaux et valeur mobilières réalisées par les particuliers. Le I de l'article 150-0 D bis du même code, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, a institué un abattement sur les gains nets retirés de la cession de tels droits sociaux et valeurs mobilières égal à un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième. L'article 150-0 D ter du même code a maintenu le bénéfice de cet abattement au titre de l'année d'imposition 2012, en cause dans le présent litige, à condition, notamment, d'une part, que le cédant ait " détenu directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire de son conjoint ou de leurs ascendants ou descendants ou de leurs frères et soeurs, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession, au moins 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés ", d'autre part, ait cessé toute fonction dans la société dont les titres ou droits sont cédés et fait valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession.

4. S'agissant de la cession des actions de la société Gem Elektromontagen Gmbh que M. C... a effectuée le 6 mars 2012, l'administration, afin de remettre en cause le bénéfice de l'abattement que l'intéressé a pratiqué lors de la déclaration de la plus-value réalisée, s'est fondé d'une part, sur ce qu'il n'avait pas fait valoir ses droits à la retraite dans le délai de deux ans suivant ou précédant la cession, d'autre part sur ce qu'il ne satisfaisait pas la condition de détention de 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices de la société dont il avait cédé les titres. En revanche, afin de justifier l'application de la pénalité pour manquement délibéré ayant assorti les impositions supplémentaires assignées à l'intéressé, l'administration s'est exclusivement fondée, que ce soit dans le cadre de la procédure de rectification ou dans celui de la procédure contentieuse, sur la circonstance alléguée que M. C... avait été avisé à deux reprises, avant même le dépôt de sa déclaration de revenus, que l'interprétation qu'il retenait des dispositions de l'article 150-0 D ter, relatives à la condition de détention, n'était pas conforme à l'interprétation du texte qu'elle avait donnée dans ses instructions régulièrement publiées.

5. Il résulte en effet de l'instruction que M. C..., dès sa première demande de prise de position adressée à l'administration fiscale, a, sans dissimuler aucun des éléments de fait de l'opération, toujours entendu interpréter les dispositions ci-dessus reproduites du b) du 2° du I de l'article 150-0 D ter relatives à la condition de détention par personne interposée, en ce sens qu'il convenait d'ajouter aux 20 % du capital de la société dont les actions ont fait l'objet de la cession litigieuse qu'il détenait directement, la part de ce même capital qu'il détenait au travers des 32,06 % du capital de la société Saar Ingnenieurbau Gmbh laquelle détenait 70 % du capital de la société Gem Elektromontagen Gmbh, lui permettant ainsi de totaliser 52,06 % des droits de vote au sein de cette dernière société. Ayant réitéré à plusieurs reprises cette interprétation M. C... l'a appliquée lors du dépôt de sa déclaration de revenus, dans laquelle il a correctement déclaré le gain qu'il avait retiré de la cession litigieuse, en pratiquant l'abattement qu'il revendiquait. Dans les circonstances de l'espèce, en admettant même le bien-fondé de l'interprétation administrative de la loi fiscale, selon laquelle ne peuvent être considérées pour l'application de ces dispositions comme personnes interposées que les seuls groupements et sociétés de personnes ayant une activité civile relevant du régime de transparence fiscale de l'article 8 du code général des impôts, excluant les sociétés commerciales et de capitaux, et en dépit de ce que le service avait pris position en ce sens auprès de l'intéressé les 24 septembre et 19 décembre 2012, le comportement de M. C..., au regard de cette condition du régime de faveur, ne saurait s'analyser comme une volonté de sa part d'éluder l'impôt, mais relève d'une controverse juridique concernant l'interprétation du texte fiscal dans laquelle celle défendue par l'administration fiscale ne ressort pas directement des termes de la loi et n'a pas été établie par la jurisprudence. Dès lors, par le motif invoqué, l'administration fiscale ne rapporte pas la preuve de l'intention délibérée de M. C... d'éluder l'impôt dû à raison des gains nets réalisés à l'occasion de la cession des actions de la société Gem Elektromontagen Gmbh.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir à titre principal que c'est à tort que, par le jugement du 8 janvier 2019 le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge de la pénalité pour manquement délibéré infligée à M. C.... Par suite, les conclusions de la requête tendant, à titre principal, à l'annulation des articles 1er et 2 du jugement attaqué et à ce qu'il soit remis à la charge de M. C... la pénalité litigieuse, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'application de la pénalité de l'article 1758 A du code général des impôts par voie de substitution de base légale :

7. Le ministre de l'économie des finances et de la relance demande à titre subsidiaire au juge de l'impôt de procéder à la substitution de la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts à la majoration de 40 % de l'article 1729 du même code.

8. Aux termes de l'article 1758 A du code général des impôts dans sa rédaction applicable au présent litige : "I. - Le retard ou le défaut de souscription des déclarations qui doivent être déposées en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu ainsi que les inexactitudes ou les omissions relevées dans ces déclarations, qui ont pour effet de minorer l'impôt dû par le contribuable ou de majorer une créance à son profit, donnent lieu au versement d'une majoration égale à 10 % des droits supplémentaires ou de la créance indue ".

9. Si l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, c'est à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'administration a motivé la pénalité pour manquement délibéré sur la circonstance que M. C... ne satisfaisait pas à la condition relative à la durée de détention des titres cédés.

10. Il ressort des débats parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi de finances rectificative pour l'année 2005, ayant institué pour la première fois l'abattement en faveur des dirigeants de petites et moyennes entreprises européennes à l'occasion de leur départ à la retraite, que doivent être considérées comme personnes interposées, pour l'appréciation du seuil de détention, les sociétés ou groupements exerçant une activité civile soumis au régime d'imposition des sociétés de personnes visées à l'article 8 du code général des impôts. Il résulte à cet égard de l'instruction qu'antérieurement au 18 décembre 2007, M. C... ne détenait que 20 % des actions de la société Gem Elektromantagen Gmbh. A compter de cette date sa participation a été portée à 64 % du capital de cette société. Toutefois, compte tenu de ce que la vente litigieuse n'est intervenue que le 6 mars 2012, M. C... n'a détenu plus de 25 % des droits sociaux que durant cinquante mois et dix-sept jours au lieu des cinq années exigées par les dispositions de l'article 150-0 D ter du code général des impôts pour pouvoir bénéficier de l'abattement. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que la déclaration déposée par M. C..., faisant état de l'application de l'abattement litigieux au gain net réalisé à l'occasion de la cession litigieuse, faisait une inexacte application du texte fiscal de nature à justifier que les droits supplémentaires litigieux soient assortis de la pénalité de 10 % prévue par les dispositions ci-dessus reproduites de l'article 1758 A du code général des impôts et à ce qu'elle soit ainsi mise à la charge de l'intéressé. En conséquence, il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué.

D E C I D E :

Article 1er : Les suppléments d'impôt sur le revenu assignés à M. C... au titre de l'année 2012, mis en recouvrement le 31 mars 2016, seront assortis de la pénalité de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts, laquelle se trouve ainsi mise à sa charge en lieu et place de la pénalité de 40% prévue par l'article 1728 du code général des impôts initialement appliquée.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 janvier 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

N° 19NC01428

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01428
Date de la décision : 15/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

19-01-04-03 Contributions et taxes. Généralités. Amendes, pénalités, majorations. Pénalités pour manquement délibéré (ou mauvaise foi).


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-10-15;19nc01428 ?
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