Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet des Bouches-du-Rhône a déféré devant le tribunal administratif de Marseille comme prévenue d'une contravention de grande voirie prévue et réprimée par l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, la société par actions simplifiée (SAS) HMTP, pour avoir occupé sans droit ni titre le domaine public fluvial de la Durance sur le territoire de la commune de Meyrargues et y avoir entreposé des matériaux.
Par un jugement n° 1609449 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société HMTP au paiement d'une amende de 3 000 euros et à ce qu'il lui soit ordonné dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 250 euros par jour de retard passé ce délai, de procéder au retrait des matériaux illégalement déversés sur le domaine public fluvial, à la dépose du portail coulissant irrégulièrement édifié sur ce domaine et remettre dans leur état primitif les lieux irrégulièrement occupés sur le domaine public fluvial de la Durance. Enfin, à ce que, passé ce délai d'un mois, le préfet des Bouches-du-Rhône soit autorisé à procéder d'office, au frais de la société HMTP, à la remise en état des lieux occupés.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 23 octobre 2019 et un mémoire enregistré le 30 avril 2020, la société HMTP, représentée par Me Molina, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 mai 2019 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a insuffisamment motivé sa décision en s'abstenant de répondre à l'ensemble des moyens soulevés ;
- il n'est pas démontré que l'agent qui a dressé le procès-verbal est assermenté ;
- le courrier de notification du procès-verbal émane d'une autorité incompétente ;
- le délai de dix jours prévu à l'article L. 774-2 du code de justice administrative pour notifier copie du procès-verbal a été méconnu ; par suite le principe du contradictoire et les droits de la défense ont été méconnus, en violation des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les éléments matériels de l'infraction ne sont pas établis par le préfet, notamment quant à la délimitation du domaine public ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des faits, dès lors, d'une part, que la société HMTP n'est pas à l'origine du dépôt de l'ensemble des matériaux litigieux, que, d'autre part, le dépôt de terre a été effectué à la demande du syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance, autorité gestionnaire du domaine public fluvial, en vue de la construction de merlons, et qu'enfin l'empiètement de son portail sur le domaine public fluvial n'est pas établi ;
- la demande tendant à la démolition des ouvrages est disproportionnée, dès lors qu'une régularisation appropriée est possible.
Par un mémoire, enregistré le 19 août 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de l'ensemble des conclusions de la société HMTP.
Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par la société HMTP n'est fondé.
Par deux mémoires en intervention volontaire enregistrés le 2 avril 2020 et le 25 juin 2020, le syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance (SMAVD), représenté par Me Schmidt, s'associe aux conclusions présentées par le préfet des Bouches-du-Rhône.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la société HMTP n'est fondé.
Par lettre du 29 septembre 2021, les parties ont été informées de ce que la Cour, s'agissant de l'action publique, était susceptible de relever d'office le moyen tiré d'un non-lieu à statuer, aucun acte d'instruction n'étant intervenu en première instance pendant plus d'une année entre le 27 novembre 2017 et le 15 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Prieto,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me Olivier, substituant Me Molina, représentant la SAS HMTP.
Considérant ce qui suit :
1. Les 23 février, 23 mai, 30 mai et 22 août 2016, des procès-verbaux de contravention de grande voirie ont été dressés à l'encontre de la société HMTP, constatant le dépôt de divers matériaux de construction et l'édification d'un portail coulissant sur le domaine public fluvial de la Durance, sur le territoire de la commune de Meyrargues (Bouches-du-Rhône). Le préfet des Bouches-du-Rhône a déféré au tribunal administratif de Marseille la société HMTP, propriétaire de la parcelle cadastrée section AA n° 12 jouxtant le domaine public fluvial, comme prévenue d'une contravention de grande voirie.
2. Le tribunal administratif de Marseille, par un jugement du 23 mai 2019, a condamné la société HMTP au paiement d'une amende de 3 000 euros et à ce qu'il lui soit ordonné dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 250 euros par jour de retard passé ce délai, de procéder au retrait des matériaux illégalement déversés sur le domaine public fluvial, à la dépose du portail coulissant irrégulièrement édifié sur ce domaine et remettre dans leur état primitif les lieux irrégulièrement occupés sur le domaine public fluvial de la Durance. Enfin, à ce que, passé ce délai d'un mois, le préfet des Bouches-du-Rhône soit autorisé à procéder d'office, au frais de la société HMTP, à la remise en état des lieux occupés. La société HMTP relève appel de ce jugement du 23 mai 2019.
Sur l'intervention du syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance :
3. Le syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance (SMAVD) a la qualité de concessionnaire du domaine public fluvial de la Durance. Il a, par suite, intérêt à ce que les auteurs de contraventions de grande voirie commises sur son domaine soient poursuivis et condamnés. Son intervention doit dès lors être admise.
Sur la régularité du jugement :
4. La société HMTP n'invoque ni l'absence de réponse à un moyen précisément identifié qu'elle aurait soulevé en première instance ni les moyens qu'elle estime avoir été écartés par les premiers juges au terme d'une argumentation incomplète. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende ". Aux termes de l'article L. 2111-4 du même code : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : 1° (...) le rivage de la mer. Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (...) 3° Les lais et relais de la mer : a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. / Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative. ". Lorsqu'il qualifie de contravention de grande voirie des faits d'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public, le juge administratif, saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie accompagné ou non de conclusions de l'administration tendant à l'évacuation de cette dépendance, enjoint au contrevenant de libérer sans délai le domaine public et peut, s'il l'estime nécessaire, prononcer une astreinte en fixant lui-même, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le point de départ de cette astreinte, sans être lié par la demande de l'administration.
Sur la contravention de grande voirie :
Sur la régularité des poursuites :
7. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut d'assermentation de l'agent qui a dressé le procès-verbal, celui tiré de l'incompétence du signataire de la notification du procès-verbal, enfin celui tiré de la méconnaissance de l'article L. 774-2 du code de justice administrative et, partant, des droits de la défense et de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal.
Sur le bien-fondé des poursuites :
8. Aux termes de l'article L. 2111-7 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public fluvial naturel est constitué des cours d'eau et lacs appartenant à l'Etat, à ses établissements publics, aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, et classés dans leur domaine public fluvial. ". Aux termes de l'article L. 2111-9 de ce code : " Les limites des cours d'eau domaniaux sont déterminées par la hauteur des eaux coulant à pleins bords avant de déborder (...) ". Il résulte de ces dispositions que la limite du domaine public fluvial est située au point où les plus hautes eaux peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles.
9. En premier lieu, si la société HMTP soutient que les déversements de matériaux et l'édification du portail coulissant qui lui sont reprochés ne sont pas survenus sur le domaine public fluvial, il résulte toutefois de l'instruction que le terrain en cause, situé en bordure de la Durance, au nord de la parcelle cadastrée AA n° 12 appartenant à la société requérante, a été incorporé dans le domaine public fluvial par un arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 27 octobre 1980.
10. En deuxième lieu, la parcelle litigieuse étant identifiable dans la section " B " du plan joint à l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 27 octobre 1980, la société HMTP ne peut être regardée comme critiquant sérieusement la régularité de l'incorporation de ce terrain dans le domaine public fluvial et ne verse, au demeurant, aucun élément susceptible de remettre en cause son appartenance au domaine public fluvial.
11. En troisième lieu, la société soutient également qu'une autorisation d'urbanisme lui a été délivrée en vue de l'édification du portail coulissant en litige mais une telle circonstance est sans incidence sur le régime de domanialité applicable à la parcelle, dès lors qu'en vertu du principe d'indépendance des législations, il n'appartient pas à l'autorité en charge de la délivrance des autorisations d'urbanisme de s'assurer du respect des règles de la domanialité publique.
12. En dernier lieu, la société HMTP ne saurait sérieusement soutenir que les déversements qui lui sont reprochés visaient à satisfaire à une demande du SMAVD, alors qu'il résulte de l'instruction que cette demande, antérieure de près de deux ans aux faits de la cause, se limitait à la pose de merlons visant à limiter les dépôts sauvages sur le site.
13. Par suite, la parcelle en cause devant être regardée comme appartenant au domaine public fluvial, la société HMTP n'est pas fondée à soutenir que le préfet a commis une erreur de droit ou une erreur d'appréciation en engageant à l'encontre de la société HMTP des poursuites pour les infractions reprochées.
Sur l'action publique :
14. Aux termes du premier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale : " En matière de crime, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite ". Et aux termes de l'article 9 du même code : " En matière de contravention, la prescription de l'action publique est d'une année révolue ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article 7 ci-dessus ".
15. Si aucun acte d'instruction n'est intervenu en première instance pendant plus d'une année entre le 27 novembre 2017 et le 15 avril 2019, il résulte toutefois de l'instruction que l'occupation sans titre du domaine public s'est poursuivie tout au long de la procédure de 1ère instance et n'est, au demeurant, toujours pas interrompue à la date du présent arrêt. Dans ces conditions, la prescription de l'action publique ne peut s'appliquer.
16. L'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques prévoit que " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. ". L'article L. 2132-7 du même code dispose que : " Nul ne peut, sous peine de devoir remettre les lieux en état ou, à défaut, de payer les frais de la remise en état d'office par l'autorité administrative compétente : / 1° Jeter dans le lit des rivières et canaux domaniaux ou sur leurs bords des matières insalubres ou des objets quelconques ni rien qui puisse embarrasser le lit des cours d'eau ou canaux ou y provoquer des atterrissements (...) / Le contrevenant est également passible d'une amende de 150 à 12 000 euros. ". Aux termes de l'article L. 2132-10 de ce code : " Nul ne peut procéder à tout dépôt ni se livrer à des dégradations sur le domaine public fluvial (...) ".
17. Il ressort des constatations des procès-verbaux dressés les 23 février, 23 mai, 30 mai et 22 août 2016 par M. A... B..., agent agréé et assermenté du SMAVD, et il n'est pas sérieusement contesté, que l'entreprise HMTP a entreposé divers matériaux sur le domaine public fluvial de la Durance (terre, gravats, goudron, béton, déchets en plastique) et y a édifié un portail coulissant. Dans ces conditions, la matérialité de l'atteinte au domaine public est établie et le tribunal était fondé, au titre de l'action publique, à infliger une amende d'un montant de 3 000 euros à la société HMTP.
Sur l'action domaniale :
18. Eu égard à la nature et au contenu des constats effectués, c'est à bon droit que le premier juge a condamné la société HMTP au retrait des matériaux illégalement déversés sur le domaine public fluvial, à la dépose du portail coulissant irrégulièrement édifié et à la remise en état des lieux, laquelle n'est ni disproportionnée, ni régularisable.
19. Il résulte de tout ce qui précède que la société HMTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement et sous astreinte de 250 euros par jour de retard passé ce délai, à procéder au retrait des matériaux illégalement déversés sur le domaine public fluvial, à la dépose du portail coulissant irrégulièrement édifié sur ce domaine et remettre dans leur état primitif les lieux irrégulièrement occupés sur le domaine public fluvial de la Durance et que, passé ce délai d'un mois, le préfet des Bouches-du-Rhône était autorisé à procéder d'office, au frais de la société HMTP, à la remise en état des lieux occupés.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société HMTP demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention du syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance est admise.
Article 2 : La requête de la SAS HMTP est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société HMTP et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au syndicat mixte de la vallée de la Durance.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2021, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- Mme Ciréfice, président assesseur,
- M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 novembre 2021.
N° 19MA04598 3
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