Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Ferme éolienne du Torpt a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 8 juin 2016 par laquelle le préfet de l'Eure lui a refusé l'autorisation d'exploiter une installation terrestre de production d'électricité éolienne sur le territoire des communes de Tourville-la-Campagne et de SaintMartindu-Bosc, d'autre part, de lui accorder cette autorisation d'exploitation ou d'enjoindre au préfet de la lui accorder.
Par un jugement n° 1603274 du 21 décembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 27 février 2019, le 10 avril 2020 et le 1er juillet 2020, la société par actions simplifiée Ferme éolienne du Torpt, représentée par Me A... B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 décembre 2018 ;
2°) d'annuler cette décision du 8 juin 2016 ;
3°) de lui délivrer l'autorisation d'exploiter sollicitée en assortissant cette autorisation des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ou, subsidiairement, d'enjoindre au préfet de délivrer l'autorisation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son bénéfice de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... G...,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me A... B..., représentant la société Ferme éolienne du Torpt, et de Me I... C..., représentant l'association Adieu Eole, la commune de Tourville-la-Campagne et la commune de La-Haye-du-Theil.
Les communes de Tourville-la-Campagne et de La-Haye-du-Theil ont déposé une note en délibéré le 11 décembre 2020.
La SAS Ferme Eolienne du Torpt a déposé une note en délibéré le 14 décembre 2020.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. Par un arrêté du 8 juin 2016, le préfet de l'Eure a refusé à la société Ferme éolienne du Torpt l'autorisation d'exploiter une installation terrestre de production d'électricité éolienne sur le territoire des communes de Tourville-la-Campagne et de SaintMartindu-Bosc.
2. Le tribunal administratif de Rouen, par un jugement n° 1603274 rendu le 21 décembre 2018, a rejeté la demande de la société Ferme éolienne du Torpt tendant, d'une part, à l'annulation de cet arrêté du 8 juin 2016 et, d'autre part, à ce que cette juridiction lui accorde l'autorisation d'exploitation ou enjoigne au préfet de la lui accorder.
3. Compte tenu de l'objet de l'appel, ne portant pas sur l'éolienne E5, qu'elle a formé dans l'instance relative au permis de construire les éoliennes et qui a été enregistré le même jour sous le n° 19DA00520, la société Ferme éolienne du Torpt doit être regardée comme relevant appel du jugement n° 1603274 attaqué dans la présente instance n° 19DA00501, seulement en tant que ce jugement a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus d'exploiter les quatre éoliennes E1 à E4 et le poste de livraison.
Sur les interventions :
4. En premier lieu, le site d'implantation de trois des machines composant le parc éolien projeté est situé sur le territoire de la commune de Tourville-la-Campagne. Celle-ci justifie ainsi d'un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué et son intervention au soutien des conclusions en défense du ministre est dès lors recevable.
5. En deuxième lieu, le territoire de la commune de la Haye-du-Theil étant situé à proximité immédiate des éoliennes du projet et cette proximité étant de nature à entraîner des nuisances diverses, notamment d'ordre visuel ou sonore, cette commune justifie d'un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué et son intervention, présentée au soutien des conclusions en défense du ministre, est dès lors recevable.
6. En troisième lieu, l'objet statutaire de l'association Adieu Eole tenant notamment à la protection et la défense de l'environnement et du patrimoine des communes de TourvillelaCampagne et de Saint-Martin-du-Bosc et à la lutte contre les atteintes qui pourraient être portées à ce patrimoine, cette association justifie d'un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué et son intervention, présentée au soutien des conclusions en défense du ministre, est dès lors recevable.
7. En quatrième lieu, M. F..., la société civile immobilière G et A du Troncq et l'indivision F... sont copropriétaires du " domaine du Troncq " qui comprend un château et un parc attenant et est inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le 11 avril 1997. En raison de la relative proximité du projet dont la plus proche éolienne, d'une hauteur de 150 mètres en bout de pale, se situe à quatre kilomètres de ce domaine, les intéressés justifient chacun d'un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué, et leur intervention au soutien des conclusions en défense du ministre est dès lors recevable.
Sur la régularité du jugement :
8. Pour contester la régularité du jugement attaqué, la société Ferme éolienne du Torpt soutient que les premiers juges ont commis des erreurs de fait, de droit ou de dénaturation des faits. Toutefois, ces moyens, relatifs au bien-fondé du jugement ou relevant du contrôle opéré par le seul juge de cassation, ne sont pas de nature à démontrer que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité.
Sur la légalité du refus d'exploitation en litige :
9. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".
10. Aux termes de l'article L. 512-2 du même code : " L'autorisation prévue à l'article L. 512-1 est accordée par le préfet, après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du présent code relative aux incidences éventuelles du projet sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et après avis des conseils municipaux intéressés. (...) Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application de l'alinéa précédent. (...) ".
En ce qui concerne le motif de refus de l'autorisation d'exploiter :
11. Il ressort des termes de l'arrêté du 8 juin 2016 en litige, comme des écritures du ministre en défense, que le préfet de l'Eure a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée en se fondant seulement sur les atteintes causées par le parc éolien en cause au patrimoine historique et paysager constitué par le château du Champ de Bataille et par le domaine du Troncq.
En ce qui concerne le château du Champ de Bataille :
12. S'agissant de ce monument, l'administration justifie l'atteinte qu'il subirait seulement par sa proximité avec l'éolienne E5. Or, comme il a été indiqué au point 3, la société Ferme éolienne du Torpt a renoncé à la construction de cette éolienne E5. Par ailleurs, cette renonciation s'est effectuée sans que la pétitionnaire ne modifie le modèle d'éolienne figurant dans sa demande d'autorisation.
13. Dans ces conditions, l'atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ne peut plus être regardée comme caractérisée depuis l'abandon par la requérante de cet aérogénérateur E5.
En ce qui concerne le domaine du Troncq :
14. Le château et son parc, d'une superficie d'environ 9,5 hectares, ont été inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques le 11 avril 1997. Le colombier de la fin du XVIème siècle est classé depuis le 26 mars 1999. A la date des arrêtés en litige, ce périmètre seul est appelé " domaine du Troncq ", notamment sur le site internet du domaine lui-même, et jouit de la protection attachée à l'inscription en tant que monument historique. Cette propriété privée, qui ouvre au public le parc et le colombier environ 55 jours par an, durant la belle saison, se situe à 4 kilomètres du projet depuis l'abandon de l'éolienne E5.
15. En premier lieu, il résulte des pièces du dossier, et notamment du constat d'huissier diligenté en décembre 2014 et des photomontages figurant dans le complément paysager réalisé par la pétitionnaire en octobre 2014 à la demande des services de l'Etat et dans le second complément paysager réalisé en août 2015, que compte tenu de l'éloignement, de l'abondante végétation arborée du domaine du Troncq, de son mur d'enceinte et du toit de sa vaste grange recouverte de panneaux solaires, les intervisibilités entre le domaine et le parc éolien ou les covisibilités du domaine et du projet à partir de points tiers sont relativement peu nombreuses et de portée limitée, vers ou depuis l'ouest et le nord-ouest, les routes menant au domaine ou l'allée centrale en partant du château, les terrasses des deuxième et troisième étages et les fenêtres d'une partie d'un couloir du château ou la fenêtre du premier étage du bâtiment des communs.
16. En deuxième lieu, la circonstance, relevée par le préfet, que l'implantation du parc éolien ne se conformerait pas à un " principe de linéarité " et aboutirait à une disposition " hasardeuse " est, par elle-même, sans incidence sur l'appréciation de l'atteinte au caractère des lieux.
17. En troisième lieu, il ne ressort pas de l'ensemble de ces éléments que la ligne d'éoliennes d'axe nord-sud se distinguerait clairement depuis le site protégé du château du Troncq, le parc éolien n'étant visible que de certains endroits du site. Il ne ressort pas davantage des mêmes éléments que, de ces endroits, l'impact visuel du projet soit autre que très limité, spécialement pour le public qui ne peut visiter que le colombier classé et le parc, et ce uniquement durant la période de pleine végétation qui masque quasiment intégralement les vues extérieures au domaine.
18. En quatrième lieu, si quelques endroits des bâtiments du domaine auront sans doute des vues inesthétiques sur le projet, cette circonstance ne suffit pas à caractériser une atteinte au site de nature à justifier le refus d'autoriser l'exploitation du parc éolien.
19. Il résulte de ce qui précède, même si le commissaire-enquêteur, le conseil municipal de Tourville-la-Campagne et la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ont émis un avis défavorable au projet, que celui-ci ne peut pas être regardé, contrairement à ce que l'arrêté en litige a estimé, comme portant atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
20. Le préfet de l'Eure, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, a donc commis une erreur d'appréciation en estimant que la protection des sites du château de Champ de Bataille et du domaine du Troncq faisait obstacle à la délivrance de l'autorisation en litige.
21. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen invoqué par la pétitionnaire, que la société Ferme éolienne du Torpt est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus d'autoriser l'exploitation du projet en tant qu'il comprend les quatre éoliennes E1 à E4 et le poste de livraison y afférent. Elle est dès lors fondée à obtenir, dans cette mesure, l'annulation de ce jugement comme celle de l'arrêté contesté.
Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation d'exploiter :
22. D'une part, il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la décision prise et celui des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation. Les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une installation classée relèvent des règles de procédure.
23. D'autre part, lorsqu'il statue en tant que juge de plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir si nécessaire régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe, ou le cas échéant en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.
24. Toutefois, il résulte de l'article L. 512-2 du même code que l'autorisation d'une installation classée ne peut être accordée qu'après une enquête publique relative aux incidences éventuelles du projet sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Si une telle enquête n'a pas été effectuée ou si elle a été conduite de façon irrégulière, le juge administratif, s'il peut annuler le refus de l'administration d'autoriser l'installation, ne peut accorder lui-même l'autorisation, faute pour le public d'avoir pu être informé et d'avoir pu faire connaître ses observations dans les conditions prévues par la loi.
25. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement applicable à la date du refus en litige : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. (...) La délivrance de l'autorisation, pour ces installations (...) prend en compte les capacités (...) financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité. ".
26. En vertu de l'article R. 512-3 du même code applicable en l'espèce : " La demande prévue à l'article R. 5122 (...) mentionne : (...) 5° Les capacités techniques et financières de l'exploitant (...) ".
27. Il résulte de ces dispositions que le pétitionnaire est tenu de fournir des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières à l'appui de son dossier de demande d'autorisation et qu'il ne peut donc se borner à en faire simplement mention.
28. En l'espèce, le dossier de demande d'autorisation d'exploiter, soumis à enquête publique, a indiqué que la société Ferme éolienne du Torpt était une société d'exploitation créée pour le projet particulier objet de la demande, lequel serait financé par une filiale à 100 % de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), la CN'Air dont le rapport des commissaires aux comptes pour l'année 2011 était joint avec l'indication que cette dernière société disposait d'une capacité financière largement suffisante pour le projet.
29. Toutefois, si la pétitionnaire se prévalait dans sa demande d'autorisation d'exploiter de ce qu'elle était elle-même une filiale à 100 % de la CNR, dont elle donnait les grands chiffres de l'année 2010 (chiffre d'affaires, résultat net courant, impôts et taxes), cette circonstance en elle-même n'obligeait pas financièrement la CNR vis-à-vis de la société Ferme éolienne du Torpt, qui ne faisait pas davantage état d'un engagement de la société CN'Air sur le projet.
30. Dans ces conditions, le public ne peut être regardé comme ayant bénéficié d'un dossier comportant des éléments d'information suffisamment précis et étayés sur les garanties financières de la pétitionnaire, ce qui a été de nature à nuire à l'information complète du public. L'enquête publique n'a donc pas été effectuée de façon régulière.
31. Il résulte de ce qui précède les conclusions de la société Ferme éolienne du Torpt tendant à ce que l'autorisation d'exploiter sollicitée lui soit délivrée, par la cour à titre principal, ou par le préfet de l'Eure à titre subsidiaire, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
32. Sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Ferme éolienne du Torpt de la somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : Les interventions des copropriétaires du domaine du Torpt, c'est-à-dire M. F..., la société civile immobilière G et A du Troncq et l'indivision F..., l'intervention de la commune de Tourville-la-Campagne, l'intervention de la commune de la Haye-du-Theil et l'intervention de l'association Adieu Eole sont admises.
Article 2 : L'arrêté du 8 juin 2016 du préfet de l'Eure refusant l'autorisation d'exploiter une installation terrestre de production d'électricité éolienne sur le territoire des communes de Tourville-la-Campagne et de SaintMartindu-Bosc, est annulé en tant qu'il porte sur l'exploitation des éoliennes E1 à E4 et du poste de livraison du parc éolien projeté.
Article 3 : Le jugement n° 1603274 du 21 décembre 2018 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent dispositif.
Article 4 : L'Etat versera à la société Ferme éolienne du Torpt la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la société Ferme éolienne du Torpt est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... B... pour la société Ferme éolienne du Torpt, à Me K... L... pour M. J... F..., la société civile immobilière G et A du Troncq et l'indivision F..., à Me E... H... pour la commune de Tourville-la-Campagne, la commune de la Haye-du-Theil et l'association Adieu Eole et à la ministre de la transition écologique.
N° 19DA00501 2