LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 octobre 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 499 F-P+B
Pourvoi n° H 19-13.560
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 OCTOBRE 2020
Mme X... P..., divorcée O..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° H 19-13.560 contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3 - 3, anciennement dénommée 8e chambre B), dans le litige l'opposant à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme P..., de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 janvier 2019), la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur (la banque) a consenti un prêt à Mme P..., entrepreneur individuel, le 3 janvier 2006. Cette dernière a fait publier une déclaration d'insaisissabilité de sa résidence principale le 3 mai 2010. Elle a été mise en liquidation judiciaire le 7 octobre 2014, la procédure étant clôturée le 3 novembre 2015.
2. La banque, qui avait, sur autorisation du juge de l'exécution, fait inscrire, le 9 novembre 2014, une hypothèque provisoire sur l'immeuble a, le 16 novembre suivant, assigné Mme P... en paiement de sa créance. Cette dernière a opposé l'irrecevabilité de la demande et sollicité la levée de l'hypothèque.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
3. Mme P... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de mainlevée de l'hypothèque provisoire, alors « que le droit pour le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable d'agir en cours de procédure en ce qu'il est directement lié au périmètre de la procédure – biens objet de la poursuite non inclus dans la procédure collective – ne saurait perdurer après la clôture de la liquidation dès lors, d'une part, qu'il expose le débiteur à des poursuites sans fin, d'autre part, est lié au périmètre d'une procédure désormais clôturée et, enfin, crée une trop grande inégalité entre les créanciers ; qu'il en résulte que le créancier ne peut être admis, après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif, à procéder à une inscription d'hypothèque provisoire sur un immeuble ayant fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 643-11-I du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt retient exactement qu'un créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable peut exercer son droit de poursuite sur celui-ci indépendamment de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble.
5. Il en résulte que rien ne lui interdit, tant que sa créance n'est pas prescrite, de faire inscrire une hypothèque provisoire sur ce bien dans les conditions du droit commun, lequel s'applique aussi à la demande de mainlevée d'une telle mesure conservatoire.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur moyen, relevé d'office
7. Conformément aux dispositions des articles 620, alinéa 2, et 1015, du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 526-1, L. 622-7 et L. 622-21 du code de commerce :
8. Si le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable bénéficie d'un droit de poursuite sur cet immeuble, il n'en demeure pas moins soumis au principe d'ordre public de l'arrêt des poursuites ainsi qu'à l'interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d'ouverture. Il en résulte que, s'il doit être en mesure d'exercer le droit qu'il détient sur l'immeuble en obtenant un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance, cette action ne peut tendre au paiement de celle-ci.
9. Pour condamner Mme P... à payer à la banque la somme de 19 411,76 euros, l'arrêt retient que celle-ci, à laquelle la déclaration d'insaisissabilité publiée par Mme P... était inopposable, est bien fondée à agir individuellement contre la débitrice aux fins d'obtenir un titre exécutoire portant condamnation.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui aurait dû se borner à constater l'existence, le montant et l'exigibilité de la créance, sans prononcer de condamnation à paiement, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne Mme P... à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur la somme de 19 411,76 euros au titre du prêt n° [...] et dit que cette somme produira intérêts au taux conventionnel à compter du 10 septembre 2015 et jusqu'à parfait paiement, l'arrêt rendu le 10 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne Mme P... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour Mme P..., divorcée O...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par voie de confirmation, condamné Mme P... à payer la somme de 19.411,76 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2015 ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE les déclarations d'insaisissabilité publiées avant le prononcé du jugement déclaratif sont opposables à la procédure collective, comme le confirme d'ailleurs M. R..., mandataire liquidateur en son courrier du 22 juillet 201 ; qu'en l'espèce, la déclaration d'insaisissabilité du bien immobilier de Mme X... P... divorcée O... sis au Cannet a été publiée le 3 mai 2010 ; qu'or le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire a été rendu le 7 octobre 2014 ; que la déclaration d'insaisissabilité est par conséquent opposable à la liquidation judiciaire de Mme P... et ne constitue pas dès lors un élément d'actif de ladite procédure collective ; que la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble est ainsi inopposable à la caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur dont les droits sont nés antérieurement à ladite déclaration et l'immeuble objet de la déclaration doit être considéré comme un actif « hors procédure collective » ; (
) ; que le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d'un droit de poursuite sur l'immeuble objet de la déclaration et est en droit d'obtenir un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance ; que la caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence côte d'Azur est dès lors bien fondée à agir individuellement contre Mme P... aux fins d'obtention d'un titre exécutoire sur sa « Villa G... » sise au Cannet ; (
) ; que par conséquent, Mme P... sera condamnée à payer à la caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur la somme de 19.411,76 €
produisant intérêts au taux conventionnel à compter du 10 septembre 2015 ;
1°) ALORS QUE le créancier, dont les opérations de la liquidation judiciaire de son débiteur n'ont pas, en raison de l'insuffisance d'actif, permis de régler la créance, peut recouvrer l'exercice individuel de son action contre lui, à la condition que la créance porte sur des droits attachés à la personne du créancier ; que n'entre pas dans cette catégorie la créance de remboursement d'un prêt ; que dès lors, en l'espèce, en condamnant Mme P... à payer au Crédit agricole, au titre du prêt n° [...], la somme de 19.411,76 € outre intérêts conventionnels à compter du 10 septembre 2015, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si la créance dont se prévalait le Crédit agricole portait sur des droits attachés à la personne du créancier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 643-11, I, 2°) du code de commerce ;
2°) ALORS QUE Mme P... avait expressément soutenu que pour tenter de faire échec à l'irrecevabilité de son action en paiement, le Crédit agricole tentait de faire valoir, dans un premier temps, qu'il n'avait pas eu connaissance du prononcé de la clôture pour insuffisance d'actif puis, dans un second temps, que la clôture avait été prononcée après la délivrance des assignations ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire de conclusions tendant à établir que le Crédit agricole savait qu'il ne pouvait échapper aux conséquences du jugement de clôture pour insuffisance d'actif, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme P... de sa demande en mainlevée de l'inscription d'hypothèque provisoire ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il est constant que l'immeuble appartenant à Mme P... a fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité publiée avant l'ouverture de la liquidation judiciaire et que l'insaisissabilité n'est pas opposable au Crédit agricole dont la créance de prêt est née antérieurement à la publication de la déclaration ; que Mme P... fait valoir que la demande en paiement formée par la banque est irrecevable pour avoir été introduite postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire, sans que le créancier justifie qu'il se trouve dans l'un des cas, prévus à l'article L. 643-11, I, du code de commerce, lui faisant recouvrer l'exercice individuel de son action ; qu'elle souligne que le Crédit agricole ne peut se soustraire aux effets du jugement de clôture et que seules les exceptions énoncées à l'article précité pourraient autoriser la reprise d'une poursuite ; qu'enfin, elle soutient que la créance du Crédit agricole, entrée dans la procédure collective pour avoir été déclarée et admise au passif, se trouve exclue de toute faculté de poursuite par le créancier, lequel doit se soumettre aux règles d'ordre public applicables après la clôture de cette procédure ; mais que le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable, bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d'un droit de poursuite sur l'immeuble, qu'il doit être en mesure d'exercer en obtenant, s'il n'en détient pas un auparavant, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance ; que le Crédit agricole n'agissant pas au titre de ses droits dans la procédure collective, les dispositions de l'article L. 643-11, I, du code de commerce relatives à la reprise des poursuites individuelles ne lui sont pas opposables, fussent-elles d'ordre public ; qu'il dispose, au cours de la procédure collective comme après sa clôture, de la faculté d'exercer des poursuites sur l'immeuble et, à cette fin, d'obtenir un titre exécutoire ; que dès lors, le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il a accueilli la demande formée par le Crédit agricole et a débouté Mme P... de sa demande en mainlevée de l'inscription d'hypothèque provisoire en conséquence de l'irrecevabilité prétendue de l'action ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE à la demande du débiteur, la mainlevée de la publicité provisoire peut être ordonnée sur le fondement des règles communes à toutes les mesures conservatoire c'est-à-dire si toutes les conditions de validité de la mesure requises par l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution et les dispositions des articles R. 511-1 à R. 511-8 du même code ne sont pas réunies, même dans les cas où l'article L. 511-2 permet que cette mesure soit prise sans autorisation du juge (art. r ; 512-1) ; que l'article R. 512-1 met la preuve de la réunion des conditions requises à la charge du créancier ; qu'il découle des dispositions de l'alinéa 1er de l'article R. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution que la demande de mainlevée est portée devant le juge qui en a autorisé la mesure ; que toutefois le juge du fond est compétent pour ordonner la mainlevée d'une hypothèque provisoire lorsqu'il a examiné la créance qui en était le fondement ; que cette compétence exceptionnelle du juge du fond en matière de mainlevée et de radiation d'hypothèques est limitée par l'article 54 du code de procédure civile à l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire et ne saurait par conséquent s'étendre à une inscription définitive ; que par ordonnance du 15 octobre 2015, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse a autorisé la caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur à inscrire une hypothèque judiciaire conservatoire sur le bien immobilier « [...] ) en garantie des créances découlant de deux prêts consentis à Mme X... P... pour un montant total de 92.392,23 € ; que l'inscription d'hypothèque a été effectuée le 23 octobre 2015, publiée le 9 novembre 2015 et dénonce à la débitrice par acte d'huissier du 16 novembre 2015 ; qu'il s'agit bien d'une hypothèque provisoire ; qu'or il a été procédé à la vérification de la créance de la caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur laquelle est fondée tant en son principe qu'en son montant ; que Mme X... P... se verra en conséquence déboutée de sa demande aux fins de radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire prise sur la Villa G... au Cannet ;
ALORS QUE le droit pour le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable d'agir en cours de procédure en ce qu'il est directement lié au périmètre de la procédure – biens objet de la poursuite non inclus dans la procédure collective – ne saurait perdurer après la clôture de la liquidation dès lors d'une part, qu'il expose le débiteur à des poursuites sans fin, d'autre part, est lié au périmètre d'une procédure désormais clôturée et, enfin crée une trop grande inégalité entre les créanciers ; qu'il en résulte que le créancier ne peut être admis, après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif, à procéder à une inscription d'hypothèque provisoire sur un immeuble ayant fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 643-11 I du code de commerce.