Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du président de la communauté d'agglomération Grand Paris Seine Ouest du 20 juillet 2015 refusant de la titulariser au grade d'assistant d'enseignement artistique principal de deuxième classe, d'enjoindre à la communauté d'agglomération Grand Paris Seine Ouest de la titulariser et de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Grand Paris Seine Ouest une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1508372 du 16 janvier 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 6 octobre 2018, 2 décembre 2019 et 5 février 2020, Mme F..., représentée par Me D..., avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest (GPSO) de prendre une décision de titularisation au 1er juin 2015, sinon de la réintégrer et de lui faire accomplir un stage régulier, avec reconstitution de carrière et des droits à pension en prenant à sa charge les parts salariales et patronales des cotisations sociales ;
4°) de mettre à la charge de l'établissement public territorial GPSO la somme de 3 000 euros à verser à Me D... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement, dans son point 6, est insuffisamment motivé ;
- dès lors que les faits qui lui sont reprochés relève du droit disciplinaire, elle aurait dû être mise à même de faire valoir ses observations, d'être entendue par la Commission Administrative Paritaire (CAP) et d'obtenir les pièces de son dossier ;
- l'arrêté n'a pas été motivé, alors qu'il lui refuse illégalement la possibilité de prolonger son stage et constitue une sanction ;
- l'impossibilité de prolonger le stage constitue une rupture d'égalité de traitement dans l'accès à la fonction publique entre fonction publique territoriale et fonction publique d'Etat où une telle prolongation est possible ; partant, le décret relatif à la fonction publique territoriale est illégal ; l'arrêté du 1er décembre 2014 qui l'a placée en position de stagiaire prévoyait expressément la possibilité d'une prolongation de six mois ; dès lors, l'établissement GPSO ne pouvait la priver de ce droit acquis de manière définitive dès lors qu'il s'agit d'une décision individuelle explicite créatrice de droit ; cette prolongation aurait dû à tout le moins être envisagée et non brutalement refusée ; le directeur de la culture et le directeur général des services culture et sports avaient donné un avis favorable à la prolongation de stage le 7 mai ; ils auraient pu prendre un avis en faveur de la titularisation s'ils avaient eu connaissance de la possibilité de prolonger le stage ;
- elle n'a pas été mise à même d'effectuer son stage probatoire dans des conditions satisfaisantes ; elle n'a accompli aucun des cinq jours de formation prévus par le statut particulier ; la circonstance que les dispositions du décret du 29 mars 2012 réserveraient les jours de formation obligatoire aux stagiaires issus du concours externe constitue une atteinte du principe d'égalité ; elle s'est vu retirer une partie importante de ses missions et n'a subi aucune évaluation en cours de stage ;
- la décision de refus de titularisation est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ; aucun des faits allégués par GPSO n'est établi ; elle a été privée de sa mission d'accompagner les élèves pour les examens et le spectacle ; elle est dotée des compétences professionnelles pour être titularisée ;
- elle a fait l'objet d'une sanction déguisée.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;
- le décret n° 2012-1293 du 22 novembre 2012 ;
- le décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., pour Mme F... et de Me B... substituant Me A..., pour l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... a été inscrite sur la liste des candidats déclarés aptes au grade d'assistant d'enseignement artistique principal de 2ème classe établie le 23 septembre 2014 par la commission d'évaluation professionnelle du centre de gestion de la petite couronne d'Ile-de-France, au titre du dispositif de sélection professionnelle mis en place par la loi du 12 mars 2012. Par un arrêté du 1er décembre 2014 du président de la communauté d'agglomération Grand Paris Seine Ouest (GPSO), Mme F... a été nommée assistant d'enseignement artistique principal de deuxième classe stagiaire pour une durée de six mois. Par un arrêté du 20 juillet 2015, le président de la communauté d'agglomération GPSO a refusé de titulariser Mme F... et a mis fin à son stage à compter du 1er août 2015. Mme F... relève appel du jugement n° 1509372 du 16 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de refus de titularisation et à ce qu'il soit enjoint à GPSO de la titulariser.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. ". En vertu de l'article 39 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ce délai est interrompu par une demande d'aide juridictionnelle et un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
3. Mme F... a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 16 mars 2018, soit moins de deux mois après la date de notification du jugement attaqué. Cette demande ayant donné lieu à une décision d'admission du bureau d'aide juridictionnelle du 6 juillet 2018, notifiée le 6 août suivant, la requête d'appel, enregistrée au greffe de la cour le 6 octobre 2018, n'est pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'établissement public territorial GPSO doit être écartée.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. En premier lieu, un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne. L'autorité compétente ne peut donc prendre légalement une décision de refus de titularisation, qui n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements, que si les faits qu'elle retient caractérisent des insuffisances dans l'exercice des fonctions et la manière de servir de l'intéressé. Cependant, la circonstance que tout ou partie de tels faits seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu que l'intéressé ait été alors mis à même de faire valoir ses observations.
5. Il résulte de ce qui précède que, pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.
6. Il ressort du courrier du 1er juin 2015 du vice-président de l'établissement public territorial GPSO que la décision de non-titularisation repose sur les faits suivants : retards fréquents sans prévenir le professeur et la hiérarchie, problèmes de tempo au piano perturbant les élèves, comportement injurieux envers un professeur et propos déplacés devant les élèves.
7. Il ressort des termes mêmes de ce courrier que l'établissement public territorial GPSO a décidé de ne pas titulariser Mme F... pour des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires. Dès lors la décision de non-titularisation ne pouvait intervenir sans que Mme F... ait été mise à même de présenter préalablement ses observations. A cet égard, l'établissement public territorial GPSO soutient que cette formalité a été respectée dès lors que l'intéressée a été destinataire du courrier daté du 1er juin 2015 l'informant de l'intention de l'administration de ne pas la titulariser, de la saisine de la commission administrative paritaire, et de la faculté dont elle disposait de consulter son dossier administratif et de se faire assister par un ou plusieurs conseiller de son choix. Toutefois, ce courrier ne mentionne nullement la possibilité pour l'intéressée de faire valoir des observations et il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme F... ait pu faire valoir ses observations avant l'arrêté de non-titularisation du 20 juillet 2015. Dans ces conditions, l'appelante est fondée à soutenir que l'arrêté du 20 juillet 2015 a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, qu'elle a été privée d'une garantie et à demander, pour ce motif, l'annulation du jugement attaqué.
8. En second lieu, aux termes de l'article 15 du décret du 22 novembre 2012 pris pour l'application du chapitre II du titre Ier de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique : " Les agents recrutés en application du présent décret sont nommés en qualité de fonctionnaires stagiaires au plus tard le 31 décembre de l'année au titre de laquelle le recrutement réservé est organisé. Ils effectuent un stage d'une durée de six mois. Pendant cette période, ils sont placés, au titre de leur contrat, en congé sans rémunération et sont soumis aux dispositions du décret du 4 novembre 1992 susvisé, à l'exception de celles relatives à la durée du
stage ".
9. Il ressort des pièces du dossier qu'alors qu'il était initialement envisagé de prolonger le stage de Mme F... compte tenu de son comportement, l'établissement public territorial GPSO a finalement estimé, à tort, que les dispositions précitées du 22 novembre 2012 y faisaient obstacle et que l'intéressée ne pouvait dès lors être titularisée. Ainsi, la requérante est fondée à soutenir que l'arrêté contesté est entaché d'illégalité au motif que l'administration s'est crue à tort en situation de compétence liée pour refuser d'envisager la prolongation de son stage.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".
12. Le présent arrêt implique nécessairement la réintégration juridique rétroactive de Mme F... en qualité de stagiaire à compter du 1er août 2015, date de son éviction illégale, et sa réintégration effective pour l'accomplissement d'un nouveau stage de manière à ce qu'il soit statué sur son droit à titularisation dans des conditions régulières. Il y a lieu d'enjoindre au président de l'établissement public territorial GPSO de prendre ces mesures dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit versée à l'établissement public territorial GPSO, partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
14. Mme F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., avocate de Mme F..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'établissement public territorial GPSO le versement à Me D... de la somme de 2 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1508372 du 16 janvier 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et l'arrêté du président de l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest du 20 juillet 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest de réintégrer Mme F... dans les conditions fixées au point 12 dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest versera à Me D..., avocat de Mme F..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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N° 18VE03424