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01/10/2020 | FRANCE | N°18VE01088

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 01 octobre 2020, 18VE01088


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes D... F..., G..., C... et I... ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain renforcé sur une parcelle cadastrée section I n° 68 leur appartenant situé 223 rue de Rosny.

Par un jugement n° 1702610 du 1er février 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et a fait application de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.

Pro

cédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 30 mars 2018, la commune de Mo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes D... F..., G..., C... et I... ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain renforcé sur une parcelle cadastrée section I n° 68 leur appartenant situé 223 rue de Rosny.

Par un jugement n° 1702610 du 1er février 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et a fait application de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 30 mars 2018, la commune de Montreuil, représentée par Me J..., avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter la demande de première instance présentée par Mmes D... ;

3° de mettre à la charge des consorts D... le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a subordonné le recours à la préemption à la qualification d'opération d'aménagement ;

- le tribunal a opéré une confusion entre équipements collectifs et équipements publics ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu l'existence d'une contribution indirecte de la commune à la construction d'un nouvel édifice de culte.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Bouzar, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., substituant Me J... pour la commune de Montreuil, et de Me E..., substituant Me H... pour Mmes D....

Considérant ce qui suit :

1. Mmes D... ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain renforcé au prix de 450 000 euros sur une parcelle cadastrée section I n° 68 leur appartenant situé 223 rue de Rosny, en vue de permettre la réalisation d'un équipement collectif d'intérêt général à vocation cultuelle consistant en une extension du centre socio-culturel et de ses aires de stationnement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 susvisée : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes (...). ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " Les édifices servant à l'exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II. La cessation de cette jouissance et, s'il y a lieu, son transfert seront prononcés par décret (...). L'Etat, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi. ". Enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article 19 de cette loi, les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice d'un culte " ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques. ".

3. Il résulte des dispositions, mentionnées au point 2, de la loi du 9 décembre 1905 que les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d'entretien et de conservation des édifices servant à l'exercice public d'un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l'Etat ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels et qu'il leur est interdit d'apporter une aide à l'exercice d'un culte. Les collectivités territoriales ne peuvent, en revanche, sans méconnaître les dispositions précitées de la loi de 1905, décider qu'un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte et constituera ainsi un édifice cultuel.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 213-11 du code de l'urbanisme : " Les biens acquis par exercice du droit de préemption doivent être utilisés ou aliénés pour l'un des objets mentionnés au premier alinéa de l'article L. 210-1, qui peut être différent de celui mentionné dans la décision de préemption. L'utilisation ou l'aliénation d'un bien au profit d'une personne privée autre que le concessionnaire d'une opération d'aménagement ou qu'une société d'habitations à loyer modéré doit faire l'objet d'une délibération motivée du conseil municipal ou, le cas échéant, d'une décision motivée du délégataire du droit de préemption./(...). ". Aux termes de l'article L. 210-1 de ce code : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé /(...). ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. /(...). ".

5. Si la commune de Montreuil soutient que le code de l'urbanisme et la jurisprudence n'exigent pas que le projet poursuivi par une décision de préemption ait le caractère d'une opération d'aménagement impliquant des interventions sur le tissu urbain telles que la réalisation d'équipements, la restauration d'immeubles, l'aménagement et la commercialisation de terrains, il résulte du point 4 du jugement attaqué que les premiers juges ont estimé que " ni l'extension d'un édifice cultuel ni celle du parking réservé aux fidèles ne sauraient constituer la réalisation d'un équipement collectif ", qu'il n'apparaît pas que " les salles de classe et de conférence ainsi que la bibliothèque ne seront pas affectées à un établissement d'enseignement supérieur " et qu' " en conséquence, aucune des opérations envisagées ne constitue une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ". Ainsi, le tribunal n'a pas jugé la décision de préemption illégale au motif qu'elle n'était pas accompagnée par une mesure d'urbanisation ou d'équipement. Par suite, le moyen invoqué doit être écarté comme manquant en fait.

6. Il résulte de la décision du 25 janvier 2017 du maire de la commune de Montreuil qu'il a exercé le droit de préemption urbain renforcé sur la parcelle n° I 68 appartenant aux consorts D... et anciennement affectée à un usage industriel " pour permettre la réalisation d'un équipement collectif d'intérêt général à vocation cultuelle consistant en une extension du centre socio-cultuel et des aires de stationnement ". Il ressort des pièces du dossier que cette décision a pour objectif de mettre ce bien immobilier de 1 896 m² à la disposition de la fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil (FCAMM) qui a le projet d'augmenter la capacité d'accueil de son centre socio-cultuel, implanté sur le terrain communal (parcelles n° I 75, I 90 et I 91) de 1 693 m², mitoyen de la parcelle préemptée et objet d'un bail emphytéotique administratif (BEA) passé avec la ville de Montreuil, en agrandissant la mosquée existante et son parking et en créant des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l'enseignement religieux. La circonstance que le président de la FCAMM s'est engagé, par simple courrier du 11 janvier 2019, à acheter le terrain préempté au prix versé par la commune pour son acquisition est sans incidence sur la légalité de la décision de préemption litigieuse et ne permet pas, en tout état de cause, de regarder comme provisoire l'engagement de dépenses publiques communales dédiées aux activités de cette fédération cultuelle. Ainsi, en décidant de préempter la parcelle litigieuse en vue de la laisser de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association principalement pour l'exercice d'un culte, d'ailleurs au prix de 450 000 euros très inférieur au montant de 796 000 euros retenu par l'avis du service des domaines et à la somme de 800 000 euros figurant dans la promesse de vente passée avec l'acquéreur évincé, le maire de la commune de Montreuil a, en l'absence de dérogations légales le prévoyant, décidé une dépense illégale en faveur de l'exercice d'un culte, en méconnaissance des dispositions, mentionnées au point 2, de la loi du 9 décembre 1905 susvisée. En outre, la préemption litigieuse a été décidée en vue de réalisation d'un équipement dont l'ampleur insuffisante ne permet pas de le regarder comme un équipement collectif au sens et pour l'application des dispositions combinées, mentionnées au point 4, des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Montreuil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de la commune de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain renforcé sur le terrain appartenant à Mmes D.... Par voie de conséquence du rejet de la requête de la commune de Montreuil, et compte tenu de l'injonction prononcée par les premiers juges, les conclusions reconventionnelles en injonction présentées par Mmes D... sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative sont frustratoires et doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Par voie de conséquence du rejet de la requête de la commune de Montreuil, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de cette commune une somme globale de 2 000 euros à verser aux consorts D... au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Montreuil est rejetée.

Article 2 : La commune de Montreuil versera une somme globale de 2 000 euros à Mmes D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions reconventionnelles en injonction présentées par Mmes D... sont rejetées.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE01088
Date de la décision : 01/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-02-01-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Procédures d'intervention foncière. Préemption et réserves foncières. Droits de préemption. Droit de préemption urbain.


Composition du Tribunal
Président : M. BRUMEAUX
Rapporteur ?: M. Benoist GUÉVEL
Rapporteur public ?: M. BOUZAR
Avocat(s) : CABINET SEBAN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-10-01;18ve01088 ?
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