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10/10/2019 | FRANCE | N°18LY00735

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 10 octobre 2019, 18LY00735


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 12 novembre 2014 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a mis un terme à la mesure d'assistance éducative dont il bénéficiait.

Par un jugement n° 1503316 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 12 novembre 2014 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a mis un terme à l'ordonnance de placement provisoire de M. D... au titr

e de l'aide sociale à l'enfance.

Procédure devant la cour

Par une requête enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 12 novembre 2014 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a mis un terme à la mesure d'assistance éducative dont il bénéficiait.

Par un jugement n° 1503316 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 12 novembre 2014 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a mis un terme à l'ordonnance de placement provisoire de M. D... au titre de l'aide sociale à l'enfance.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 21 février 2018, et des mémoires complémentaires enregistrés les 19 décembre 2018, 6 mai et 14 juin 2019, le département de l'Isère, représenté par la SCP Matuchansky-Poupot-Valdelièvre, demande à la cour :

1°) de surseoir à statuer et de saisir le juge civil compétent d'une question préjudicielle portant sur la caducité de l'ordonnance du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble du 7 octobre 2014 à l'expiration du délai de huit jours prévu au deuxième aliéna de l'article L. 375-5 du code civil ;

2°) d'annuler le jugement du 20 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 12 novembre 2014 par laquelle son président a mis un terme à l'ordonnance de placement provisoire de M. D... au titre de l'aide sociale à l'enfance ;

3°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Grenoble ;

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé quant à la portée de l'article 1184 du code de procédure civile ;

- sur la question préjudicielle : l'issue du litige est déterminée par l'interprétation à donner aux effets attachés à l'ordonnance de placement provisoire du procureur de la République prise en application du deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil, notamment, lorsque, à l'issue du délai de huit jours prévu par cette disposition, le procureur de la République n'a pas saisi le juge des enfants ; il est déterminant de savoir si à l'expiration du délai de huit jours, l'ordonnance du procureur de la République du 7 octobre 2014 est devenue caduque ; cette question soulève une difficulté sérieuse ;

- la décision n'est pas fondée sur les dispositions de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles ; avant l'intervention du décret du 24 juin 2016, la circulaire du ministre de la justice du 31 mai 2013 explicitait les dispositions de l'article 375-5 du code civil et précisait que le procureur de la République n'était pas tenu de saisir le juge des enfants s'il estimait que la mesure de placement provisoire n'avait pas à être prorogée ;

- l'ordonnance de placement provisoire ne produit ses effets que pour une durée limitée et elle cesse de produire ses effets si, passé le délai de huit jours, le procureur de la République n'a pas saisi le juge des enfants ; il s'agit d'une hypothèse de caducité d'un acte découlant des termes de la loi selon lesquels le procureur de la République intervient en urgence à charge de saisir dans le délai de huit jours le juge compétent ; passé le délai de huit jours, l'étranger ne peut plus pour l'avenir être regardé comme relevant du service de l'aide sociale à l'enfance et le service départemental auprès duquel il a été provisoirement placé doit mettre un terme aux prestations correspondantes ;

- le président du conseil départemental est dans une situation de compétence liée qui découle de ce que le procureur de la République a estimé ne pas devoir saisir le juge des enfants pour le maintien du placement ; la décision de l'autorité administrative de mettre un terme aux prestations d'aide sociale n'est pas subordonnée à l'intervention d'une décision de l'autorité judiciaire rapportant expressément la mesure de placement provisoire ;

- le dispositif prévu au deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil a par nature un caractère temporaire ; le placement provisoire ordonné sur ce fondement a une durée limitée et aucune possibilité de reconduction de la mesure n'est prévue ; le législateur a donc voulu que la mesure d'assistance éducative puisse elle-même cesser de produire ses effets notamment lorsque la poursuite des investigations par le ministère public a fait apparaître que la personne n'est pas mineure ; une interprétation contraire, subordonnant la levée de la mesure à une décision expresse de l'autorité judiciaire la rapportant, aurait pour conséquence de pérenniser une situation qui a été conçue comme ne devant pas excéder huit jours et elle serait contraire au principe du caractère provisoire des mesures de placement ordonnées par le procureur de la République ;

- la jurisprudence judiciaire considère que si le juge des enfants ne rend pas, dans les six mois de sa décision ordonnant des mesures provisoires, une décision au fond ou une décision de prorogation, ces mesures provisoires deviennent caduques et prennent fin automatiquement alors mêmes qu'elles ont été décidées par le juge des enfants et qu'aucune décision expresse de l'autorité judiciaire ne les a rapportées ;

- la décision du président du conseil départemental n'est que l'exécution de l'ordonnance du procureur de la République et la première ne saurait continuer à produire des effets lorsque ceux de la seconde ont cessé ; il ne peut être exigé du président du conseil départemental qu'il sollicite du procureur de la République une décision explicite pour pouvoir mettre fin à la mesure de placement alors même que l'ordonnance du procureur ne produit plus le moindre effet ;

- le dispositif de l'article 1184 du code de procédure civile ne trouve à s'appliquer que si le juge des enfants a été effectivement saisi par le procureur de la République dans le délai de huit jours prévu au deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil ;

- si l'on retient le raisonnement des premiers juges, le département serait tenu de saisir le juge des enfants lorsque le procureur ne prend aucune décision expresse à l'issue de l'expiration des huit jours d'une ordonnance de placement provisoire ; le juge des enfants dispose d'un monopole pour prononcer l'admission d'un mineur à l'aide sociale à l'enfance et non pour mettre fin à des mesures de placement provisoire ; en l'absence de décision du juge des enfants, les mesures provisoires cessent de produire leurs effets ;

- le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité administrative est inopérant en raison de ce qu'il était en situation de compétence liée ; en tout état de cause, Mme B... avait compétence pour prendre la décision litigieuse ;

- la décision n'est pas fondée sur le motif tiré de la minorité de l'étranger mais sur la circonstance que la mesure de placement provisoire ordonnée par le procureur de la République était devenue caduque en l'absence de saisine du juge des enfants ; en tout état de cause, le requérant n'établit pas qu'il aurait été mineur à la date de la décision ;

- le Conseil d'Etat a jugé, dans un arrêt du 20 juillet 2018, n° 421870, qu'en l'absence de saisine du juge des enfants dans le délai de huit jours imparti par l'article 375-5 du code civil, l'ordonnance de placement provisoire du procureur de la République ne peut plus continuer à produire d'effets et le département n'est pas tenu de maintenir le dispositif de prise en charge au titre du service de l'aide sociale à l'enfance ;

- par un arrêt du 31 janvier 2019, la cour d'appel de Grenoble a jugé qu'en l'absence de saisine du juge des enfants dans le délai de huit jours imparti par l'article 375-5 du code civil, la décision du procureur de la République est caduque ;

- la circonstance que le titre de séjour qui a été délivré à l'intéressé porte la mention d'une date de naissance le 23 octobre 1998 est sans incidence sur la légalité de la décision qui est antérieure à la délivrance du titre de séjour.

Par un mémoire enregistré le 9 mai 2019, M. D..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge du département de l'Isère en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- à la date de la décision, seules les dispositions des articles L. 223-2 et L. 223-5 du code de l'action sociale et des familles et l'article 375-5 du code civil étaient applicables aux mineurs étrangers isolés ; les dispositions de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles n'étaient pas alors applicables ; l'ordonnance du procureur de la République n'est pas intervenue du fait que l'évaluation n'aurait pas pu avoir lieu ou qu'un doute subsistait quant à sa minorité ;

- l'ordonnance de placement provisoire du procureur de la République n'est pas devenue caduque au bout de huit jours dès lors que les articles 1184 et 1185 du code civil ne prévoient pas de caducité à défaut de saisine du juge des enfants ; la caducité ne peut être prévue qu'expressément et de façon non équivoque ;

- la décision critiquée est illégale dès lors qu'elle méconnaît l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles et l'article 375-5 du code civil ; seul le juge pour enfants a le pouvoir de mettre fin à un placement provisoire auprès des services de l'aide sociale à l'enfance par le procureur de la République ; il n'appartenait pas au président du conseil départemental de mettre fin à cette mesure ;

- la décision est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il est né le 23 octobre 1998 et était mineur ;

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juin 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... D..., ressortissant nigérian se disant né le 23 octobre 1998, est entré en France en septembre 2014. Il a été accueilli dans le cadre du dispositif d'accueil d'urgence des mineurs étrangers isolés prévu par l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles pour une durée de cinq jours. A l'issue de l'évaluation conduite dans ce cadre, les services du département de l'Isère n'ont pas été en mesure de donner un avis sur la minorité de M. D... et de se prononcer sur son éligibilité à l'aide sociale à l'enfance. Le 7 octobre 2014, le département de l'Isère a saisi le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins de signalement à la suite du recueil provisoire d'un mineur isolé étranger et de placement provisoire au titre de l'aide sociale à l'enfance. Par ordonnance du 7 octobre 2014, le procureur de la République a confié M. D... au service de l'aide sociale à l'enfance à titre provisoire jusqu'au rendez-vous devant le juge des enfants prévu dans un délai de huit jours. A l'issue de ce délai de huit jours, le procureur de la République n'a pas saisi le juge des enfants. Par une décision du 12 novembre 2014, le président du conseil départemental de l'Isère a mis un terme au placement provisoire de M. D... au titre de l'aide sociale à l'enfance au motif que l'ordonnance provisoire de placement était expirée. Le département de l'Isère relève appel du jugement du 20 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 : " (...) Le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : 1° Sur les litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi, mentionnés à l'article R. 772-5, y compris le contentieux du droit au logement défini à l'article R. 778-1 (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1° des prestations d'aide sociale à l'enfance ; (...) " ; aux termes de l'article L. 223-2 de ce code : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. /. En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. (...) " ; aux termes de l'article R. 221-11 du même code : " I.-Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II.-Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) IV.-Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ".

4. L'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance relève du chapitre III " Droits des familles dans leurs rapports avec les services de l'aide sociale à l'enfance ", du titre II " Enfance " du livre II " Différentes formes d'aide et d'action sociale " du code de l'action sociale et des familles. Ainsi le dispositif dont a bénéficié M. D... est une aide accordée au titre de l'action sociale. Dès lors, le recours formé contre la décision du président du conseil départemental de l'Isère mettant un terme au placement provisoire de M. D... au titre de l'aide sociale à l'enfance décidée à la suite de l'ordonnance de 7 octobre 2014 du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble est au nombre des litiges sur lesquels, en application de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. En conséquence, la requête du département de l'Isère ne relève pas de la compétence de la cour administrative d'appel mais de celle du Conseil d'Etat statuant comme juge de cassation. Par suite, et sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer pour saisir le juge civil d'une question préjudicielle, il y a lieu de transmettre la requête du département de l'Isère au Conseil d'Etat.

DECIDE :

Article 1er : La requête du département de l'Isère est transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au département de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président-assesseur,

Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 10 octobre 2019.

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N° 18LY00735


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY00735
Date de la décision : 10/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

04-02-02 Aide sociale. Différentes formes d'aide sociale. Aide sociale à l'enfance.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY et POUPOT et VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-10-10;18ly00735 ?
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