Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 19 janvier 2016 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d'indemnisation des conséquences dommageables du cancer de la vessie dont il souffre, de condamner sous astreinte ce comité à l'indemniser des conséquences dommageables de cette pathologie avec intérêts aux taux légal et capitalisation des intérêts et de mettre à la charge du même comité les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Par un jugement n° 1601145 du 20 mars 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 mai 2017 et le 24 janvier 2018, M. A... B..., représenté par la SCP Teissonnière Topaloff Lafforgue Andreu et Associés, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1601145 du 20 mars 2017 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) d'annuler la décision du 19 janvier 2016 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d'indemnisation des conséquences dommageables du cancer de la vessie dont il souffre ;
3°) d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de réexaminer sa demande d'indemnisation et de l'indemniser des conséquences dommageables de cette maladie dans un délai de trois mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de majorer le montant de l'indemnisation des intérêts au taux légal à compter de la première demande d'indemnisation et des intérêts capitalisés ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a séjourné à Mururoa (Polynésie française) du 25 juin 1971 au 22 décembre 1972, dans des lieux et durant une période correspondant aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, et est victime d'un cancer de la vessie, maladie radio-induite inscrite en annexe au décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;
- en application du II de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, la décision en litige doit être annulée et le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires doit indemniser les conséquences dommageables de cette maladie, dès lors qu'il a été soumis à une contamination interne par inhalation ou ingestion de gaz ou poussières radioactifs et que l'administration ne rapporte pas la preuve que ladite pathologie résulte exclusivement d'une cause étrangère à son exposition aux rayonnements ionisants ;
- il a droit, à l'indemnisation intégrale des préjudices qu'il subit du fait du cancer de la vessie dont il souffre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2018, le ministre des armées conclut à sa mise hors de cause.
Il fait valoir que le litige porte sur une décision rendue par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, lequel est compétent pour assurer la défense de ses décisions.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 février 2018, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que M. B... n'a pas été exposé aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français ; en effet,
si son séjour du 25 juin 1971 au 22 décembre 1972 à Mururoa en qualité d'électricien chargé de la maintenance à bord du bâtiment de soutien logistique Garonne a été contemporain de sept expérimentations nucléaires réalisées en Polynésie française entre le 4 juillet 1971 et le 31 juillet 1972, il se trouvait à bord de ce bâtiment, dont l'ensemble des personnels appartenait à la catégorie radiologique " non affecté à des travaux sous rayonnements ionisants ", à une distance de sécurité de plusieurs dizaines de nautiques du point zéro pour chacun de ces huit essais et les conditions météorologiques étaient choisies et suivies pour éviter que les vents dominants de surface n'entraînent de retombées contaminantes sur les bâtiments de la Marine nationale ; les dix-huit dosimètres d'ambiance placés à bord du bâtiment de soutien logistique Garonne ont tous donné des résultats inférieurs à la limite de détection des appareils ; dans ces conditions, il n'a pu faire l'objet d'un irradiation externe ;
il n'a pu subir de contamination interne, dès lors que, concernant l'alimentation, l'ensemble du personnel du Centre d'expérimentations du Pacifique et des bâtiments de la Marine nationale en relevant ne consommait pas les produits des cultures vivrières locales ni les poissons du lagon de Mururoa, l'eau de table et la totalité des produits frais provenant de Tahiti, les produits congelés, les viandes et les laitages de métropole, des Etats-Unis d'Amérique, de Nouvelle-Zélande et de Tahiti, les conserves, les pâtes et le riz de métropole et que l'eau douce à usage sanitaire produite par les bouilleurs de navire ne comportait aucun risque de nature radiobiologique.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. En mars 2013, M. B... a saisi le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'une demande tendant à la réparation des conséquences dommageables du cancer de la vessie dont il souffre et qu'il estime imputable aux essais nucléaires français. Par une décision du 19 janvier 2016, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté cette demande d'indemnisation. M. B... relève appel du jugement n° 1601145 du 20 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 19 janvier 2016 et à l'indemnisation des conséquences dommageables de cette maladie.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit. ". Selon l'article 2 de cette même loi dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige du 19 janvier 2016 : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". L'article 4 de cette même loi, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige et antérieure à la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, disposait : " I. - Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui se prononce par une décision motivée dans un délai de huit mois suivant le dépôt du dossier complet. / (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé / (...) ". Aux termes de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : "à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé." sont supprimés. / II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. / (...) ".
3. Il résulte du II de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, cité au point précédent, d'une part, que le législateur a confié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires une nouvelle demande d'indemnisation. Compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point. En revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires le soin de réexaminer la demande.
4. Les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, qui excluaient le bénéfice de la présomption de causalité dans le cas où le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait être considéré comme négligeable. Le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.
5. D'une part, il est constant que M. B..., né le 6 septembre 1952, a été affecté en qualité d'électricien chargé de la maintenance à bord du bâtiment de soutien logistique Garonne à Mururoa (Polynésie française) du 25 juin 1971 au 22 décembre 1972 et qu'il souffre d'un cancer de la vessie diagnostiqué en 2011, pathologie inscrite sur la liste des maladies radio-induites au sens de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010. Ainsi, il satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée et bénéficie, dès lors, de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie.
6. D'autre part, il est constant que le séjour de M. B... du 25 juin 1971 au 22 décembre 1972 à Mururoa a été contemporain de sept expérimentations nucléaires réalisées en Polynésie française entre le 4 juillet 1971 et le 31 juillet 1972. Si l'intéressé se trouvait à bord du bâtiment de soutien logistique Garonne, dont l'ensemble des personnels appartenait à la catégorie radiologique " non affecté à des travaux sous rayonnements ionisants ", à une distance de sécurité de plusieurs dizaines de nautiques du point zéro pour chacun de ces sept essais et dans des conditions météorologiques choisies et suivies pour éviter que les vents dominants de surface n'entraînent de retombées contaminantes sur les bâtiments de la Marine nationale et si les dix-huit dosimètres d'ambiance placés à bord du bâtiment de soutien logistique Garonne ont tous donné des résultats inférieurs à la limite de détection des appareils, il est constant qu'il n'a pas fait l'objet d'une surveillance de la contamination interne. Si, concernant l'alimentation, l'ensemble du personnel du Centre d'expérimentations du Pacifique et des bâtiments de la Marine nationale en relevant ne consommait pas les produits des cultures vivrières locales ni les poissons du lagon de Mururoa, l'eau de table et la totalité des produits frais provenant de Tahiti, les produits congelés, les viandes et les laitages de métropole, des Etats-Unis d'Amérique, de Nouvelle-Zélande et de Tahiti, les conserves, les pâtes et le riz de métropole, et si l'eau douce à usage sanitaire produite par les bouilleurs de navire ne comportait aucun risque de nature radiobiologique, une contamination interne de M. B... par radioactivité due aux essais nucléaires ne peut être totalement exclue. Dans ces conditions, l'administration ne peut être regardée comme apportant des éléments suffisants de nature à établir que la pathologie dont souffre l'intéressé résulterait exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'aurait subi aucune exposition à de tels rayonnements.
7. Il résulte de tout ce qui précède qu'est illégale la décision du 19 janvier 2016 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté la demande présentée par M. B... et tendant à la réparation des conséquences dommageables du cancer de la vessie dont il souffre. Par suite, le requérant est fondé à soutenir, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
8. Compte tenu de ce qu'il a été dit au point 3, l'annulation de la décision du 19 janvier 2016 implique seulement que la demande d'indemnisation de M. B... soit renvoyée à fin de second réexamen au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre audit comité d'examiner une seconde fois cette demande dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions à fin indemnitaire :
9. Eu égard à la date de la décision en litige et à l'office du juge tel que défini au point 3, il n'appartient pas à la cour, dans le cadre de la présente instance, de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par M. B... ni sur celles tendant à l'octroi des intérêts et à la capitalisation des intérêts.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Sont annulés le jugement n° 1601145 du 20 mars 2017 du tribunal administratif de Dijon et la décision du 19 janvier 2016 du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires prise sur la demande d'indemnisation de M. B....
Article 2 : Il est enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de réexaminer la demande d'indemnisation de M. B... dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 31 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Caraës, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 février 2019.
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N° 17LY02016