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16/06/2016 | FRANCE | N°16MA00976

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 16 juin 2016, 16MA00976


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler, d'une part, la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 3 avril 2012, ayant prononcé son maintien au répertoire des détenus particulièrement signalés et, d'autre part, la décision implicite de rejet de son recours gracieux dirigé contre cette décision.

Par un jugement n° 1302373 du 16 octobre 2014, le tribunal administratif de Toulon, à qui la demande de M. B... a été transmise en application de l'article R. 35

1-3 du code de justice administrative, a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler, d'une part, la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 3 avril 2012, ayant prononcé son maintien au répertoire des détenus particulièrement signalés et, d'autre part, la décision implicite de rejet de son recours gracieux dirigé contre cette décision.

Par un jugement n° 1302373 du 16 octobre 2014, le tribunal administratif de Toulon, à qui la demande de M. B... a été transmise en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 14MA04852 du 5 juin 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la garde des sceaux, ministre de la justice contre ce jugement.

Par une décision n° 392421 du 10 mars 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur pourvoi de la garde des sceaux, ministre de la justice, annulé l'arrêt susmentionné du 5 juin 2015 et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par un recours et un mémoire complémentaire, enregistrés le 8 décembre 2014 et le 22 avril 2015, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 16 octobre 2014 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon.

Elle soutient que :

- M. B... n'établit pas que l'ensemble des membres de la commission locale des détenus particulièrement signalés (DPS) n'auraient pas été convoqués ;

- cette commission a bien examiné la situation de l'intéressé le 14 décembre 2011 ;

- l'instruction ministérielle du 18 décembre 2007 ne proscrit pas l'usage de moyens de télécommunications pour la réunion de la commission et le fait que la transmission des avis soit effectuée par voie dématérialisée ne constitue pas une irrégularité de procédure ;

- la commission nationale a été destinataire de la synthèse établie par le procureur de la République des avis des membres de la commission locale, M. B... ayant ainsi bénéficié du double examen de sa situation dans les conditions prévues par l'instruction du 18 décembre 2007 ;

- la circonstance que la décision litigieuse ne comporte pas le visa du compte-rendu de la commission locale du 14 décembre 2011 est sans incidence sur sa légalité ;

- cette décision est suffisamment motivée ;

- M. B... ne saurait utilement invoquer l'inconstitutionnalité de l'article 728 du code de procédure pénale antérieur à la loi du 24 novembre 2009, la décision contestée ayant été prise postérieurement à l'adoption de cette loi ;

- l'article D. 276-1 du code de procédure pénale donne compétence au ministre de la justice pour déterminer, par voie de circulaire, les conditions d'inscription au répertoire des DPS ;

- la décision en cause ne repose pas sur des faits matériellement inexacts au regard des motifs ayant conduit à la condamnation pénale ;

- le maintien de l'inscription de M. B... au répertoire DPS n'est pas fondé sur le traitement médiatique de sa situation, mais sur le grave trouble à l'ordre public que ne manquerait pas de provoquer une éventuelle évasion, ainsi que sur son appartenance à la criminalité organisée ;

- cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne porte pas atteinte au droit à la réinsertion de l'intéressé ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2015, M.B..., représenté par Me C..., SCP C...et Sureau, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, subsidiairement à l'annulation de la décision du 3 avril 2012 du garde des sceaux, ministre de la justice, et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux, et que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré de ce que de ce que le jugement attaqué est entaché d'erreur de fait est inopérant ;

- les autres moyens soulevés par la garde des sceaux, ministre de la justice, ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la circulaire de la DAP 2007 du 18 décembre 2007 d'application de l'instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guidal, président,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A... B..., placé sous mandat de dépôt le 5 juillet 2003 à la maison d'arrêt de la Santé (Paris), a été condamné de manière définitive le 20 juin 2011 par la cour d'assises de Paris spécialement composée, statuant en appel, à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, avec période de sûreté de dix-huit ans, pour des faits d'assassinat, dégradation de biens d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, vol avec arme, enlèvement et séquestration suivis d'une libération avant le 7ème jour en bande organisée, violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à huit jours, et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme ; que, le 30 août 2011, il a été écroué au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, puis a été transféré le 6 décembre 2012 suivant à la maison centrale d'Arles ; que M. B... a été inscrit pour la première fois au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) le 7 juillet 2003 ; que, le 14 décembre 2011, la commission locale DPS du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède a rendu un avis favorable au maintien de son inscription à ce répertoire ; que cet avis a été confirmé par la commission nationale DPS du 15 décembre 2011 ; que le 17 février 2012, M. B... a été informé qu'il était envisagé de procéder à son maintien au répertoire DPS et de la faculté qui lui était offerte de présenter des observations ; qu'un débat contradictoire s'est tenu sur la mesure envisagée le 21 mars suivant ; que, le 3 avril 2012, la garde des sceaux, ministre de la justice, a maintenu M. B... au répertoire DPS, décision implicitement confirmée sur recours gracieux de l'intéressé du 1er juin 2012 ; que M. B... a présenté une demande au tribunal administratif de Paris, transmise au tribunal administratif de Toulon, tendant à l'annulation de ces deux décisions ; que, par un jugement du 16 octobre 2014, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande de M. B... et a annulé lesdites décisions ; que par un arrêt du 5 juin 2015, la Cour a rejeté le recours formé par la garde des sceaux, ministre de la justice, contre ce jugement ; qu'enfin, par une décision du 10 mars 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur pourvoi de la garde des sceaux, ministre de la justice, annulé l'arrêt susmentionné du 5 juin 2015 et renvoyé l'affaire à la Cour, au motif qu'elle avait commis une erreur de droit en estimant que l'abrogation de l'article 728 du code de procédure pénale avait eu pour effet de priver de base légale l'article D. 276-1 du code de procédure pénale ;

Sur les règles de droit applicables au litige :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire visée ci-dessus : " Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes condamnées " ; qu'aux termes de l'article 22 de la même loi : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue " ; qu'enfin, l'article D. 276-1 du code de procédure pénale prévoit qu'" en vue de la mise en oeuvre des mesures de sécurité adaptées, le ministre de la justice décide de l'inscription et de la radiation des détenus au répertoire des détenus particulièrement signalés dans des conditions déterminées par instruction ministérielle " ;

3. Considérant que l'inscription d'un détenu au répertoire des détenus particulièrement signalés a pour seul effet d'appeler l'attention des personnels pénitentiaires et des autorités amenées à le prendre en charge sur ce détenu, en intensifiant à son égard les mesures particulières de surveillance, de précaution et de contrôle prévues pour l'ensemble des détenus par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ; que, dans ce cadre, seules peuvent être apportées aux droits des détenus les restrictions résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes, dans les strictes limites prévues par la loi ;

4. Considérant que le pouvoir réglementaire est compétent pour édicter le régime applicable aux détenus particulièrement signalés, qui, ainsi qu'il a été dit au point précédent, a pour seul effet de prescrire aux personnels et autorités pénitentiaires de faire preuve d'une vigilance particulière s'agissant de certains individus ; que les limites éventuellement portées aux droits des détenus par le régime ainsi défini ne peuvent cependant légalement intervenir que dans le respect des conditions définies par le législateur, notamment aux articles 22 et suivants de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; que le moyen tiré du défaut de base législative de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale, résultant selon l'intimé de la décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014 du Conseil constitutionnel, ne peut qu'être écarté, dès lors que ces dispositions demeurent légalement en vigueur après l'intervention de la loi du 24 novembre 2009 qui a abrogé l'article 728 du code de procédure pénale, dont il est soutenu en défense qu'elles étaient le fondement légal de l'article D. 276-1 du même code; qu'en application de cet article, la circulaire ministérielle du 18 décembre 2007 susvisée alors en vigueur précise les conditions de surveillance des détenus particulièrement signalés ;

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 1.2.1 de la circulaire ministérielle du 18 décembre 2007 : " La décision d'inscription au répertoire des DPS relève de la compétence du ministre de la justice en application de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale. Le ministre de la justice décide, au vu des avis émis par la commission locale DPS puis par la commission nationale DPS, de l'inscription au répertoire des DPS. " ; que selon l'article 1.2.2 de cette même instruction : " a) Composition. Les membres de cette commission sont : - le procureur de la République ; - le préfet ou son représentant, en cas de nécessité ; - le directeur interrégional des services pénitentiaires ou son représentant ; - le chef d'établissement pénitentiaire ou son représentant ; - un représentant de chacun des services de police exerçant leurs activités dans le ressort du tribunal ; - le commandant du groupement de gendarmerie départementale ou son représentant ; - les juges d'instruction, de l'application des peines ainsi que tout magistrat concerné. Pour les détenus terroristes, le juge de l'application des peines de Paris en charge des condamnés pour affaires de terrorisme ainsi que le parquet de l'exécution des peines de Paris sont sollicités et peuvent donner leur avis écrit. La commission locale DPS se réunit au sein de chaque établissement sous l'autorité du procureur de la République. / b) Avis. Les membres de la commission locale DPS formulent un avis sur l'opportunité de l'inscription d'un détenu au répertoire des DPS en tenant compte des critères définis au paragraphe I.11.1 de la présente instruction. Le procureur de la République établit une synthèse des avis formulés comportant tous les éléments de nature à apprécier la pertinence de l'inscription " ; qu'aux termes du b) de l'article 1.2.3 de cette même circulaire : " La commission nationale DPS examine les propositions d'inscription au répertoire des DPS qui lui ont été transmises par les commissions locales DPS. (...) " ; qu'enfin, selon son article 2.1. : " L'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés ne revêt jamais un caractère définitif. / Les détenus qui ont été inscrits au répertoire des DPS doivent être radiés lorsque les raisons qui avaient motivé leur inscription ont disparu. / Ainsi, la situation de chaque détenu inscrit au sein de ce registre doit être réexaminée au moins une fois par an à partir de la date d'inscription initiale dans le cadre de la commission locale DPS ".

6. Considérant que la proposition de maintenir l'inscription de M. B... au répertoire des détenus particulièrement signalés a été soumise pour avis à la commission locale DPS du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède dans sa séance du 14 décembre 2011, ainsi qu'il ressort de la lettre du 14 décembre 2011 du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulon, produite pour la première fois à hauteur d'appel, et de la synthèse que ce magistrat a établi à l'issue de cette séance ; que si l'avis rendu par la commission nationale le 15 décembre suivant, comme la décision litigieuse du 3 avril 2012, ne se réfèrent pas à cet avis émis par la commission locale, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de cette consultation ; qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce que M. B... n'avait pas bénéficié du double examen de sa situation prescrit par l'instruction ministérielle du 18 décembre 2007 à défaut de la consultation de la commission locale DPS, et que la procédure suivie était irrégulière dans la mesure où l'intéressé avait été ainsi privé d'une garantie ;

7. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon et devant la Cour ;

Sur les autres moyens dirigés contre les décisions litigieuses :

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

S'agissant de la procédure suivie devant la commission locale :

8. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ;

9. Considérant que si la proposition de maintenir l'inscription de M. B... au répertoire des détenus particulièrement signalés a été soumise pour avis à la commission locale DPS dans sa séance du 14 décembre 2011, ainsi qu'il a été dit au point 6, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que tous ses membres auraient été régulièrement convoqués, ni même qu'ils auraient été tous invités à émettre un avis sur cette mesure, ou encore qu'ils auraient régulièrement délibéré sur son opportunité, alors que la garde des sceaux, ministre de la justice, s'est bornée à produire le seul avis du directeur de l'établissement pénitentiaire du 12 octobre 2011 et la synthèse du procureur de la République qui ne comporte aucune indication sur les membres consultés, sans verser aux débats un quelconque justificatif d'une convocation des autres membres de la commission ou de l'avis émis par ceux-ci, fussent-ils transmis par voie électronique, ou encore un procès-verbal de réunion faisant état de la participation des membres présents ; que ces éléments ne sauraient être produits que par l'administration et n'être réclamés qu'à elle, dans la mesure où elle seule est susceptible de les détenir ; qu'ainsi, M. B... est fondé à soutenir que l'avis de la commission locale DPS a été émis à l'issue d'une procédure irrégulière au regard des dispositions précitées de l'article 1.2.2 de la circulaire du 18 décembre 2007, sans qu'une situation d'urgence ne justifie une telle dérogation ;

10. Considérant, toutefois, qu'eu égard au fait que la commission locale DPS est composée exclusivement d'agents de l'Etat et n'a pas vocation à entendre le détenu, que la mesure envisagée faisait l'objet d'un consensus parmi les services intéressés, à la circonstance que la commission nationale, dont la ministre s'est appropriée les termes de l'avis, a émis un avis favorable sur la mesure envisagée, au fait que M. B... a été, postérieurement à l'émission de ces deux avis, entendu sur la mesure envisagée lors d'un débat contradictoire organisé par l'administration pénitentiaire le 21 mars 2012 et que son conseil a pu transmettre ses observations écrites sur cette mesure avant son édiction, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette irrégularité aurait exercé une influence sur le principe ou le contenu de la décision prise par la garde des sceaux, ministre de la justice, ni qu'elle ait privé l'intéressé d'une garantie ; que le moyen tiré du vice de procédure doit, par suite, être écarté ;

11. Considérant qu'à la date des décisions litigieuses, les conditions de surveillance des détenus particulièrement signalés étaient fixées par la circulaire ministérielle du 18 décembre 2007 et non par celle du 15 octobre 2012 qui s'est substitué à celle-ci à compter de son entrée en vigueur ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les prescriptions procédurales de l'instruction du 15 octobre 2012 auraient été méconnues est inopérant ;

S'agissant de la motivation de la décision du 3 avril 2012 :

12. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) imposent des sujétions (légalement en vigueur après l'intervention de la loi du 24 novembre 2009 qui a abrogé l'article 728 du code de procédure pénale, dont il est soutenu en défense qu'elles étaient le fondement légal de l'article D. 276-1 du même code). " ; que la décision contestée, qui impose des sujétions, est soumise à l'obligation de motivation prévue par la loi du 11 juillet 1979 ;

13. Considérant que la décision contestée vise l'article D. 276-1 du code de procédure pénale, la circulaire ministérielle du 18 décembre 2007 relative au répertoire des détenus particulièrement signalés, l'avis rendu par la commission nationale DPS le 15 décembre 2011 ainsi que les observations présentées par l'intéressé le 21 mars 2012 lors du débat contradictoire ; qu'elle mentionne que le maintien de M. B... au répertoire des détenus particulièrement signalés est motivé par son appartenance à la mouvance terroriste corse dont atteste notamment sa condamnation par la cour d'assises spéciale de Paris, statuant en appel, pour assassinat et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, par les soutiens extérieurs dont il serait susceptible de bénéficier dans la perspective d'une tentative d'évasion, par ses velléités de se soustraire à la justice ainsi qu'en atteste la période de plus de quatre années à échapper aux recherches des forces de l'ordre et enfin par le grave trouble à l'ordre public et le retentissement qu'aurait une évasion au regard de la médiatisation des faits pour lesquels il est détenu ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient M. B..., la décision contestée satisfait aux exigences de motivation posées aux articles 1er et 3 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

14. Considérant, en premier lieu, que, ainsi qu'il a été dit au point 4, l'article D. 276-1 du code de procédure pénale n'est pas dépourvu de fondement législatif et le pouvoir réglementaire était compétent pour édicter le régime applicable aux détenus particulièrement signalés ; que, dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait dépourvue de tout base légale ou que l'administration était tenue de laisser inappliquées les dispositions de cet article D. 276-1 ;

15. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces produites par l'administration en première instance que M. B... est bien inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés depuis le 7 juillet 2003 et que l'administration a seulement entendu procéder au maintien de cette inscription ; que, par suite, et en tout état de cause, le moyen invoqué devant les premiers juges et tiré de ce que cette inscription devrait s'analyser comme une première inscription, et non comme une réinscription, manque en fait ;

16. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 1.1 de la circulaire ministérielle du 18 décembre 2007 précitée : " Les critères d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés sont liés au risque d'évasion et à l'intensité de l'atteinte à l'ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi qu'au comportement particulièrement violent en détention de certains détenus./ Les détenus susceptibles d'être inscrits au répertoire des DPS sont : (...) 3° les détenus dont l'évasion pourrait avoir un impact important sur l'ordre public en raison de leur personnalité et/ou des faits pour lesquels ils sont écroués ; / 4° les détenus appartenant à la criminalité organisée nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes mais n'ayant pas participé à une tentative d'évasion (...) " ;

17. Considérant que le maintien de l'inscription M. B... au registre des détenus particulièrement signalés a été décidé par la ministre de la justice, comme il a été dit au point 13, compte tenu de ses relations avec la mouvance terroriste corse et du retentissement qu'aurait son évasion au regard de la médiatisation des faits pour lesquels il est détenu ; que si l'intéressé conteste entretenir ou avoir entretenu des liens avec des personnes affiliées à un groupe terroriste, il ressort toutefois des constatations de fait qui sont le support nécessaire du dispositif de l'arrêt définitif du 20 juin 2011 de la cour d'appel de Paris et qui s'imposent au juge administratif avec l'autorité de la chose jugée au pénal, que l'intéressé a été reconnu coupable des faits d'assassinat du préfet Erignac et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que depuis son incarcération M. B... aurait entendu rompre tout lien avec la mouvance terroriste corse et qu'il ne disposerait pas de soutiens extérieurs ; qu'alors même que l'intéressé a fait l'objet d'une évaluation par les services pénitentiaires de son potentiel de dangerosité mentionnant " un risque faible ou ordinaire ", l'existence de liens avec cette mouvance ne permet pas d'écarter tout risque d'évasion, laquelle aurait nécessairement un impact important sur l'ordre public au regard de la nature et de la gravité des faits à l'origine de sa condamnation ; que, par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté litigieux serait entaché d'une erreur de fait ou d'une méconnaissance des dispositions précitées de la circulaire ministérielle du 18 décembre 2007 doivent être écartés ;

18. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ", et de celles de son article 8 : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'il en résulte que tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d'exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; qu'en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend de leur vulnérabilité mais aussi des dangers qui résultent de leur personnalité, de leurs antécédents et de leur comportement en détention, eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes ;

19. Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'instruction ministérielle du 18 décembre 2007, prise sur le fondement de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale, l'inscription d'un détenu sur le répertoire des détenus particulièrement signalés par le ministre de la justice, mesure périodiquement réexaminée et qui est prise sous le contrôle du juge, résulte de l'examen individuel de la situation du détenu au regard des antécédents de violence et des risques d'évasion qu'il présente ; que, d'autre part, si elle invite les personnels pénitentiaires qui prennent en charge le détenu particulièrement signalé à exercer une vigilance accrue et à user de contrôles renforcés, la décision attaquée n'a pas pour effet de rendre impossible les visites de sa famille à M. B... et ne saurait autoriser ces personnels à prévoir des mesures systématiques, sans examen de la nécessité et de la proportionnalité de chacune d'entre elles ; que, dans cette mesure, si les décisions contestées font obstacle à l'affectation de M. B... dans un centre de détention situé en Corse où résident ses proches, elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit que l'intéressé tire des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précitées ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les obligations positives mises à la charge de l'Etat sur le fondement de ces stipulations, ainsi que les principes de nécessité et de proportionnalité, de nature à garantir que les détenus concernés ne subissent pas des contraintes excessives au regard de leurs libertés personnelles et ne soient pas détenus dans des conditions susceptibles de conduire au délitement du lien familial, doit être écarté ;

20. Considérant, enfin, que si l'inscription d'un détenu au répertoire des détenus particulièrement signalés rend applicables aux intéressés certaines mesures spécifiques énoncées au 1. du § II de la circulaire ministérielle du 18 décembre 2007, il résulte de ces mêmes dispositions qu'elle n'entraîne pas la privation d'accès aux activités qui sont les mêmes que celles proposées aux autres détenus ; que, dans ces conditions, les décisions litigieuses ne portent par elles-mêmes atteinte ni aux objectifs d'amendement et de reclassement social attachés aux peines subies par les détenus tels qu'ils sont fixés par les stipulations du paragraphe 3 de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni aux dispositions citées ci-dessus de la loi du 24 novembre 2009 et du code de procédure pénale qui assignent à la peine de privation de liberté un objectif de réinsertion des personnes détenues, à travers notamment l'accès aux activités proposées par l'établissement pénitentiaire ;

21. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision contestée du 3 avril 2012 ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux dirigé contre cette décision ;

22. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l 'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 16 octobre 2014 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. A... B.légalement en vigueur après l'intervention de la loi du 24 novembre 2009 qui a abrogé l'article 728 du code de procédure pénale, dont il est soutenu en défense qu'elles étaient le fondement légal de l'article D. 276-1 du même code

Délibéré après l'audience du 31 mai 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lascar, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- M. Chanon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 juin 2016.

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N° 16MA00976 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA00976
Date de la décision : 16/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. Exécution des jugements. Exécution des peines. Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. LASCAR
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-06-16;16ma00976 ?
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