Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 14 novembre 2012 de l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de la Haute-Savoie de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) de Rhône-Alpes autorisant la société Papeterie du Léman à le licencier pour motif économique, ensemble la décision du 10 mai 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail du 14 novembre 2012, a autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 1303748 du 11 juillet 2016, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2013 en tant qu'elle autorisait le licenciement pour motif économique de M. B... et a mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 3 août 2016, et des mémoires, enregistrés les 26 janvier 2017 et 31 mai 2018, présentés pour la société Papeterie du Léman, il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1303748 du 11 juillet 2016 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a annulé la décision du 10 mai 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé le licenciement pour motif économique de M. B... ;
2°) de rejeter les conclusions de M. B... devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- alors qu'il appartenait à M. B..., en tant que demandeur, énonçant un argument tenant à l'existence d'un groupe plus étendu que celui auquel la société soutient appartenir, d'apporter la preuve de l'existence et de l'étendue de ce groupe, ce qu'il n'a pas fait, c'est à tort que le tribunal a estimé que le cadre d'appréciation des difficultés économiques aurait dû être étendu à d'autres sociétés, au-delà du seul groupe PVL, au motif qu'il existerait un même secteur d'activité entre, d'une part, les sociétés Papeteries du Léman et Papeteries des Vosges et, d'autre part, diverses sociétés détenues par M. A... D..., alors qu'il n'est pas démontré l'existence d'une identité d'activité entre la société requérante, qui produit des papiers minces, et, d'autres sociétés du groupe évoqué, qui n'a au demeurant aucune existence juridique ; la circonstance que la société, de manière volontaire, dépassant ce faisant le cadre normal de ses obligations, a tenté une recherche de reclassement parmi des sociétés clientes, fournisseurs et concurrentes, tant dans le domaine du papier à cigarettes que celui des impressions minces, n'est pas de nature à démontrer l'existence d'un même secteur d'activité au sein d'un groupe pour l'appréciation des difficultés économiques ;
- la réalité du motif économique est établie ;
- l'employeur a satisfait à son obligation de recherche de reclassement ;
- la mesure de licenciement est dénuée de lien avec le mandat de M. B....
Par des mémoires, enregistrés les 11 octobre 2016, 9 novembre 2017, 1er et 5 juin 2018 (ces derniers n'ayant pas été communiqués), présentés pour M. B..., il conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;
- les conclusions de Mme Bourion, rapporteur public ;
- les observations de Me Serre, avocat de la société Papeterie du Léman et de Me Darves-Bornoz, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Papeterie du Léman (PDL), qui a pour activité la fabrication de papiers minces, principalement de papier utilisé pour l'édition religieuse, juridique, pratique ou de prestige, mais également destiné à l'impression de notices pharmaceutiques ou cosmétiques et à la fabrication de papier pour les cigarettes, appartient depuis 2009, avec la société Papeteries des Vosges (PDV), au groupe PVL Holdings dont le siège se situe à Paris, lui-même créé en 2009 lors de la vente de ces deux sociétés à deux sociétés américaines détenues par M. A... D... et sa famille via des trusts américains. En raison de difficultés financières marquées par plusieurs résultats nets déficitaires et un endettement important en dépit d'une recapitalisation, la société PDL a engagé une restructuration emportant la suppression de plusieurs emplois, dont celui de laborantin occupé par M. B..., titulaire par ailleurs d'un mandat de délégué du personnel suppléant. A la suite de la demande d'autorisation de procéder au licenciement pour motif économique de M. B... présentée par l'entreprise le 19 octobre 2012, l'inspecteur du travail a accordé cette autorisation par une décision du 14 novembre 2012, à la suite de laquelle M. B... a été licencié par lettre du 20 novembre 2012. Saisi d'un recours hiérarchique par ce salarié, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, par une décision du 10 mai 2013, annulé la décision de l'inspecteur, au motif d'une motivation insuffisante concernant les démarches de l'employeur en vue du reclassement, puis a autorisé le licenciement pour motif économique de M. B.... La société (PDL) interjette appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a annulé la décision du 10 mai 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé le licenciement pour motif économique de M. B....
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation économique de l'entreprise ou des entreprises du même groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité justifie le licenciement du salarié en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié. Si la société demanderesse relève d'un groupe dont la société mère a son siège à l'étranger, l'autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de la société demanderesse pour apprécier la situation économique mais est tenue de faire porter son appréciation sur l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société en cause sans qu'il y ait lieu de limiter cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France ni aux établissements de ce groupe situés en France.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit, la société requérante comme sa société soeur Papeterie des Vosges (PDV) oeuvrent dans le secteur d'activités de la production de papier, et plus spécifiquement du " papier mince ", destiné, en 2012, à hauteur de 45 %, à l'édition, de 30 % aux notices pharmaceutiques, de 10,41 % à la fabrication de cigarettes et de carnets de papier à rouler, cette dernière activité ne représentant, en 2010, que 18 %, en 2011, 21 % et, en 2012, 22,94 % du chiffre d'affaires global de la société. Il en ressort également que le papier produit par la société requérante est commercialisé exclusivement auprès d'autres industriels. Si une partie de la production de papier mince de la société PDL est vendue à d'autres sociétés contrôlées, comme la société requérante, par M. A... D..., et en particulier à la société Republic Technologies France (RTF), spécialisée dans la production et la commercialisation d'articles pour fumeurs, pour la fabrication par cette dernière de carnets de papier à rouler, il n'est pas contesté que la société PDL ne fabrique que la matière première, qu'elle cède, sous forme de rouleaux de papier mince de très grande taille à son client, la société RTF, laquelle fabrique des produits finis en procédant à la découpe, au pliage, au gommage, à l'enchevêtrage, puis au conditionnement en carton du papier à rouler, qui ne constitue au demeurant qu'une partie des divers articles pour fumeurs qu'elle produit. Ainsi, alors que la société PDL ne dispose d'aucun savoir-faire ni de l'équipement nécessaire à la fabrication de carnets de papier à rouler, et que la société PDV ne fabrique au demeurant pas de papier à cigarettes, la société RTF ne dispose, pour sa part, ni de la compétence ni des machines nécessaires à la fabrication de papier. Il en résulte que les sociétés contrôlées par M. A... D... autres que celles relevant du groupe PVL Holdings, dont il n'est pas soutenu qu'elles interviennent dans la fabrication de papier, ne peuvent être regardées comme oeuvrant dans le même secteur d'activité que celui des sociétés dudit groupe. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision ministérielle en litige, les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré de ce qu'en s'abstenant de rechercher si, parmi les autres sociétés détenues par M. A... D..., certaines oeuvraient dans le même secteur d'activité que la société PDL, le ministre chargé du travail a commis une erreur d'appréciation dans la définition du périmètre d'examen des difficultés économiques alléguées par la société PDL.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....
5. En premier lieu, d'une part, en vertu des dispositions des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire. En revanche, aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire. Il en va toutefois autrement si l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et si, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation.
6. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, aujourd'hui codifiées aux articles L. 121-1, L. 122-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l'égard du bénéficiaire d'une décision, lorsque l'administration est saisie par un tiers d'un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi, le ministre chargé du travail, saisi sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.
7. Dès lors que le ministre chargé du travail, saisi par M. B... d'un recours hiérarchique formé contre la décision par laquelle l'inspecteur du travail avait autorisé la société PDL à le licencier, n'a pas annulé ladite décision de l'inspecteur pour ne pas avoir lui-même méconnu le caractère contradictoire de la procédure, aucun principe ne faisait obligation audit ministre de procéder lui-même à une enquête contradictoire. De même, dès lors que la décision par laquelle l'inspecteur du travail avait autorisé l'employeur de M. B... à le licencier n'avait créé aucun droit au profit de ce salarié, il n'incombait pas au ministre, saisi par l'intéressé d'un recours hiérarchique, de mettre son auteur à même de présenter des observations. Par suite, le moyen tiré du non respect du caractère contradictoire de la procédure ayant conduit à la décision ministérielle en litige ne peut qu'être écarté comme inopérant.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction à la date de la décision en litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
9. Il ressort des pièces du dossier qu'en raison des résultats économiques du groupe PVL, qui présentait ainsi pour 1'année 2011 un résultat net déficitaire de 4 435 576 euros, causé essentiellement par le résultat net déficitaire de la société PDL, celle-ci a engagé une restructuration emportant suppression de plusieurs emplois, dont celui de M. B..., et que ce salarié s'était porté candidat, le 10 avril 2012, au licenciement sous certaines conditions exposées dans le plan de sauvegarde de l'entreprise, en indiquant souhaiter une reconversion à un métier de l'horlogerie par une formation à Genève. La société a alors procédé à la recherche de reclassement du salarié en lui adressant, le 8 juin 2012, un questionnaire de mobilité relatif aux reclassements à l'étranger, comportant la liste de pays, les conditions minimum de rémunération en deçà desquelles le salarié ne souhaitait recevoir de proposition individuelle de reclassement et les autres restrictions, auquel le salarié n'a pas répondu. Elle a ensuite adressé au salarié un courrier, le 25 juin 2012, lui proposant, d'une part, un reclassement au sein de l'entreprise sur les postes de rebobineur/massicotier, aide-trancheur machine 4, aide-sécheur machine 4, aide-sécheur machine 6 et, d'autre part, un reclassement au sein de la société PVD, sur un poste d'aide bobineur, avec une fiche descriptive pour chacun de ces postes avec mention de la rémunération et des mesures d'accompagnement. La lettre adressée à M. B... mentionnait également qu'il n'existait aucun poste disponible correspondant à ses qualifications au sein de la société RTF, à Perpignan, répondant au choix exprimé dans le questionnaire de mobilité. Le salarié a décliné 1'ensemble des offres par écrit le 17 juillet 2012. L'intéressé ne produit aucun élément de nature à contester effectivement l'absence d'autres postes de reclassement interne tant au sein de la société qu'au sein des autres sociétés du groupe, ni le caractère sérieux des recherches ainsi menées par son employeur. Ainsi, la société PDL doit être regardée comme ayant satisfait à l'obligation de reclassement qui lui incombait.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Papeterie du Léman est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2013 en tant qu'elle autorisait le licenciement pour motif économique de M. B....
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme au titre des frais exposés à l'occasion de la présente instance par la société Papeterie du Léman. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. B....
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1303748 du 11 juillet 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble dirigées contre la décision du 10 mai 2013 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la société Papeterie du Léman tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Papeterie du Léman, à M. C... B... et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 juin 2018.
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N° 16LY02796