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14/02/2019 | FRANCE | N°16LY01591

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 14 février 2019, 16LY01591


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Architecture Studio a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler le marché conclu par le centre hospitalier de Chambéry avec le groupement représenté par la société GTM le 5 novembre 2010 en vue de la conception et de la réalisation d'un nouveau bâtiment hospitalier et d'autre part, de condamner ce centre hospitalier à lui verser des indemnités de 1 113 330 euros hors taxe (HT) en dédommagement des frais engagés pour soumissionner et de 723 416 euros HT en réparati

on de son manque à gagner.

Par un jugement n° 1100882 du 3 mars 2016, le tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Architecture Studio a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler le marché conclu par le centre hospitalier de Chambéry avec le groupement représenté par la société GTM le 5 novembre 2010 en vue de la conception et de la réalisation d'un nouveau bâtiment hospitalier et d'autre part, de condamner ce centre hospitalier à lui verser des indemnités de 1 113 330 euros hors taxe (HT) en dédommagement des frais engagés pour soumissionner et de 723 416 euros HT en réparation de son manque à gagner.

Par un jugement n° 1100882 du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 mai 2016 et 27 novembre 2017, la société Architecture Studio, représentée par la SELARL B...Partners, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 3 mars 2016 en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Chambéry à lui verser les sommes de 1 113 330 euros HT correspondant aux frais engagés pour soumissionner et de 723 416 euros HT correspondant à son manque à gagner, outre TVA applicable, intérêts légaux à compter du 13 octobre 2010 et capitalisation de ces intérêts au 13 octobre 2011 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Chambéry le versement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'offre du groupement dont elle était membre, classé en deuxième position, avait une chance sérieuse d'emporter le marché dès lors que l'offre retenue était irrégulière ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que son offre était elle-même irrégulière ; d'une part, le centre hospitalier de Chambéry a explicitement reconnu la conformité de l'offre au programme en acceptant de lui régler la prime prévue par l'article 2.13.5 du règlement de consultation, d'autre part, son projet s'inscrivait non seulement dans le périmètre d'intervention mais aussi dans le périmètre d'implantation prévu au programme, rien n'indiquait la volonté du maître d'ouvrage d'exclure toute construction sur la zone dénommée " le Parvis " dont l'affectation n'était pas précisément définie ; enfin, son projet n'obérait pas l'agrandissement de l'hôpital ;

- son offre n'était entachée d'aucune des autres non-conformités invoquées par le centre hospitalier ;

- dans ces conditions, elle peut prétendre au remboursement des frais qu'elle a engagés correspondant à l'investissement intellectuel et matériel mis en oeuvre pour concevoir et produire les prestations jusqu'à l'achèvement de la procédure de concours ; son préjudice doit être réparé à hauteur de 1 473 330 euros déduction faite de la somme de 360 000 euros correspondant à la part lui revenant au titre de la prime versée aux candidats ;

- elle peut également prétendre à l'indemnisation de son manque à gagner à hauteur de 723 416 euros HT ;

- ces deux types d'indemnisation ne se superposent ni ne se confondent ;

- il y a lieu d'ajouter à ces montants, la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que les intérêts au taux légal à compter du dépôt de sa demande devant le tribunal administratif de Grenoble et la capitalisation de ces intérêts.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 11 octobre 2017 et 2 janvier 2018, le centre hospitalier de Chambéry, représenté par la SELAS Adamas, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 30 000 euros soit mis à la charge de la société Architecture Studio au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'offre du groupement dont était membre la société appelante était irrégulière ; le parvis était une exigence du programme fonctionnel ; le projet de l'appelante, hors auvent, empiétait totalement sur ce parvis et ce parti pris hypothéquait totalement l'utilisation future du terrain occupé par le bâtiment Dorstter, destiné à une extension future de l'hôpital ;

- en outre, trois autres aspects essentiels de cette offre dérogeaient au programme ; ainsi la création d'un rond-point comme elle le proposait aurait impliqué la démolition du bâtiment de l'Etablissement Français du Sang, non prévu au programme ; le parvis d'entrée proposé aurait eu une pente moyenne de 4,25%, supérieure à la limite admise pour les cheminements piétons et moyennant des adaptations renchérissant le projet et complexifiant l'accès à l'hôpital ; cette proposition de parvis d'entrée n'était pas conforme au critère tiré de l'insertion dans le site ;

- la société appelante ne peut, en droit, cumuler les indemnisations au titre des frais engagés pour la présentation de son offre et de son manque à gagner ; en tout état de cause, les frais engagés pour la réponse à la consultation ont été compensés par la prime versée aux candidats ; elle n'établit pas que le montant de cette prime aurait été insuffisante à couvrir ses frais ; elle ne justifie pas davantage le montant de l'indemnisation qu'elle sollicite au titre de son manque à gagner.

Un mémoire enregistré le 14 février 2018 présenté pour la société Architecture Studio n'a pas été communiqué.

Par une ordonnance du 11 janvier 2018, l'instruction a été close le 16 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics alors en vigueur ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lesieux ;

- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;

- et les observations de MeB..., représentant la société Architecture Studio et celles de MeA..., représentant le centre hospitalier Métropole Savoie.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel public à la concurrence, publié les 8 et 9 avril 2009 au Journal officiel de l'Union européenne et au Bulletin officiel des annonces de marché publics, le centre hospitalier de Chambéry a lancé une consultation en vue de la passation d'un marché de conception-réalisation portant sur la construction d'un nouveau bâtiment hospitalier. Le marché a été attribué, le 8 novembre 2010, au groupement représenté par GTM Bâtiment et Génie Civil de Lyon. La société Architecture Studio, membre du groupement représenté par la société Léon Grosse, dont l'offre a été classée en deuxième position, a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à l'annulation de ce marché et à l'indemnisation de ses préjudices résultant de son éviction irrégulière. Par un jugement du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ces demandes. La société Architecture Studio relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions aux fins d'indemnisation.

2. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient d'abord au juge, si cette irrégularité est établie et s'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation, de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, il n'a droit à aucune indemnité. Or, si l'offre d'un candidat, dont la candidature n'aurait cependant pas été retenue pour un tel motif, se révèle être entachée d'irrégularités insusceptibles être couvertes par une mesure de régularisation, il est dépourvu de toute chance d'obtenir le marché et ne peut dès lors prétendre à aucune indemnité.

3. Aux termes de l'article L. 6148-7 du code de la santé publique alors en vigueur, " Par dérogation aux dispositions des articles 7 et 18 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, un établissement public de santé (...) peut confier à une personne ou à un groupement de personnes, de droit public ou privé, une mission portant à la fois sur la conception, la construction, l'aménagement, l'entretien et la maintenance de bâtiments ou d'équipements affectés à l'exercice de ses missions ou sur une combinaison de ces éléments. (...) L'exécution de cette mission résulte d'un marché passé entre l'établissement public de santé (...) et la personne ou le groupement de personnes selon les procédures prévues par le code des marchés publics. (...) ". Selon l'article 69 du code des marchés publics alors applicable, " I.-Les marchés de conception-réalisation définis à l'article 37 sont passés par les pouvoirs adjudicateurs soumis aux dispositions de la loi du 12 juillet 1985 susmentionnée selon la procédure d'appel d'offres restreint sous réserve des dispositions particulières qui suivent : / Un jury est composé dans les conditions fixées par le I de l'article 24. (...) Le jury dresse un procès-verbal d'examen des candidatures et formule un avis motivé sur la liste des candidats à retenir. Le pouvoir adjudicateur arrête la liste des candidats admis à réaliser des prestations, auxquels sont remises gratuitement les pièces nécessaires à la consultation. / Les candidats admis exécutent des prestations sur lesquelles se prononce le jury, après les avoir auditionnés. Ces prestations comportent au moins un avant-projet sommaire pour un ouvrage de bâtiment ou un avant-projet pour un ouvrage d'infrastructure, accompagné de la définition des performances techniques de l'ouvrage. / Le jury dresse un procès-verbal d'examen des prestations et d'audition des candidats et formule un avis motivé. / Le pouvoir adjudicateur peut demander des clarifications ou des précisions concernant les offres déposées par les candidats. Cependant, ces précisions, clarifications ou compléments ne peuvent avoir pour effet de modifier des éléments fondamentaux de l'offre ou des caractéristiques essentielles du marché. / Le marché est attribué au vu de l'avis du jury. (...) Le règlement de la consultation prévoit le montant des primes et les modalités de réduction ou de suppression des primes des candidats dont le jury a estimé que les offres remises avant l'audition étaient incomplètes ou ne répondaient pas au règlement de la consultation. (...) ".

4. Aux termes de l'article 2.13.4 du règlement de la consultation : " 1/ Le jury élimine (...) les offres irrégulières (...) au sens du 1° du I de l'article 35 : (...) - Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou les documents de la consultation ; (...). Il résulte de ces stipulations que le jury était tenu de rejeter les offres irrégulières et en particulier celles ne respectant pas les exigences formulées dans le programme établi par le pouvoir adjudicateur, et figurant au dossier de consultation remis aux candidats.

5. Toutefois, la circonstance qu'une offre ait été examinée et classée, de même que la circonstance que le concurrent ait bénéficié du versement de la prime prévue par les stipulations de l'article 2.13.5 du règlement de la consultation, ne font pas obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur se prévale de l'irrégularité de cette offre devant le juge du contrat.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le paragraphe 2.1 du programme fonctionnel et spatial concernant le plan de zonage de l'opération définissait de manière précise la délimitation du terrain d'implantation du nouvel hôpital, représenté en violet foncé sur une vue aérienne, sur une superficie de 16 402 m2. Le programme prévoyait également la réalisation d'un parvis au nord-est de cette zone, matérialisé sur cette même vue aérienne, en violet clair. Si la superficie de ce parvis n'était pas précisée, le programme prévoyant qu'il pouvait être " plus ou moins important et même aller jusqu'au bâtiment de l'Eveillon ", il n'en demeure pas moins que le projet de construction du nouvel établissement hospitalier du groupement représenté par la société Léon Grosse dépassait les limites du terrain d'implantation du nouvel hôpital précisément défini par le paraphe 2.1 du programme et ce, indépendamment des dimensions et de la configuration de l'auvent, destiné à signaler l'entrée du bâtiment et surplombant le parvis, tel qu'il avait été projeté par la société appelante.

7. En second lieu, le programme fonctionnel et spatial précisait, en son paragraphe 1.1, " que la démolition complète du bâtiment Dorstter (prestation optionnelle n° 1), postérieure à l'ouverture du nouvel hôpital, impose que les solutions de fonctionnement du nouvel hôpital soient indépendantes de cette démolition du bâtiment Dorstter et que les aménagements ultérieurs et les éléments paysagers viennent seulement compléter et accompagner la mise en valeur du nouvel hôpital. ". La vue aérienne figurant au paragraphe 2.1 du programme fonctionnel et spatial matérialisait, en orange, le terrain d'assiette du bâtiment Dorstter destiné à une extension future de l'hôpital. Il résulte de l'instruction que le groupement représenté par la société Léon Grosse avait fait le choix de réaliser l'entrée principale du nouvel hôpital en limite nord-est du parvis soit immédiatement en limite du terrain réservé aux extensions futures. Le projet proposait de prolonger le parvis d'entrée vers la ville par un mail urbain jusqu'au bas de la rue du Faubourg-Mâché, sur le terrain d'assiette destiné à une extension future de l'hôpital. La société Architecture Studio soutient que cette proposition d'aménagement n'était qu'une simple suggestion, se situant hors de l'emprise du projet et " parfaitement réversible ". Cependant, le centre hospitalier de Chambéry fait valoir, sans être contesté, que le parvis prévu dans l'offre du groupement Léon Grosse devait être arrêté net en limite de la zone orange, en présentant sur cette ligne une différence de niveau de l'ordre de 4 mètres. Ainsi, le projet de ce groupement ne pouvait être réalisé qu'en prolongeant le parvis jusqu'au bas du Faubourg-Mâché, au prix d'un empiétement sur le terrain d'assiette destiné à une extension future de l'hôpital.

8. Il en résulte, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Grenoble, que l'offre du groupement représenté par la société Léon Grosse était irrégulière en ce qu'elle présentait des non-conformités relatives à des éléments essentiels du programme faisant obstacle à toute régularisation ultérieure de son offre et à l'attribution du marché à ce groupement.

9. Par suite, et même s'il ressort des énonciations du jugement attaqué, non contestées sur ce point, que l'offre du groupement attributaire était elle-même irrégulière, le groupement représenté par la société Léon Grosse était dépourvu de toute chance objective de remporter le marché. Par suite, les conclusions de la société Architecture Studio tendant au remboursement des frais qu'elle a engagés pour soumissionner et à l'indemnisation de son manque à gagner doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, de ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

10. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Architecture Studio la somme de 1 500 euros à verser au centre hospitalier de Chambéry sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Architecture Studio est rejetée.

Article 2 : La société Architecture Studio versera au centre hospitalier de Chambéry la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Architecture Studio et au centre hospitalier de Chambéry.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, président-assesseur,

Mme Lesieux, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 février 2019.

4

N° 16LY01591


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY01591
Date de la décision : 14/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : RICHER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-02-14;16ly01591 ?
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