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09/04/2019 | FRANCE | N°16DA01205

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3 (bis), 09 avril 2019, 16DA01205


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser une somme de 380 286,20 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la requête en remboursement des prestations versées à Mme A...F...ou pour son compte à la suite de l'accident médical dont elle a été

victime au cours de son hospitalisation dans le service de cardiologie du CHU...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser une somme de 380 286,20 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la requête en remboursement des prestations versées à Mme A...F...ou pour son compte à la suite de l'accident médical dont elle a été victime au cours de son hospitalisation dans le service de cardiologie du CHU d'Amiens au mois de mars 2009. L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), appelé à l'instance, a demandé la condamnation solidaire du CHU d'Amiens et de la SHAM à lui rembourser la somme de 409 195,47 euros versée, à la suite de sa substitution à l'assureur en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, à Mme F...en indemnisation des préjudices subis, ainsi qu'une somme de 61 379,32 euros au titre de la pénalité prévue au cinquième alinéa du même article.

Par un jugement n° 1400057 du 28 avril 2016, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à la demande de la CPAM de l'Oise à hauteur de 321 829,69 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014, et à celle de l'ONIAM à hauteur de 473 794,79 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 25 mars 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et des mémoires complémentaires et en réplique, enregistrés les 1er juillet, 19 août et 16 septembre 2016 et 3 mai 2017, le CHU d'Amiens et la SHAM, représentés par Me B...E..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les conclusions de la CPAM de l'Oise et de l'ONIAM.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me C...D...représentant le CHU d'Amiens et la SHAM.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A...G...F..., née le 11 avril 1956, a été hospitalisée au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens le 19 mars 2009 pour des douleurs cardiaques. Les analyses pratiquées ont mis en évidence une sténose significative du tronc commun imposant en semi-urgence une intervention chirurgicale. Les suites du triple pontage aorto-coronarien ainsi réalisé le lendemain ont été marquées par d'importantes difficultés respiratoires et l'apparition d'une pneumopathie gauche en voie de bilatéralisation conduisant, le 23 mars 2009, malgré les gestes thérapeutiques immédiatement entrepris, à un arrêt cardio-respiratoire d'une durée de trente-huit minutes. MmeF..., qui conserve de cet accident de très lourdes séquelles motrices et cognitives, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Picardie qui, à la suite de deux rapports d'expertise déposés les 8 avril 2011 et 4 septembre 2012, a estimé, dans un avis du 2 octobre 2012, que les conditions d'engagement de la responsabilité du CHU d'Amiens à l'égard de Mme F...étaient réunies. La société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) ayant refusé de faire une offre d'indemnisation à MmeF..., celle-ci a saisi l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Par deux accords transactionnels en date des 3 octobre 2013 et 12 mars 2015, l'ONIAM a versé à MmeF..., qui a renoncé à tout recours juridictionnel, une somme totale de 409 195,47 euros en indemnisation des préjudices subis. Le CHU ayant par ailleurs rejeté la demande préalable de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise tendant au remboursement des frais exposés pour la prise en charge de Mme F... à hauteur de 380 586,20 euros, la caisse a saisi le tribunal administratif d'Amiens qui, par un jugement du 28 avril 2016, après avoir appelé l'ONIAM en la cause, a fait droit à sa demande à hauteur de 321 829,69 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014, et à celle de l'ONIAM à hauteur de 473 794,79 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 25 mars 2015. Le CHU d'Amiens et la SHAM interjettent régulièrement appel de ce jugement dont ils demandent l'annulation. La CPAM de l'Oise en interjette appel incident en tant qu'il a limité le montant des débours que le CHU d'Amiens et la SHAM ont solidairement été condamnés à lui rembourser.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le CHU d'Amiens et la SHAM soutiennent qu'en s'abstenant de répondre aux arguments relatifs à l'absence de nécessité de mettre en oeuvre un protocole d'assistance respiratoire plus invasif, les premiers juges n'ont pas suffisamment motivé le jugement attaqué. Toutefois, et alors qu'ils n'avaient en tout état de cause pas à répondre à l'ensemble des arguments avancés, les premiers juges, après avoir relevé le caractère " très précis " du rapport d'expertise remis le 4 septembre 2012, ont exposé de façon suffisante le contexte dans lequel l'accident litigieux a eu lieu et les raisons pour lesquelles la responsabilité du CHU d'Amiens à l'égard de Mme F...devait être engagée, qui tiennent à l'insuffisance des mesures d'assistance respiratoire apportée. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit, par suite, être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité du CHU d'Amiens :

3. Il résulte de l'instruction que le protocole d'assistance respiratoire mis en place à la suite de l'admission de Mme F...en réanimation après l'intervention chirurgicale du 20 mars 2009 a consisté en des séances de kinésithérapie respiratoire et une ventilation non invasive. Le CHU d'Amiens et la SHAM soutiennent, en invoquant une analyse critique du rapport d'expertise remis le 4 septembre 2012, rédigée le 27 novembre 2012 par un anesthésiste-réanimateur, que ce protocole était adapté à la situation de l'intéressée, qui a fait l'objet d'une surveillance régulière et n'a présenté, avant l'arrêt cardio-respiratoire survenu le 23 mars, aucun signe clinique d'insuffisance respiratoire. Il résulte cependant des deux rapports d'expertise, dont les orientations sur ce point ont été reprises à l'unanimité des membres de la CRCI dans son avis du 2 octobre 2012, que MmeF..., qui présentait un état de faiblesse général, a subi plusieurs épisodes de désaturation, dont un à 86 % au cours de la nuit du 22 au 23 mars 2009, et se plaignait de douleurs basi-thoraciques associées à une dyspnée dues à une pneumopathie en voie de bilatéralisation diagnostiquée le 22 mars 2009. Les experts relèvent également, d'une part, que la fréquence respiratoire de l'intéressée, qui n'a fait l'objet que d'un contrôle clinique, n'a jamais été mesurée, alors qu'une fréquence supérieure à 30/min est un signe de gravité et, d'autre part, que les mesures du taux d'oxygène dans le sang, réalisées à partir du sang veineux et non artériel, sont imprécises, les médecins " se privant ainsi d'une évaluation importante ". Les experts considèrent que, dans ces conditions, " la pose d'un cathéter artériel était indiquée durant cette période critique et était même impérative ". Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la simple observation clinique de Mme F...n'était pas, notamment en l'absence de mesure appropriée du rythme de sa respiration et de la teneur de son sang en oxygène, suffisante pour en déduire l'absence de difficultés respiratoires et, d'autre part, que les épisodes de désaturation associés au diagnostic d'une pneumopathie en voie de bilatéralisation affectant une patiente présentant un état de grande fragilité imposaient la modification du protocole d'assistance respiratoire et l'adoption d'un protocole invasif seul à même d'assurer une ventilation efficace.

4. Le CHU d'Amiens et la SHAM soutiennent, par ailleurs, qu'à supposer qu'une faute puisse être retenue, elle ne saurait être regardée comme entièrement à l'origine des préjudices subis. D'une part, s'il est vrai que les experts ayant remis leur rapport le 8 avril 2011, imputent à l'état antérieur de Mme F...50 % des préjudices subis, cette thèse n'est étayée par aucun développement. Le CHU d'Amiens et la SHAM, qui se bornent à la reprendre à leur compte, n'apportent pas plus d'éléments de nature à remettre en cause le second rapport d'expertise qui écarte toute relation entre l'état antérieur de la patiente et le dommage et les préjudices subis. D'autre part, si le CHU d'Amiens et la SHAM soutiennent que l'origine des séquelles motrices demeure incertaine, tant le premier rapport que le second concluent à l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'arrêt cardio-respiratoire de trente-huit minutes et les séquelles motrices dont Mme F...demeure atteinte.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que l'absence de modification du protocole d'assistance respiratoire de Mme F...dans le contexte ayant suivi l'intervention du 20 mars 2009 est constitutive d'une faute de nature à engager l'entière responsabilité du CHU d'Amiens à l'égard de la CPAM de l'Oise et de l'ONIAM subrogés dans les droits de MmeF..., en l'absence, notamment, de tout élément de nature à établir, à l'encontre des affirmations concordantes des deux rapports d'expertise et de l'avis de la CRCI, que l'absence de faute n'aurait pas soustrait Mme F...à tout risque d'arrêt cardio-respiratoire.

En ce qui concerne la créance de la CPAM de l'Oise :

6. Si la CPAM de l'Oise invoque à nouveau, en appel, une créance à l'encontre du CHU d'Amiens d'un montant total de 380 586,20 euros, elle n'apporte pas plus qu'en première instance la preuve de l'existence d'un lien entre les frais d'hospitalisation de Mme F...du 4 au 9 novembre 2010 et le dommage survenu le 23 mars 2009. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont refusé de l'indemniser des frais correspondants. La CPAM de l'Oise ne justifie pas plus de la somme de 49 586,29 euros représentant des " frais futurs " dont la nature et le détail ne sont pas précisés. C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont limité la créance due à ce titre à la somme de 14 553,43 euros mentionnée sur l'attestation d'imputabilité initialement produite. Enfin, la responsabilité du CHU d'Amiens étant entièrement engagée à l'égard de Mme F...et des personnes subrogées dans ses droits, c'est sans erreur de droit que les premiers ont pu mettre à la charge du CHU d'Amiens et de la SHAM l'intégralité de la somme due au titre de la pension d'invalidité exposée par la CPAM de l'Oise au profit de MmeF.... Il y a lieu, par ailleurs, d'actualiser le montant dû à ce titre en le portant à la somme totale de 143 356,99 euros due jusqu'au 4 avril 2018, date à laquelle Mme F... a pu faire valoir ses droits à la retraite. Il y a ainsi lieu de porter à 338 429,02 euros la somme totale due par le CHU d'Amiens et la SHAM à la CPAM de l'Oise, majorée des intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014, date d'enregistrement du recours de première instance.

En ce qui concerne la créance de l'ONIAM :

7. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue ". Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU d'Amiens et de la SHAM une somme en application de ces dispositions. Le CHU d'Amiens et la SHAM sont par suite fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens les a solidairement condamnés à verser à l'ONIAM une somme de 61 799,32 euros en application des dispositions précitées.

8. Il résulte de ce qui précède que le CHU d'Amiens et la SHAM sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a mis à leur charge une somme en application des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Ils ne sont en revanche pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif les a solidairement condamnés à indemniser la CPAM de l'Oise et l'ONIAM des sommes exposées pour la prise en charge des préjudices subis par Mme F... à la suite de l'accident médical du 23 mars 2009. La CPAM de l'Oise est par ailleurs fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a limité à 321 829,69 euros la somme due à ce titre.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du CHU d'Amiens et de la SHAM une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais respectivement exposés par la CPAM de l'Oise et l'ONIAM et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le CHU d'Amiens et la SHAM ont été solidairement condamnés à verser à la CPAM de l'Oise par l'article 1er du jugement n° 1400057 du 28 avril 2016 du tribunal administratif d'Amiens, est portée à 338 429,02 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1400057 du 28 avril 2016 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'article 3 du jugement n° 1400057 du 28 avril 2016 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 4 : Le CHU d'Amiens et la SHAM verseront solidairement à la CPAM de l'Oise et à l'ONIAM, respectivement, une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire d'Amiens, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

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N°16DA01205


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 16DA01205
Date de la décision : 09/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : CABINET LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-04-09;16da01205 ?
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