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20/12/2018 | FRANCE | N°16BX00794

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 16BX00794


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lavalin a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'enjoindre au département de Mayotte d'annuler le contrat de délégation de service conclu le 3 septembre 2013 par le département de Mayotte avec la société Mayotte Channel Gateway pour la gestion et l'exploitation du site de Longoni, du terminal pétrolier des Badamiers et du terminal croisiériste de Mamoudzou et de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 12 136 114, 20 euros, assortie des intérêts au taux légal

compter du 25 juillet 2014, avec capitalisation, en réparation des préjudices...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lavalin a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'enjoindre au département de Mayotte d'annuler le contrat de délégation de service conclu le 3 septembre 2013 par le département de Mayotte avec la société Mayotte Channel Gateway pour la gestion et l'exploitation du site de Longoni, du terminal pétrolier des Badamiers et du terminal croisiériste de Mamoudzou et de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 12 136 114, 20 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2014, avec capitalisation, en réparation des préjudices subis en raison du rejet de son offre.

Par un jugement n° 1300599 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté l'ensemble de ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 février 2016, 21 avril et 25 juin 2017, et le 11 décembre 2017, la société Lavalin, devenue la société Edeis, représentée par Me C... et MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1300599 du 17 décembre 2015 du tribunal administratif en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées ;

2°) de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 12 198 086 euros, avec intérêts au taux légal capitalisés chaque année, à compter du 25 juillet 2014 ;

3°) de mettre à la charge du département de Mayotte une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Mayotte Channel Gateway, titulaire du contrat litigieux, ne justifie pas d'un droit propre de nature à lui permettre d'intervenir en appel : l'annulation du contrat de délégation n'est plus demandée et l'éventuelle condamnation du département ne porte aucunement atteinte à ses droits ; son intervention doit être écartée des débats ;

- la candidature de la société A...Import Export (SNIE) aurait dû être déclarée irrégulière en raison de l'insuffisance des garanties financières et professionnelles présentées, et de l'irrégularité de ses déclarations fiscales au 31 décembre 2011 ;

- la procédure de jugement des offres était irrégulière dès lors que la commission de délégation de service public s'est de nouveau réunie le 28 mai 2013 pour rendre un avis sur les offres finales améliorées des deux candidats, alors que l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales ne prévoit nullement l'intervention de la commission après le stade de la remise des offres initiales ;

- les offres ont été insuffisamment analysées par la commission de délégation de service public, notamment le critère n° 4 intitulé " modalités d'équilibre de la délégation de service public et performances financières ", où elle a obtenu une moins bonne note que sa concurrente (45/100 contre 60/100 pour la SNIE) ;

- le département ne pouvait sélectionner l'offre de la société concurrente sur la base d'un critère social relatif aux estimations en matière de création d'emplois directs, indirects et induits créés sur les cinq premières années du contrat, rattaché au critère n° 2 intitulé " qualité du projet en matière de développement durable proposée par le candidat ", où elle a obtenu la moins bonne note que sa concurrente ; ce critère est sans lien direct avec l'objet du contrat et, en outre, dépourvu de tout caractère contraignant ;

- le président du conseil général de Mayotte n'a pas repris, dans la décision de retenir l'offre de sa concurrente, les cinq critères d'attribution annoncés préalablement dans le règlement de la consultation, ni leur pondération, ni n'a procédé à aucune analyse comparée des offres ; ainsi, sa décision ne repose ni sur une appréciation individualisée, ni d'ailleurs sur une appréciation globale des critères d'attribution, contrairement à ce qu'ont retenu les juges de première instance ;

- enfin, en retenant l'intégralité de l'analyse et de la notation des offres contenue dans l'avis du 28 mai 2013 de la commission de délégation de service public, le président du conseil général de Mayotte a entaché sa décision d'incompétence négative ;

- les irrégularités ayant conduit à son éviction irrégulière de la procédure de passation ont fait perdre au groupement CCI de Mayotte - Lavalin une chance sérieuse d'être désigné attributaire du contrat de délégation de service public ; elle a droit à être indemnisée du manque à gagner qui en résulte, rapporté au montant de sa participation au capital de la société par actions simplifiée que le groupement s'était engagé à créer pour l'exécution du contrat, soit 30 % en ce qui la concerne, pour un manque à gagner total de 12 136 114, 20 euros.

Par un mémoire enregistré le 30 mai 2016, la société Mayotte Channel Gateway, représentée par MeF..., conclut au rejet de la demande et demande à la cour de mettre à la charge de la société appelante une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucune des irrégularités soulevées n'est fondée.

Par des mémoires enregistrés les 17 février, 24 avril, 26 juin 2017, le 1er septembre 2017 et le 9 avril 2018, le département de Mayotte, représenté par Me de la Brosse, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Edeis la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les irrégularités soulevées ne sont pas fondées.

Par ordonnance du 7 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 9 avril 2018 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 97-210 du 11 mars 1997 et son décret d'application n° 97-638 du 31 mai 1997 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant la société Lavalin, devenue la Sas Edeis et de MeE..., représentant le département de Mayotte.

.

Une note en délibérée présentée pour la Sas Edeis anciennement société Lavalin a été enregistrée le 6 décembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel à concurrence publié au journal officiel de l'Union européenne le 3 juillet 2012, le département de Mayotte a engagé la procédure de passation d'une délégation de service public sur le fondement de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, prenant la forme d'une concession de service pour la gestion et l'exploitation du port de Mayotte, comprenant le site de Longoni, le terminal pétrolier des Badamiers et le terminal croisiériste de Mamoudzou. Le groupement formé par la société Lavalin et la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Mayotte, d'une part, et la société A...Import Export (ci-après la société SNIE) d'autre part, ont déposé leurs candidatures. Par délibération de la commission de délégation de service public du 28 septembre 2012, ces candidats ont été admis à présenter une offre. La commission de délégation de service public s'est réunie le 29 octobre 2012 pour procéder à 1'examen des offres, et a invité le président du conseil général, par un avis du 11 décembre 2012, à engager des négociations avec les deux candidats. Une réunion de négociation a eu lieu le 27 mars 2013 avec le groupement CCI de Mayotte-Lavalin, et le 28 mars 2013 avec la SNIE. Les deux candidats ont ensuite remis une offre améliorée le 2 mai 2013.

2. Par un avis du 28 mai 2013, la commission de délégation de service public a proposé au président du conseil général de retenir l'offre améliorée de la société SNIE. Par délibération du conseil général de Mayotte du 8 juillet 2013, le président a été habilité à retenir ce délégataire et à signer la convention de délégation. Par lettre du 20 août 2013, la CCI de Mayotte a été informée du rejet de l'offre du groupement dont elle était mandataire, ainsi que de l'attribution du contrat à la société Mayotte Channel Gateway, société constituée par la société SNIE pour les besoins de l'exécution du contrat. La convention a été signée le 3 septembre 2013.

3. La société Lavalin, devenue la société Edeis, interjette appel du jugement du 17 décembre 2015 en tant que le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à obtenir l'indemnisation du préjudice lié à la perte de chance sérieuse de conclure le contrat objet du litige.

Sur la recevabilité de l'intervention de la société :

4. Le jugement du tribunal administratif de Mayotte n'est contesté par la société Lavalin, devenue société Edeis, qu'en tant qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation. Par suite, la société Mayotte Channel Gateway, société constituée par la société SNIE, attributaire de la délégation de service public, pour les besoins de l'exécution de ce contrat, n'a intérêt ni au maintien ni à l'annulation du jugement sur cette partie du litige. Ainsi, son intervention n'est pas recevable et la fin de non-recevoir opposée par la société appelante doit être accueillie.

Sur les conclusions tendant à la condamnation du département de Mayotte :

En ce qui concerne la régularité de la candidature de la société A...Import Export :

5. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, applicable au litige : " Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat (...). La commission mentionnée à l'article L. 1411-5 dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières (...) et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire " et aux termes de l'article L. 1411-5 du même code : " Les plis contenant les offres sont ouverts par une commission (...). Au vu de l'avis de la commission, l'autorité habilitée à signer la convention engage librement toute discussion utile avec une ou des entreprises ayant présenté une offre. Elle saisit l'assemblée délibérante du choix de l'entreprise auquel elle a procédé. Elle lui transmet le rapport de la commission présentant notamment la liste des entreprises admises à présenter une offre et l'analyse des propositions de celles-ci, ainsi que les motifs du choix de la candidate et l'économie générale du contrat.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société SNIE, qui a fourni l'ensemble des documents prévus par le point III.2.3 de l'avis d'appel public à la concurrence, rappelé à l'article 6.1 du règlement de consultation, a fait état de nombreuses références dans le domaine de la gestion d'infrastructures lourdes, notamment de l'aménagement de zones d'activité, de l'exploitation d'une flotte de conteneurs et d'un parc frigorifiques, de ponts roulants de 30 tonnes de levage ainsi que de l'expérience de sa gérante, MmeA..., dans la gestion du port de Longoni et du port de plaisance de Mamoudzou, en sa qualité d'ancienne présidente de la chambre de commerce et d'industrie de Mayotte. Par suite, quand bien même la SNIE n'avait pas définitivement justifié de l'engagement d'opérateurs économiques partenaires mentionnés dans sa candidature, le moyen tiré de l'absence de capacité technique de la SNIE faisant obstacle à l'admission de sa candidature doit être écarté.

7. En second lieu, il résulte de l'instruction que la société SNIE a produit l'ensemble des documents prévus par le point III.2.2 de l'avis d'appel public à la concurrence, et rappelés à l'article 6.1 du règlement de consultation, pour justifier de la capacité économique et financière des candidats. Si la commission de délégation de service public a relevé, lors de l'examen des candidatures, que " la trésorerie fonctionnelle de la SNIE était très faible " et que " la surface financière apparaît limitée pour prendre en charge les prestations du port de Mayotte et l'ensemble de ces terminaux ", elle a pu estimer, compte tenu de la complexité des montages financiers induits par une délégation de service public et eu égard au niveau de ses fonds propres satisfaisants, que la société pouvait être admise à présenter une offre. En outre, la société requérante ne démontre pas plus en appel qu'elle ne le faisait en première instance, que les niveaux de trésorerie et les indicateurs de rentabilité de la SNIE s'opposaient à ce que cette dernière soit admise à déposer une offre. Par ailleurs, en précisant que certains indicateurs économiques portés à l'appui de la candidature de la SNIE appelaient une vigilance particulière sur le montage juridico-financier proposé dans le cadre de la procédure, la commission n'a pas invité le candidat retenu à une quelconque régularisation de sa candidature. Par suite, le moyen tiré de l'absence de capacité économique et financière de la SNIE doit être écarté.

8. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 du décret du 31 mai 1997 pris pour l'application de la loi n° 97-210 du 11 mars 1997 relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal : " I. - En application de l'article 39 de la loi du 10 avril 1954 susvisée, ne sont pas admises à se porter candidates à une délégation de service public les personnes qui, au 31 décembre de l'année précédant celle au cours de laquelle a eu lieu l'appel à la concurrence, n'ont pas souscrit les déclarations leur incombant en matière d'assiette des impôt (...) ou n'ont pas effectué le paiement des impôts, taxes, majorations et pénalités (...)exigibles à cette date. / Toutefois, sont admises à présenter leur candidature les personnes qui, à défaut de paiement, ont constitué des garanties jugées suffisantes par l'organisme ou le comptable responsable du recouvrement. (...). / II. - Pour l'application du I, sont pris en considération les impôts directs, les contributions indirectes, les taxes sur le chiffre d'affaires, les taxes assimilées, les droits d'enregistrement(...)pour lesquels les délais des déclarations nécessaires à l'assiette sont échus à la date du 31 décembre de l'année précédant celle au cours de laquelle a eu lieu l'appel à la concurrence de l'administration, ainsi que tous impôts et cotisations visés ci-dessus, qui sont devenus exigibles à cette date, avec les majorations et pénalités y afférentes. / III. - Au regard des obligations décrites par le présent article, sont considérés comme en règle les redevables qui, au 31 décembre de l'année précédant l'appel à la concurrence de l'administration : 1° D'une part, ont souscrit les déclarations leur incombant au plus tard à cette date, en matière d'assiette des impôts et cotisations visés aux alinéas précédents ; 2° D'autre part, ont soit acquitté les impôts, taxes, cotisations, majorations et pénalités mis à leur charge, lorsque ces produits devaient être réglés au plus tard à la date ci-dessus, sous peine d'une majoration ou pénalité pour défaut de paiement, soit constitué des garanties jugées suffisantes par le comptable ou l'organisme responsable du recouvrement. / Sont également considérées comme en règle les personnes qui, au 31 décembre de l'année précédant l'avis d'appel à la concurrence, n'avaient pas acquitté les divers produits devenus exigibles à cette date ni constitué des garanties, mais qui, entre le 31 décembre et la date de l'avis d'appel à la concurrence, ont, en l'absence de toute mesure d'exécution du comptable ou de l'organisme chargé du recouvrement, soit acquitté lesdits produits, soit constitué des garanties jugées suffisantes par le comptable ou l'organisme visé ci-dessus. / IV. - Le candidat produit, pour justifier qu'il a satisfait aux obligations rappelées au I, un certificat délivré par les administrations et organismes compétents. (...). / Seuls peuvent être pris en considération les dossiers des candidats comportant les documents mentionnés au présent article attestant de la régularité de leur situation fiscale et sociale. Toutefois, sauf décision contraire de l'assemblée délibérante mentionnée dans l'avis de publicité de l'appel à la concurrence, les candidats sont invités, le cas échéant, à compléter leur dossier sous quarante-huit heures en transmettant les certificats et attestations par tout moyen permettant de donner date certaine à leur arrivée. (...) ".

9. Il résulte de l'instruction, notamment du volet n° 2 de la liasse n° 3666 intitulé " attestation des impôts des entreprises (SIE) ou de la direction des grandes entreprises " daté du 19 avril 2012 que la situation déclarative de la SNIE a été mise en règle spontanément dès le 1er février 2012. Dans un " état annuel des certifications reçus NOTI2 ", daté 24 août 2012, le directeur des finances publiques du département de Mayotte certifie avoir reçu de la SNIE les certificats fiscaux attestant de la régularité de sa situation fiscale au 31 décembre 2011. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit donc être écarté.

En ce qui concerne la régularité de l'attribution de la délégation de service public :

10. Les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une délégation de service public, avant le dépôt de leurs offres, une information sur les critères de sélection des offres. La personne publique, qui négocie librement les offres avant de choisir, au terme de cette négociation, le délégataire, n'est pas tenue d'informer les candidats des modalités de mise en oeuvre de ces critères. Toutefois, si, alors même qu'elle n'y est pas tenue, elle rend publiques les modalités de mise en oeuvre des critères de sélection des offres et si elle entend ensuite les modifier, elle ne peut légalement le faire qu'en informant les candidats de cette modification en temps utile avant le dépôt des candidatures, afin que celles-ci puissent être utilement présentées, dans le cas où l'information initiale sur les modalités de mise en oeuvre des critères a elle-même été donnée avant le dépôt des candidatures, ou en temps utile avant le dépôt des offres, pour que celles-ci puissent être utilement présentées, dans le cas où l'information initiale n'a été donnée qu'après le dépôt des candidatures. Par suite, lorsque la personne publique a informé les candidats des modalités de mise en oeuvre des critères de sélection des offres, elle ne peut en tout état de cause les modifier après le dépôt des offres sans méconnaître le principe de transparence des procédures.

11. L'article 8 du règlement de la consultation a fixé cinq critères d'appréciation des offres pondérés de la manière suivante : critère n° 1 " qualité du projet de développement du service " pondéré à 20 %, critère n° 2 " qualité du projet en matière de développement durable et appropriation des orientations retenues par le département " pondéré à 20 %, critère n° 3 " moyens techniques et matériels mobilisés pour l'exécution du contrat, modalités d'organisation et de gestion de ceux-ci " pondéré à 10 %, critère n° 4 " modalités d'équilibre de la délégation de service public et performance financière, envisagée en fonction du niveau de prise en charge des risques d'exploitation et des investissements par le futur délégataire dans le cadre d'une exploitation aux risques et périls " pondéré à 20 % et critère n° 5 " robustesse du montage juridico-financier, niveau de garanties et engagements financiers du candidat sur la durée de la convention de délégation " pondéré à 20 %.

S'agissant du jugement des offres par la commission de délégation de service public :

12. Il résulte de l'instruction que la commission de délégation de service public s'est réunie une première fois afin d'ouvrir les plis contenant les offres des deux candidats admis à présenter une offre. Elle a rendu un avis en date du 11 décembre 2012 dans lequel elle fait apparaître l'analyse des offres du groupement CCI de Mayotte - Lavalin et de la SNIE, pour chacun des cinq critères déterminés dans le règlement de la consultation, et invité le président du conseil général de Mayotte à entrer en négociations avec les deux candidats. Ce dernier s'est entretenu avec le groupement CCI de Mayotte - Lavalin le 27 mars 2013, et avec la SNIE le 28 mars 2013 et, à l'issue de ces négociations, les deux candidats ont été invités à remettre leurs offres améliorées.

13. Les dispositions précitées de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient que la commission de délégation de service public est chargée d'ouvrir les plis contenant les offres et d'émettre un avis sur les propositions établies par les entreprises admises à présenter des offres, ne faisaient nullement obstacle à ce que le président du conseil général demande à la commission de rendre un nouvel avis sur les offres améliorées présentées par les deux candidats.

14. La commission de délégation de service public s'est de nouveau prononcée sur ces offres le 28 mai 2013 en analysant les offres améliorées sur la base des cinq critères prévus dans le règlement de consultation. Il ne résulte nullement de l'instruction qu'en estimant que la valeur de l'offre améliorée présentée par la SNIE était supérieure à celle du groupement CCI de Mayotte - Lavalin, la commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation. La société Edeis n'est pas davantage fondée à soutenir que la commission d'appel d'offres n'aurait pas procédé à un examen sincère, précis et circonstancié des offres afin de déterminer les mérites respectifs des candidats.

S'agissant des conditions de jugement des offres par le président du conseil général :

15. Le rapport du président du conseil général du département de Mayotte, transmis à l'assemblée délibérante en application des dispositions précitées de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, contient, en pages 5 à 8, une analyse synthétique des offres initiales, critère par critère et, en pages 9 à 14, une analyse synthétique des offres améliorées, critère par critère, issues des travaux de la commission de délégation de service public, ainsi qu'un tableau indiquant les notes obtenues par chacune des offres améliorées au regard de chacun des critères énoncés par le règlement de consultation. En page 15 de ce rapport, le président du conseil général a également précisé le choix de retenir l'offre améliorée de la société SNIE en soulignant certaines améliorations apportées par la SNIE à son offre à la suite de la négociation. Par suite, le moyen tiré de ce que le président du conseil général n'aurait pas choisi le délégataire au regard de l'ensemble des critères pondérés énoncés par le règlement de consultation ne peut qu'être écarté.

16. En outre, il résulte de l'instruction que le premier des cinq critères d'appréciation des offres énoncés par le règlement de consultation, relatif à la qualité technique et économique de l'offre, comprend quatre éléments dont le premier est relatif à la qualité du projet de développement du service apprécié sur la base de la pertinence des orientations stratégiques proposées dans le plan de développement stratégique du port et des plans d'investissements (entretien, renouvellement et développement) à 15 ans, 5 ans, et 1 an attachés à celui-ci au regard des attentes formulées par le département dans le dossier de consultation. Le dossier de consultation précise, au titre des caractéristiques principales de son contrat, dans la rubrique 3.3 " objectifs du département ", que l'autorité délégante souhaite favoriser " la multiplicité d'activités complémentaires en lien avec le port de commerce qui doit s'accompagner d'une démarche volontariste favorisant l'amélioration des performances portuaires créatrices d'emplois en lien avec ses trafics (...) ". Par suite, il résulte de ces stipulations que, dès la prise de connaissance du dossier de consultation, les candidats étaient informés que leur offre devait présenter des perspectives de créations d'emplois notamment dans les cinq premières années d'exécution de la convention. C'est d'ailleurs ce que le département s'est borné à rappeler à la SNIE dans le courrier qu'il lui a adressé le 3 avril 2013 l'invitant à améliorer son offre notamment sur ce point.

17. Ainsi, la circonstance que le président a notamment souligné pour justifier son choix de l'offre de la société SNIE, l'intérêt que présentait celle-ci au regard du " développement durable combiné au développement économique, lui permettant de générer des retombées directes sur Mayotte, sous forme d'une redevance mais surtout des retombées locales indirectes et induites très significatives, se traduisant par plusieurs dizaines d'emplois et des millions d'euros annuels de dépenses induites ", ne saurait être regardée comme révélant que l'attribution de la délégation de service public aurait été effectuée en fonction d'un critère dont les candidats n'auraient pas été informés ni a fortiori d'un critère social nouveau sans lien direct avec l'objet du contrat, le président du conseil général ayant ainsi seulement porté une appréciation sur l'offre de la société SNIE au regard du premier critère de sélection des offres.

18. Enfin, dans le rapport relatif à cette convention de délégation de service public, le président du conseil général a porté une appréciation personnelle sur les mérites respectifs des deux offres présentées en faisant sienne l'analyse de la commission de délégation de service public puis en synthétisant, à la page 15 précitée de son rapport, les motifs de son choix. Il a ainsi régulièrement exercé sa compétence.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Lavalin, devenue la société Edeis, n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du département de Mayotte, qui n'a pas la qualité de partie perdante, une somme au titre des frais engagés par la société appelante et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Edeis la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par le département de Mayotte et non compris dans les dépens.

21. La demande présentée au même titre par la société Mayotte Channel Gateway dont l'intervention n'est pas admise ne peut qu'être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la société Mayotte Channel Gateway n'est pas admise.

Article 2 : La requête présentée par la société Lavalin, devenue Edeis, est rejetée.

Article 3 : La société Edeis versera au département de Mayotte une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Mayotte Channel Gateway sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Edeis, à la société Mayotte Channel Gateway et au département de Mayotte. Copie en sera adressée au ministre des outre-mer et au préfet de Mayotte.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,

Romain Roussel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 décembre 2018

Le rapporteur,

Sylvande Perdu

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX00794


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00794
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Sylvande PERDU
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : MEHDI BOUDIEB et TONY JANVIER

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-20;16bx00794 ?
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