LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Alain X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 18 novembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 mai 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Larmanjat, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Ricard, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, MM. Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lagauche ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller LARMANJAT, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle SEVAUX et MATHONNET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23, alinéa 1, 29, 32, alinéa 1, 42, 43, 48, 55 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Alain X... coupable de diffamation publique envers un particulier, en l'espèce M. Jean-Luc Y..., faits commis le 12 juin 2012 ;
" aux motifs que la cour retiendra de ces éléments, comme le premier juge, que la référence de l'intimé, sur son site, au discours de M. Z..., n'induit aucune sympathie avec les propos antisémites de celui-ci ; que l'appelant, par ailleurs, n'apporte aucun élément qui puisse établir une proximité personnelle ou amicale entre l'intimé et M. Z... qui puisse justifier d'un « copinage » entre eux ; que cette absence de base factuelle est en conséquence solidaire d'un manque de prudence dans l'expression des sympathies prêtées à M. Y... ; qu'aussi la décision déférée sera-telle confirmée tant sur le principe de la culpabilité de M. X... que sur une peine exactement appréciée ;
" 1°) alors qu'en matière de diffamation publique, l'exception de bonne foi doit être appréciée de façon plus large lorsque l'auteur des propos argués de diffamation n'est pas un journaliste qui fait profession d'informer, mais un responsable politique qui s'exprime en direct sur un sujet d'intérêt général dans un contexte électoral et politique particulier et dont les propos peuvent dans ce cadre revêtir une certaine emphase ; qu'en retenant en l'espèce la culpabilité de M. X... sur le fondement d'une absence de base factuelle et d'un manque de prudence dans l'expression, la cour d'appel ne s'est pas expliquée sur les éléments fiables dont se prévalait M. X... pour s'exprimer comme il l'a fait dans un contexte de polémique politique et de campagne électorale, eu égard à la mise en ligne sur le blog de M. Y... pendant près d'un an, à compter du 13 juin 2011 d'un communiqué intitulé, sans la moindre réserve « avec Z...», dans lequel M. Y... se faisait le relais de l'appel lancé par M. Z...sur la situation de la Grèce, lequel M. Z...venait pourtant de scandaliser le monde entier quelques mois plutôt lors d'une émission diffusée le 3 février 2011 à la télévision grecque, récidivant sur des positions déjà exprimées depuis plusieurs années en se proclamant d'emblée antisémite et antisioniste ; que le fait que ces déclarations soient sans lien avec les propos tenus sur le site de M. Y..., nul ne conteste, ne saurait ôter toute base factuelle aux propos tenus par M. X..., mettant le doigt sur les prises de position ouvertement antisémites de M. Z..., qui ne pouvaient être passés sous silence en affichant un soutien inconditionnel à cette personnalité, laquelle de fait prônait l'antisémitisme ; que la référence à l'absence de « relations personnelles » entre MM. Z...et Y... constitue un motif surabondant dans la mesure où M. X... visait bien évidemment et exclusivement, les affinités politiques entretenues par M. Y... avec cette personnalité contestée, sur son blog à vocation politique et dans un communiqué du Parti de gauche, renouvelant pendant près d'une année son soutien à un homme que ses prises de position antisémites rendaient politiquement infréquentable ; qu'en statuant comme elle l'a fait, aux termes d'une motivation pour partie inopérante, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes et principes susvisés qu'elle a violés ;
" 2°) alors que dans ses conclusions devant la cour d'appel, M. X... distinguait bien le caractère éminemment politique de ses propos et précisait que les termes « copain » et « affinités » ne peuvent et ne doivent être compris que dans un sens politique, ce qui résultait aussi bien du contexte dans lequel ces mots ont été prononcés que du lien politique revendiqué par M. Y... avec M. Z...et du support de son appel en faveur de cet homme public ; qu'en déniant toute base factuelle aux propos reprochés à M. X..., faute d'éléments de nature à établir une proximité personnelle et amicale entre les deux hommes, ainsi qu'une sympathie de M. Y... envers les propos antisémites tenus par M. Z..., la cour qui ne s'explique absolument pas sur le chef essentiel des conclusions de M. X... faisant spécialement état du caractère exclusivement politique des liens reprochés à M. Y... avec cette personnalité contestée par ses prises de position radicalement antisémites a privé sa décision des motifs nécessaires à son soutien ;
" 3°) alors que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit la liberté d'expression, laquelle ne peut faire l'objet d'une limitation qu'à la condition qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but poursuivi ; que les ingérences dans la liberté d'expression doivent être particulièrement rares dans le domaine politique, les limites de la critique admissible étant plus larges à l'égard d'un homme politique visé en cette qualité que d'un simple particulier ; qu'en outre, dans un contexte électoral, une certaine vivacité du propos, et même une certaine outrance sont admises ; qu'en déclarant M. X... coupable de diffamation en lui reprochant des propos tenus oralement en direct, lors d'une émission de radio entre les deux tours des élections législatives de 2012, dans un contexte d'alliance électorale, visant des prises de position discutables du chef de file du Front de gauche en faveur d'une personnalité ayant, par ailleurs, tenu des propos antisémites virulents, les juges du fond qui n'ont pas pris la mesure des enjeux politiques et du débat électoral dans lesquels les propos ont été prononcés, en refusant à M. X... le bénéfice de la bonne foi, alors même que lesdits propos qui reposaient sur des faits avérés ne dépassaient pas les limites de la liberté d'expression dans la critique des prises de position d'un adversaire politique, ont méconnu les textes et principes susvisés ;
" 4°) alors que la bonne foi doit s'apprécier par rapport au contexte à l'origine de l'intervention et les propos reprochés ; que M. X... et M. Y..., même s'ils n'étaient pas candidats l'un contre l'autre, dans le cadre des élections législatives, étant tous deux représentants de tendances politiques opposées, par le jeu des alliances électorales, étaient amenés à s'affronter dans un contexte politique particulièrement tendu ; qu'en s'abstenant de replacer les faits dans leur contexte et en considérant seulement que M. X... aurait manqué de prudence dans l'expression des sympathies prêtées à M. Y..., au motif inopérant selon lequel il n'établissait pas une proximité personnelle ou amicale entre M. Y... et M. Z..., là où il n'était manifestement question que d'un copinage politique susceptible d'être critiqué dans le cadre de la polémique électorale du moment, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés " ;
Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article précité ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que M. Jean-Luc Y... a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier, en raison des propos : "..... entretenir des relations sulfureuses avec certaines personnalités européennes qui prônent l'antisémitisme (...) Z...(..) C'est un copain de Jean-Luc Y... (...) Je dis que M. Y... entretient des affinités sulfureuses avec des personnalités qui se disent antisémites ", tenus par M. X..., le 12 juin 2012, lors d'une émission radiophonique, diffusée en direct sur la station France-Inter ; que ces paroles faisaient allusion à " l'appel aux citoyens de Grèce et d'Europe ", lancé par M. Z..., compositeur grec, le 26 mai 2011, figurant sur les site internet et blog de M. Y..., cet artiste ayant, par ailleurs, tenu depuis 2003, dans divers médias, des propos de caractère antisémite ; que le tribunal l'a déclaré coupable et l'a condamné ; que le prévenu a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, après avoir, à juste titre, retenu le caractère diffamatoire des propos incriminés, l'arrêt retient que l'existence de discours antisémites de M. Z..., apparemment non contestée, est sans relation avec les propos de celui-ci, retenus sur le site de la partie civile, que ce seul exemple ne justifie pas le pluriel utilisé par le prévenu et qu'indépendamment d'une affinité politique, M. X... n'établit nullement l'existence d'une relation personnelle ou amicale entre MM. Z...et Y..., ni une quelconque sympathie de celui-ci avec les propos antisémites de celui-là ; que les juges ajoutent que l'absence de base factuelle est, en conséquence, solidaire d'un manque de prudence dans l'expression des sympathies prêtées à la partie civile ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'au regard du débat d'intérêt général sur les relations prêtées à un homme politique, à l'occasion d'élections législatives, spécialement sur la proximité supposée entre celui-ci et un artiste connu pour son antisémitisme, dans lequel s'inscrivaient les propos, et de la base factuelle sur laquelle ils reposaient, les affinités politiques entre M. Y... et M. Z...étant notoires, de même que la tenue par ce dernier de propos antisémites, et compte tenu, d'une part, de ce qu'il n'était pas imputé au premier une adhésion aux déclarations condamnables du second, d'autre part, de ce qu'il ne pouvait être reproché à M. X..., homme politique et non professionnel de l'information, s'exprimant en direct lors d'une émission radiophonique, d'avoir adopté un ton indéniablement polémique, la cour d'appel qui, pour refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi, a retenu une insuffisance de base factuelle et un défaut de prudence dans l'expression, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; que n'impliquant qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 18 novembre 2015 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit juin deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.