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10/01/2018 | FRANCE | N°16-22494

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 10 janvier 2018, 16-22494


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 13 mai 2015, pourvoi n° 13-17.751, Bull. 2015, I, n° 107), qu'en exécution d'une sentence arbitrale rendue le 3 décembre 2000, sous les auspices de la Chambre de commerce internationale, la société Commissions Import Export (Commisimpex), auprès de laquelle la République du Congo s'était engagée, le 3 mars 1993, à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d'exécution, a fait pratique

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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 13 mai 2015, pourvoi n° 13-17.751, Bull. 2015, I, n° 107), qu'en exécution d'une sentence arbitrale rendue le 3 décembre 2000, sous les auspices de la Chambre de commerce internationale, la société Commissions Import Export (Commisimpex), auprès de laquelle la République du Congo s'était engagée, le 3 mars 1993, à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d'exécution, a fait pratiquer, entre les mains d'une banque, une saisie-attribution de comptes ouverts dans ses livres au nom de la mission diplomatique à Paris de la République du Congo et de sa délégation auprès de l'UNESCO ; que l'arrêt rendu le 15 novembre 2012 par la cour d'appel de Versailles a été cassé et annulé au motif que le droit international coutumier n'exigeait pas une renonciation autre qu'expresse à l'immunité d'exécution dont bénéficient les missions diplomatiques des Etats étrangers pour le fonctionnement de la représentation de l'Etat accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté ;

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, ci-après annexé :

Attendu que ce grief n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la première branche du moyen :

Vu les articles 22 et 25 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et les règles du droit international coutumier relatives à l'immunité d'exécution des Etats, ensemble les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

Attendu que l'arrêt déclare régulières les saisies pratiquées par la société Commisimpex, après avoir énoncé que le droit international coutumier n'exige pas une renonciation autre qu'expresse à l'immunité d'exécution et qu'il ressort de la lettre d'engagement signée le 3 mars 1993 par le ministre des finances et du budget que la République du Congo a renoncé expressément à se prévaloir de son immunité d'exécution à l'égard de Commisimpex sur tous les biens susceptibles d'en bénéficier, qu'ils soient ou non affectés à l'accomplissement de la mission diplomatique ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel de renvoi s'est conformée à la doctrine de l'arrêt qui l'avait saisie ;

Attendu, cependant, que la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 a introduit, dans le code des procédures civiles d'exécution, deux nouvelles dispositions ; que, selon l'article L. 111-1-2 de ce code, sont considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat à des fins de service public non commerciales les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'Etat ou de ses postes consulaires ; qu'aux termes de l'article L. 111-1-3, des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique des Etats étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales qu'en cas de renonciation expresse et spéciale des Etats concernés ;

Attendu que ces dispositions législatives, qui subordonnent la validité de la renonciation par un Etat étranger à son immunité d'exécution, à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale, contredisent la doctrine isolée résultant de l'arrêt du 13 mai 2015, mais consacrent la jurisprudence antérieure (1re Civ., 28 septembre 2011, pourvoi n° 09-72.057, Bull. 2011, I, n° 153 ; 1re Civ., 28 mars 2013, pourvois n° 10-25.938 et n° 11-10.450, Bull. 2013, I, n° 62 et 63) ; que certes, elles concernent les seules mesures d'exécution mises en oeuvre après l'entrée en vigueur de la loi et, dès lors, ne s'appliquent pas au présent litige ; que, toutefois, compte tenu de l'impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des Etats et à la préservation de leurs représentations diplomatiques, de traiter de manière identique des situations similaires, l'objectif de cohérence et de sécurité juridique impose de revenir à la jurisprudence confortée par la loi nouvelle ;

D'où il suit que l'annulation est encourue ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, la Cour de cassation peut casser et annuler sans renvoi et, en matière civile, statuer au fond lorsque l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ;

Attendu qu'il ressort des énonciations du jugement entrepris que les titulaires des comptes saisis sont, soit l'ambassade de la République du Congo en France, soit la délégation permanente de cet Etat auprès de l'UNESCO ; que la présomption d'affectation à l'accomplissement des fonctions de ces missions diplomatiques est confortée par l'intitulé de ces comptes et que, alors qu'il le lui incombait, le créancier n'a rapporté la preuve contraire devant aucune des juridictions saisies ;

PAR CES MOTIFS :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement rendu le 15 décembre 2011, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Nanterre ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens, incluant ceux exposés devant les juges du fond ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la République du Congo

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré valables et régulières les saisies pratiquées par la société Commisimpex le 12 octobre 2011 à l'encontre de la République du Congo entre les mains de la Société Générale, d'avoir en conséquence débouté la République du Congo de l'ensemble de ses demandes, et d'avoir condamné la République du Congo à payer à la société Commisimpex la somme de 15.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Aux motifs qu'« il est constant que la saisie querellée a été pratiquée sur le fondement d'une sentence arbitrale exécutoire en France qui a été rendue en application de la lettre d'engagement du 3 mars 1993 et conformément au règlement d'arbitrage de la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale ; qu'aux termes de l'article L.111-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution ; que le droit international coutumier, seule source en cette matière, n'exige pas une renonciation autre qu'expresse à l'immunité d'exécution ; que c'est en vain que la République du Congo se prévaut de la Convention des Nations-Unies de 2004, au demeurant non entrée en vigueur, ou de la Convention de Vienne de 1961 dont il ne résulte pas une limitation de la portée de la clause de renonciation à l'immunité d'exécution ; qu'il ressort de la lettre d'engagement signée le 3 mars 1993 par le ministre des finances et du budget dans la suite du Protocole d'accord conclu par les parties en 1992 que la République du Congo s'est engagée à payer à Commisimpex les billets à ordre afférents aux différents marchés demeurés impayés et qu'elle "renonce définitivement et irrévocablement à invoquer dans le cadre d'un litige en relation avec les engagements objet de la présente toute immunité de juridiction ainsi que toute immunité d'exécution" ; que cette clause claire et sans équivoque suffit à établir que la République du Congo a renoncé expressément à se prévaloir de son immunité d'exécution à l'égard de Comminsipex sur tous les biens susceptibles d'en bénéficier qu'ils soient ou non affectés à l'accomplissement de la mission diplomatique ; qu'il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de débouter la République du Congo de ses contestations et de déclarer valables et régulières les saisies pratiquées par la société Commisimpex le 12 octobre 2011 à l'encontre de la République du Congo entre les mains de la Société Générale ; que l'équité commande de condamner la République du Congo à payer à Commisimpex la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant les deux juridictions d'appel ;
que partie perdante, la République du Congo supportera les dépens de première instance, de la présente instance d'appel et de ceux exposés devant la cour d'appel de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 639 du code de procédure civile, ce qui conduit à la débouter de sa demande d'indemnisation de ses propres frais » ;

Alors 1°) qu'il résulte de l'article 22 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 que les locaux de la mission diplomatique, leur ameublement et les autres objets qui s'y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l'objet d'aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d'exécution ; qu'aux termes de l'article 25 de cette Convention, l'Etat accréditaire accorde toutes facilités pour l'accomplissement des fonctions de la mission diplomatique ; qu'en vertu de ces dispositions, sont protégés par une immunité d'exécution les biens des ambassades et missions diplomatiques des Etats étrangers, de sorte que la renonciation à ce privilège autonome, distinct de l'immunité d'exécution générale dont disposent les Etats, suppose pour être valable de revêtir un caractère exprès et spécial ; qu'en jugeant au contraire qu'il ne résultait pas de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 une limitation de la portée de la clause de renonciation à l'immunité d'exécution des Etats, la cour d'appel a violé les articles 22 et 25 de cette Convention, ensemble l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

Alors 2°) et en toute hypothèse que la portée de la renonciation d'un Etat au bénéfice de son immunité d'exécution diplomatique ne peut être appréciée qu'au regard des règles régissant celle-ci à la date à laquelle elle serait intervenue ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déduit la renonciation de la République du Congo au bénéfice de son immunité d'exécution d'une lettre d'engagement du 3 mars 1993 signée par son ministre des finances et du budget, aux termes de laquelle il était indiqué que la République du Congo « renon[çait] définitivement et irrévocablement à invoquer dans le cadre d'un litige en relation avec les engagements objet de la présente toute immunité de juridiction ainsi que toute immunité d'exécution » ; qu'en jugeant que cette clause « claire et sans équivoque » suffisait à établir que la République du Congo avait renoncé expressément à se prévaloir de son immunité d'exécution à l'égard de la société Commisimpex, sans qu'il soit nécessaire que cette renonciation porte spécialement sur les biens affectés à l'accomplissement de sa mission diplomatique, sans examiner, comme elle y était invitée (conclusions d'appel de l'exposante, p. 31 et s.), la portée de cette renonciation au regard des circonstances juridiques et factuelles existant à la date de cette supposée renonciation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, ensemble l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution et les principes du droit international relatifs à l'immunité d'exécution des Etats étrangers.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-22494
Date de la décision : 10/01/2018
Sens de l'arrêt : Annulation sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

ETAT - Etat étranger - Immunité d'exécution - Bénéfice - Renonciation - Condition

ETAT - Etat étranger - Immunité d'exécution - Bénéfice - Renonciation - Caractère exprès et spécial - Nécessité - Portée PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Domaine d'application - Exclusion - Personnes bénéficiant d'une immunité d'exécution - Portée

Les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d'exécution issus de la loi n° 2016-1694 du 9 décembre 2016, selon lesquels la validité de la renonciation par un Etat étranger à son immunité d'exécution est subordonnée à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale, ne concernent que les seules mesures d'exécution mises en oeuvre après l'entrée en vigueur de cette loi. Toutefois, pour les mesures d'exécution mises en oeuvre avant cette entrée en vigueur, compte tenu de l'impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des Etats et à la préservation de leurs représentations diplomatiques, de traiter de manière identique des situations similaires, l'objectif de cohérence et de sécurité juridique impose de faire application à ces situations de la jurisprudence conforme à ces nouvelles dispositions (1re Civ., 28 septembre 2011, pourvoi n° 09-72.057, Bull. 2011, I, n° 153 (rejet) ; 1re Civ., 28 mars 2013, pourvois n° 10-25.938 et 11-10.450, Bull. 2013, I, n° 62 et 63 (rejet)), de sorte que doit être annulé l'arrêt d'une cour d'appel rendu en conformité d'une jurisprudence, certes postérieure, mais divergente (1re Civ., 13 mai 2015, pourvoi n° 13-17.751, Bull. 2015, I, n° 107 (cassation))


Références :

articles 22 et 25 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961

articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d'exécution

article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 juin 2016

A rapprocher :1re Civ., 28 septembre 2011, pourvoi n° 09-72057, Bull. 2011, I, n° 153 (rejet) ;1re Civ., 13 mai 2015, pourvoi n° 13-17751, Bull. 2015, I, n° 107 (cassation), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 10 jan. 2018, pourvoi n°16-22494, Bull. civ.Bull. 2018, I, n° 2
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, I, n° 2

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie, SCP Ortscheidt

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.22494
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