Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
le code du travail ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. A...'hirondel,
les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
et les observations de Me B...représentant Mme E...et de MeG..., substituant MeD..., représentant Me F...C...ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Trucks and Stores
1. Considérant que du fait de difficultés économiques persistantes, la société Trucks and Stores, spécialisée dans la vente d'articles de coutellerie, de ménage, de bazar, quincaillerie et outillage, a décidé d'initier, à compter du mois de juin 2013, une réorganisation de l'entreprise impliquant, notamment, la fermeture de l'établissement d'Ouezy (14) et la suppression des soixante-quatre postes qui y sont rattachés ainsi que de neuf autres postes de son établissement situé à Saint-Cyr-sur-Loire (37) ; que dans le cadre de cette réorganisation, l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité territoriale du Calvados a, par une décision du 24 janvier 2014, autorisé la société Trucks and Stores à procéder au licenciement pour motif économique de Mme H...E..., déléguée du personnel, membre titulaire du comité d'établissement d'Ouezy et du comité central d'entreprise ; que Mme E...relève appel du jugement du 21 mai 2015 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 24 janvier 2014 ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L.1233-21 du code du travail : " Un accord d'entreprise, de groupe ou de branche peut fixer, par dérogation aux règles de consultation des instances représentatives du personnel prévues par le présent titre et par le livre III de la deuxième partie, les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise applicables lorsque l'employeur envisage de prononcer le licenciement économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours. " ; qu'aux termes de l'article L.1233-22 du même code dans sa rédaction alors applicable : " L'accord prévu à l'article L. 1233-21 fixe les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise : / 1° Est réuni et informé de la situation économique et financière de l'entreprise ; / 2° Peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l'origine d'une restructuration ayant des incidences sur l'emploi et obtenir une réponse motivée de l'employeur à ses propositions. / L'accord peut organiser la mise en oeuvre d'actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l'entreprise et du groupe. / Il peut déterminer les conditions dans lesquelles l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi prévu à l'article L. 1233-61 fait l'objet d'un accord et anticiper le contenu de celui-ci. " ; que selon l'article L.1233-23 de ce même code : " L'accord prévu à l'article L. 1233-21 ne peut déroger : / 1° A l'obligation d'effort de formation, d'adaptation et de reclassement incombant à l'employeur prévue à l'article L. 1233-4 ; / 2° Aux règles générales d'information et de consultation du comité d'entreprise prévues aux articles L. 2323-2, L. 2323-4 et L. 2323-5 ; / 3° A la communication aux représentants du personnel des renseignements prévus aux articles L. 1233-31 à L. 1233-33 ; / 4° Aux règles de consultation applicables lors d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, prévues à l'article L. 1233-58. " ;
3. Considérant que ces dispositions, insérées dans la partie législative du code du travail et qui concernent les cas de licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours pour motif économique, précisent les conditions dans lesquelles un accord d'entreprise peut fixer des modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise différentes de celles qui sont prévues par la loi ; que toutefois, le législateur a entendu strictement encadrer le contenu d'un tel accord en interdisant, notamment, toute dérogation aux règles générales d'information et de consultation du comité d'entreprise prévues aux articles L. 2323-2, L. 2323-4 et L. 2323-5 ainsi qu'à la communication aux représentants du personnel des renseignements prévus aux articles L. 1233-31 à L. 1233-33 ;
4. Considérant, d'autre part, qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; que, pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de l'entreprise demanderesse, mais est tenue, dans le cas où la société intéressée relève d'un groupe, de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article L.1233-38 du code du travail : " L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte, selon le cas, le comité d'entreprise ou les délégués du personnel, dans les conditions prévues par le présent paragraphe " ; que selon l'article L. 1233-30 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité d'entreprise. / Il peut procéder à ces opérations concomitamment à la mise en oeuvre de la procédure de consultation prévue par l'article L. 2323-15. / Le comité d'entreprise tient deux réunions séparées par un délai qui ne peut être supérieur à : / 1° Quatorze jours lorsque le nombre des licenciements est inférieur à cent ; (...) " ; qu'aux termes de l'article L.1233-36 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Dans les entreprises dotées d'un comité central d'entreprise, l'employeur consulte le comité central et le ou les comités d'établissement intéressés dès lors que les mesures envisagées excèdent le pouvoir du ou des chefs d'établissement concernés ou portent sur plusieurs établissements simultanément. Dans ce cas, le ou les comités d'établissement tiennent leurs deux réunions respectivement après la première et la deuxième réunion du comité central d'entreprise tenues en application de l'article L. 1233-30. " ; qu'aux termes de l'article L. 2323-15 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Le comité d'entreprise est saisi en temps utile des projets de restructuration et de compression des effectifs. / Il émet un avis sur l'opération projetée et ses modalités d'application. / Cet avis est transmis à l'autorité administrative. " ;
6. Considérant que la société Trucks and Stores était dotée d'un comité central d'entreprise et d'un comité d'établissement pour chacun de ces deux établissements situés à Ouezy et Saint-Cyr-sur-Loire ; que Mme E...a été incluse dans un licenciement collectif pour motif économique sur une période de moins de trente jours concernant soixante-treize salariés ; que le comité central d'entreprise ainsi que les comités d'établissements d'Ouezy et de Saint-Cyr-sur-Loire ont été réunis les 6 et 7 juin 2013 au titre de la consultation prévue à l'article L.2323-15 du code du travail ; qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier des notes de présentation adressées au comité central d'entreprise et au comité d'établissement d'Ouezy, que l'information apportée aux membres de ces comités s'est limitée à l'analyse de la situation économique de la société Trucks and Stores alors que selon l'organigramme produit en cours d'instance, cette société appartenait, à la date de ces consultations, au groupe Baulder qui comprenait, outre la société défenderesse, la société de droit allemand Aironotec ; que ce même organigramme fait, de plus, apparaître, que la société Trucks and Stores disposait de quatre filiales : Im'mobile SARL, Outiror Distribution SASU, MMM Réunion SASU et MMM Antilles SASU ; que selon les extraits d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, ces trois dernières sociétés exerçaient dans le même secteur d'activité que la société Trucks and Stores ; que, dans ces conditions, en l'absence de présentation de l'examen de la situation de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société Trucks and Stores, la consultation des institutions représentatives du personnel, prescrite par les dispositions de l'article L.2323-15 du code du travail, a été ainsi privée, en l'espèce, de toute portée utile ; que ces informations étant nécessaires aux institutions représentatives du personnel pour leur permettre d'émettre un avis en toute connaissance de cause, la société Trucks and Stores ne saurait se prévaloir de l'accord collectif intervenu le 1er août 2013 dès lors qu'un tel accord, à supposer même qu'il ait été conclu sur le fondement des dispositions de l'article L.1233-21 du code du travail, n'a pu avoir pour effet de déroger aux règles générales d'information et de consultation, notamment à celles de l'article L.2323-4, qui prévoyaient, dans sa rédaction alors applicable, que " pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur " ; que, par suite, du seul fait que la phase de la procédure préalable à la saisine du cas de MmeE..., qui devait lui être soumis, a été entachée d'irrégularité, l'inspectrice du travail était tenue de refuser à la société Trucks and Stores l'autorisation qu'elle avait sollicitée de licencier cette salariée, pour motif économique ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeE..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Trucks and Stores demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros au titre des frais exposés par Mme E...et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 21 mai 2015 et la décision de l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité territoriale du Calvados du 24 janvier 2014 autorisant le licenciement de Mme E...sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme E...la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société Trucks and Stores tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H...E..., au ministre du travail et à la société Trucks and Stores.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- M. A...'hirondel, premier conseiller,
- Mme Bougrine, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 14 novembre 2017.
Le rapporteur,
M. I...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
S. BOYERE
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15NT02247