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01/03/2018 | FRANCE | N°15LY02738

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 01 mars 2018, 15LY02738


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B...C...et Mme D...C...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Grenoble à leur verser la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi en raison du décès de leur enfant lors de la prise en charge dont Mme C...a fait l'objet le 24 août 1999 dans cet établissement à l'occasion de son accouchement.

Par un jugement n° 1106489 du 26 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la requête.

Procédure devant la

cour

Par une requête enregistrée le 27 juillet 2015, les époux C..., représentés par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B...C...et Mme D...C...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Grenoble à leur verser la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi en raison du décès de leur enfant lors de la prise en charge dont Mme C...a fait l'objet le 24 août 1999 dans cet établissement à l'occasion de son accouchement.

Par un jugement n° 1106489 du 26 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la requête.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 27 juillet 2015, les époux C..., représentés par Me A..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 mai 2015 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à leur verser la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice moral résultant du décès de leur enfant ;

3°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble aux entiers frais et dépens ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble la somme de 3 000 euros au titre frais exposés et non compris dans les dépens de première instance et la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a estimé qu'aucune faute n'avait été commise en ne prenant en considération au soutien de son raisonnement que le rapport d'expertise du professeur Dallay ; il résulte des pièces du dossier qu'eu égard à la répétition des anomalies du rythme cardiaque du foetus qui se sont produites à partir de 18h03, la sage-femme en charge de Mme C...a commis une faute en tardant à informer le médecin obstétricien de ces anomalies et en ne diagnostiquant ni la souffrance foetale chronique ni l'existence d'une latérocidence ; cette faute est non seulement à l'origine d'une perte de chance de survie de l'enfant mais également directement à l'origine de son décès ;

- la sage-femme a commis une faute en ne procédant pas, à l'arrivée de Mme C...au centre hospitalier à 13h00, à un examen pelvimétrique afin de s'assurer que la parturiente était à même d'accoucher par voie naturelle ;

- la sage-femme a commis une faute en prescrivant une analgésie péridurale à la parturiente à 19h35 alors que cet acte ne relevait pas de ses compétences ;

- la sage-femme a commis une faute en laissant à 21h30 la parturiente sous la responsabilité de personnel non qualifié ;

- le centre hospitalier universitaire de Grenoble a commis une faute en communiquant un dossier médical incomplet ;

- le centre hospitalier universitaire de Grenoble a commis une faute en ne disposant pas de service de néonatologie à proximité de la maternité ;

Par un mémoire en défense enregistré le 28 juillet 2017, le centre hospitalier universitaire de Grenoble conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les opérations de l'expertise réalisée par le professeur Dallay ont été régulières dès lors que les pièces du dossier médical de Mme C...et de son enfant, notamment le tracé du rythme cardiaque, ont été communiquées à l'expert et ont fait l'objet d'un débat contradictoire lors de la réunion d'expertise ;

- aucune faute n'a été commise par le centre hospitalier ;

- aucune perte de chance n'a été subie ;

- le préjudice moral dont il est demandé l'indemnisation est surévalué au regard de la jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Carrier,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me Demailly, avocat du centre hospitalier universitaire de Grenoble.

1. Considérant que MmeC..., enceinte de son premier enfant, a été admise au centre hospitalier universitaire de Grenoble le 24 août 1999 à 13 heures ; qu'elle a fait l'objet d'une surveillance continue jusqu'à 19 heures 30, heure à laquelle a été transférée en salle d'accouchement ; que, durant toute cette période, la sage-femme a procédé à des enregistrements réguliers du rythme cardiaque du foetus ; qu'une tachycardie modérée puis un court épisode de bradycardie ont été constatés à 18 h30 durant deux minutes, qu'un ralentissement du rythme cardiaque du foetus pendant une minute s'est produit à 19 h 22 ; qu'à la pose d'une péridurale à 20 h 23, une nouvelle bradycardie est survenue qui a duré environ cinq minutes ; qu'à 21 h 10, la rupture artificielle des membranes a été réalisée, libérant un liquide amniotique méconial, suivie d'une bradycardie de trois minutes ; qu'à 21 h 52, une bradycardie profonde sans récupération a été enregistrée ; que le médecin externe qui assurait alors la surveillance de Mme C...en l'absence de la sage-femme a prévenu cette dernière ; que celle-ci s'est alors mise en relation avec l'interne de garde qui a informé le médecin de garde de la situation ; que ce dernier, arrivé sur les lieux à 22 h 03, a, devant la gravité de la situation, procédé en urgence à l'accouchement de l'enfant par forceps ; que l'enfant est né à 22 h 08 en état de mort apparente ; qu'il a alors été procédé sur place à une réanimation de l'enfant, puis à son transfert au service réanimation infantile du centre hospitalier ; que l'enfant est décédé le lendemain à 22 h 30 ; qu'estimant que la prise en charge de Mme C...lors de l'accouchement n'avait pas été conforme aux règles de l'art, les époux C...ont recherché la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble ; que, par jugement du 26 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande ; que, par leur requête, les époux C...demandent à la cour l'annulation de ce jugement ;

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la faute :

2. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, notamment des deux rapports d'expertise versés au dossier, que le centre hospitalier universitaire de Grenoble aurait communiqué un dossier médical incomplet ; qu'à cet égard, contrairement aux affirmations des requérants, il ressort des termes du rapport de l'expertise ordonnée par jugement avant dire droit en première instance, que les enregistrements du rythme cardiaque foetal effectués le 24 août 1999 faisaient partie du dossier médical produit et ont pu être consultés par les parties lors des opérations d'expertise ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'établissement hospitalier aurait commis une faute en communiquant un dossier médical tronqué manque en fait ; qu'en outre, et en tout état de cause, la faute alléguée est sans lien avec le préjudice moral résultant du décès de leur enfant dont les requérants se prévalent ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge pénal que l'examen obstétrical dont a fait l'objet Mme C...à la trente-deuxième semaine de grossesse a permis de constater une présentation céphalique du foetus et une taille normale du bassin de la parturiente autorisant un accouchement par voie naturelle ; qu'ainsi, dans ces circonstances, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la sage-femme aurait commis une faute en n'effectuant pas le 24 août 1999 un examen pelvimétrique ;

4. Considérant que s'il n'est pas contesté que la sage-femme en charge de l'accouchement a estimé vers 20h20 que Mme C...devait faire l'objet d'une anesthésie péridurale, il résulte de l'instruction, notamment des témoignages du personnel soignant, que cette anesthésie péridurale a été réalisée par le médecin anesthésiste de garde selon les règles de l'art ; qu'ainsi, eu égard à l'intervention de ce médecin, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'une faute aurait été commise lors de la prescription et de la pose de l'anesthésie péridurale ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge pénal, que la latérocidence du cordon est un accident qui ne peut faire l'objet ni d'un diagnostic anténatal ni d'un diagnostic lors de l'accouchement ; que si elle peut être, le cas échéant, présumée en cas d'anomalies marquées et répétées du rythme cardiaque foetal, les signes existants n'étaient pas en l'espèce suffisamment caractérisés pour permettre de suspecter avant la naissance de l'enfant des époux C...l'existence d'une latérocidence ; qu'ainsi, dans ces circonstances, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la sage-femme aurait commis une faute en ne diagnostiquant pas la latérocidence dont a été victime leur enfant ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des deux rapports d'expertise versés au dossier, que plusieurs perturbations du rythme cardiaque du foetus se sont produites entre 18h00 et 21h30 et, qu'à la rupture des membranes, le liquide amniotique s'est révélé méconial ; que ces éléments pris en considération a posteriori peuvent s'analyser comme les premiers signes d'une souffrance foetale chronique ; que, toutefois, aux différents moments où elles se sont produites au cours de la période susmentionnée, ces perturbations en tant que telles n'étaient pas suffisantes pour justifier que la sage-femme fît appel à un médecin, compte tenu notamment de leur intensité et de leur durée, et alors que le rythme cardiaque revenait toujours à la normale dans des délais très raisonnables ; qu'en outre, s'agissant des deux anomalies du rythme cardiaque un peu plus significatives qui ont pu être observées au cours de cette période, des raisons externes, telles que le positionnement de la mère, la pose d'une anesthésie péridurale et la rupture artificielle des membranes, étaient susceptibles de constituer une explication objective à leur survenance ; que, de même, selon les experts, la présence d'un liquide amniotique méconial lors de la rupture des membrane ne constituait pas davantage un signe suffisant pour justifier d'alerter le médecin obstétricien ; qu'ainsi, pendant cette période, la sage-femme en ne diagnostiquant pas la souffrance foetale chronique en cours et en n'appelant pas le médecin obstétricien de garde pour l'informer des perturbations du rythme cardiaque du foetus de Mme C..., n'a pas commis de faute ;

7. Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge pénal, qu'à partir de 21h10, le rythme cardiaque du foetus est devenu tachycarde, certes modérément et selon un cycle régulier, mais pendant une période d'environ trente minutes, et ce, avant de devenir profondément bradycarde sans récupération à 21h52 ; qu'il résulte également de l'instruction, notamment des témoignages du personnel soignant obtenus dans le cadre de la procédure pénale, qu'au cours de cette période de trente minutes de tachycardie modérée, Mme C...a été laissée sous la seule surveillance d'un médecin externe effectuant un stage et d'une élève sage-femme, la sage-femme titulaire s'étant absentée pour procéder à l'admission d'une autre parturiente ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment aux différentes anomalies du rythme cardiaque qui avaient déjà pu être observées antérieurement et au caractère méconial du liquide amniotique, la sage-femme titulaire, en s'absentant pour effectuer des taches moins urgentes, en confiant la surveillance de la parturiente à ce moment à du personnel inexpérimenté, en ne diagnostiquant pas du fait de son absence la souffrance foetale chronique en cours révélée par la prolongation de la bradycardie modérée susmentionnée et en s'abstenant au cours de cette période d'alerter le médecin de garde, a commis des négligences fautives ; que ces fautes sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble ;

8. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en cas de souffrance foetale, tout retard dans l'extraction de l'enfant est susceptible de contribuer à l'apparition ou à l'aggravation de séquelles cérébrales, voire au décès de l'enfant ; que s'il n'est pas certain, en l'espèce, que le décès de l'enfant ne serait pas advenu en l'absence du retard fautif, il n'est pas davantage établi avec certitude que l'enfant aurait échappé audit décès si la décision d'extraire l'enfant avait pu être prise plus tôt ; que, dans ces conditions, le retard fautif a fait perdre à l'enfant des époux C...une chance de survie ; qu'eu égard à l'importante probabilité qu'avait la souffrance foetale en cause d'évoluer, même prise en charge selon les règles de l'art, vers le décès, eu égard notamment à l'heure à laquelle elle avait commencé à s'installer et au léger retard de croissance dont l'enfant souffrait par ailleurs, il y a lieu d'évaluer l'ampleur de cette perte de chance à 20 % et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble la réparation de cette fraction du dommage corporel ;

10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice moral subi respectivement par M. et Mme C...du fait du décès de leur enfant peut être évalué à la somme de 20 000 euros ; qu'ainsi, eu égard au taux de perte de chance retenu, il y a lieu de leur allouer respectivement la somme de 4 000 euros ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C...sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a, par le jugement attaqué, rejeté leur demande indemnitaire ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble les frais d'expertise de première instance pour un montant de 1 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande des requérants tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble une somme globale de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en première instance et devant la cour ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 mai 2015 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Grenoble est condamné à verser respectivement à M. et à Mme C...la somme de 4 000 euros.

Article 3 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 000 euros par ordonnance du président du tribunal administratif du Grenoble sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Grenoble versera à M. et Mme C...une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et MmeC..., au centre hospitalier universitaire de Grenoble, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Délibéré après l'audience du 1er février 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Carrier, président-assesseur,

Mme Caraës, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er mars 2018.

2

N° 15LY02738


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY02738
Date de la décision : 01/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Existence d'une faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: M. Claude CARRIER
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : CAULE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-03-01;15ly02738 ?
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