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14/10/2016 | FRANCE | N°15DA01525

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3 (bis), 14 octobre 2016, 15DA01525


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner le maire de la commune de Seclin à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la carence de l'Etat à faire exécuter un jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Lille du 9 décembre 2004 ordonnant la destruction d'une construction édifiée sans permis de construire par son voisin, d'autre part, d'enjoindre au maire de la commune de Seclin de mettre en exécution le jugement

du 9 décembre 2004 par lequel le tribunal de grande instance de Lille a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner le maire de la commune de Seclin à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la carence de l'Etat à faire exécuter un jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Lille du 9 décembre 2004 ordonnant la destruction d'une construction édifiée sans permis de construire par son voisin, d'autre part, d'enjoindre au maire de la commune de Seclin de mettre en exécution le jugement du 9 décembre 2004 par lequel le tribunal de grande instance de Lille a ordonné la démolition des travaux d'extension réalisés irrégulièrement par M. E...et, enfin, de mettre à la charge du maire de la commune de Seclin une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1300128 du 13 juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2015, M. C...G..., représenté par Me I...J..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le maire de la commune de Seclin, en sa qualité d'agent de l'Etat, à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la carence de l'Etat à faire exécuter un jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Lille du 9 décembre 2004 ordonnant la destruction d'une construction édifiée sans permis de construire par son voisin ;

3°) de condamner le maire de Seclin, en qualité d'agent de l'Etat, aux entiers dépens ;

4°) de mettre à la charge du maire de Seclin, en qualité d'agent de l'Etat, une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il existe un lien de causalité entre les préjudices subis et la carence du maire de Seclin agissant en sa qualité d'agent de l'Etat, à exécuter un jugement pénal, dès lors que cette carence a eu pour effet d'aggraver les préjudices endurés ;

- sa propriété a subi, du fait de la carence du maire, une perte de chance de retrouver un jour la valeur initiale de son patrimoine ;

- la perte de valeur vénale de 15 % peut être évaluée à 30 000 euros ;

- les troubles dans les conditions de jouissance de sa propriété, concernant une servitude de vue, une perte d'ensoleillement et diverses nuisances, sont en lien avec la carence du maire et peuvent être évalués à 40 000 euros ;

- les infiltrations d'eaux pluviales causées dans sa cuisine ont pour origine la terrasse construite en surplomb de son habitation et lui occasionnent un préjudice de 30 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2015, la commune de Seclin, représentée par Me H...B..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. G...d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le maire n'a pas commis de faute en n'ordonnant pas d'office la démolition d'une construction dont il estimait possible la régularisation ;

- la réparation des dégâts des eaux subis du fait de la réalisation de la terrasse relève de la responsabilité civile ;

- ayant agi au nom de l'Etat, la responsabilité de la commune ne peut être engagée ;

- le préfet ne peut appeler en garantie la commune ;

- le requérant ne justifie pas la réalité des nuisances sonores alléguées, ni d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ;

- il n'établit pas le lien de causalité entre l'éventuelle carence fautive du maire et les troubles de jouissance dont il se prévaut, ni davantage avec les infiltrations d'eau survenues sur l'un des murs de sa cuisine ;

- le préjudice tenant à la dévaluation de son immeuble n'est pas démontré et est seulement éventuel en l'absence de projet de vente ;

- si le requérant cherche à engager la responsabilité sans faute de l'Etat, il ne démontre cependant pas l'existence d'un préjudice anormal et spécial.

La requête a été communiquée à la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité qui n'a pas produit de mémoire.

Par un mémoire, enregistré le 10 mai 2016, M. G...confirme ses précédentes écritures et fait, en outre, valoir que le jugement est insuffisamment motivé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code pénal ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,

- et les observations de M.G..., et de Me F...A..., représentant la commune de Seclin.

Sur la régularité du jugement attaqué :

1. Considérant qu'il résulte des termes du jugement attaqué, que le tribunal administratif de Lille a, de manière suffisante au regard de l'argumentation des parties, fourni les raisons pour lesquelles il estimait qu'il y avait pas de lien de causalité entre la faute de l'Etat et les préjudices invoqués par M.G... ; que, par suite et en tout état de cause, le moyen tenant à l'insuffisance de motivation de jugement, au demeurant soulevé après l'expiration du délai de recours, doit être écarté ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Considérant qu'en présentant ses conclusions comme tendant à la condamnation du maire de la commune de Seclin en sa qualité d'agent de l'Etat, M. G...doit être regardé, ainsi que le tribunal administratif de Lille l'avait d'ailleurs déjà admis, comme recherchant la responsabilité de l'Etat ; qu'il entend se placer sur le double terrain de la responsabilité pour faute et de la responsabilité sans faute en invoquant la rupture d'égalité devant les charges publiques ;

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme : " En cas de condamnation d'une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L. 160-1 et L. 480-4, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l'absence d'avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l'autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 480-9 du même code : " Si, à l'expiration du délai fixé par le jugement, la démolition, la mise en conformité ou la remise en état ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol (...) " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la démolition ou la remise en état des ouvrages irrégulièrement construits est une possibilité offerte au maire, agissant en qualité d'autorité administrative de l'Etat ; qu'il dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation ;

5. Considérant que M.E..., alors propriétaire d'une habitation située au 56 rue Marx Dormoy à Seclin, a été condamné le 9 décembre 2004 par le tribunal correctionnel de Lille pour avoir réalisé entre 2000 et 2002 sur son habitation une extension d'une surface hors oeuvre nette de 23 m² sans autorisation d'urbanisme, à une amende et à la démolition des ouvrages résultant de ces travaux ; qu'il n'a cependant jamais exécuté ce jugement ; qu'en outre, l'immeuble a fait l'objet le 17 septembre 2003 d'une vente judiciaire par adjudication au profit de M. K...D... ; que le nouveau propriétaire de l'habitation n'a pas davantage cherché à régulariser les travaux irréguliers en sollicitant l'obtention d'une autorisation d'urbanisme ; que M.G..., voisin de la construction litigieuse, a pour sa part, à plusieurs reprises depuis 2006, demandé au maire de la commune de Seclin et au préfet du Nord que l'administration se substitue à l'ancien propriétaire condamné pour procéder à la démolition des travaux irréguliers et qu'elle fasse en outre cesser les nouveaux travaux réalisés par M. D...sur la construction illégale ; que le maire a justifié l'absence de démolition d'office des travaux par la possibilité de les régulariser au moyen d'une nouvelle autorisation d'urbanisme ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette régularisation des travaux était impossible au regard des règles d'urbanisme ; que, dans ces conditions, en estimant que la construction était susceptible de régularisation, le maire a légalement pu, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, décider de ne pas exécuter d'office la décision pénale au titre de l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'Etat a commis une carence fautive de nature à engager sa responsabilité ;

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

6. Considérant que, même légale, la décision de l'administration qui s'abstient de mettre en oeuvre les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme est de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat lorsque le dommage qui en résulte revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé ;

7. Considérant, en premier lieu, que M. G...entend établir une perte de la valeur vénale de 15 % de sa propriété en produisant des estimations d'agences immobilières et d'un office notarial ; que, toutefois, ces évaluations, qui ont été réalisées à la demande du requérant et à partir des renseignements fournis par ce dernier, ne permettent pas d'établir la réalité de la dépréciation ni, surtout, le lien de causalité entre cette perte de valeur et, compte tenu de leur nature et de leurs caractéristiques, les travaux accomplis sans autorisation ; qu'en tout état de cause, M. G..., qui ne fait état d'aucun projet de vente de sa propriété, ne saurait obtenir une indemnisation d'un préjudice purement éventuel ; que, par ailleurs et compte tenu du caractère incertain du préjudice, il n'est pas davantage démontré qu'il devrait être indemnisé d'une perte de chance de retrouver la valeur initiale de sa propriété ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que M. G...se prévaut de divers troubles de jouissance tenant notamment à une servitude de vue, à une perte d'ensoleillement et à d'autres nuisances résultant de la construction illégale et produit à cet effet des photographies de la construction litigieuse et un constat d'huissier du 29 mars 2016 faisant état de la chute d'un morceau de claustra de la terrasse dans sa cour ; qu'il ne résulte cependant pas de l'instruction, et notamment des documents photographiques produits, que, compte tenu de leur nature et de leur emplacement, les travaux réalisés sans autorisation, et notamment ceux devant faire l'objet d'une restitution en application du jugement correctionnel, auraient fait subir une perte de vue ou d'ensoleillement telle que le dommage subi par l'intéressé revêtirait un caractère grave ; que la chute de claustras présente, en outre, un caractère occasionnel et n'est pas la conséquence de travaux dont la démolition a été ordonnée par le juge correctionnel ; que, par suite et sans préjudice de l'action que l'intéressé pourrait, le cas échéant, intenter devant le juge civil pour obtenir à l'encontre des auteurs des travaux la réparation des troubles de jouissance subis, les dommages en résultant ne sont pas susceptibles d'être réparés sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'administration ;

9. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de l'instruction que les infiltrations d'eaux survenues sur l'un des murs de la cuisine de M.G..., qui sont apparues à la suite de la construction de la terrasse, trouvent leur cause dans des malfaçons et ont été aggravées par un défaut d'entretien ; que, par suite, le préjudice invoqué ne trouve pas de manière suffisamment directe et certaine sa cause dans la décision de l'administration ; qu'en outre et sans préjudice de l'action que l'intéressé pourrait intenter devant le juge civil, le dommage en résultant ne présente pas, au regard du rapport d'expertise judiciaire du 18 mai 2013 versé au dossier, un caractère de gravité suffisant pour être réparé sur le fondement de la responsabilité sans faute ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. G...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que celles tendant à condamner le maire de Seclin, en qualité d'agent de l'Etat, aux entiers dépens doivent être rejetées ; que les conclusions présentées par la commune de Seclin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées dès lors qu'elle n'a pas la qualité de partie à l'instance ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. G...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Seclin sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...G..., à la commune de Seclin et au ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

Délibéré après l'audience publique du 29 septembre 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 14 octobre 2016.

Le président-assesseur,

Signé : C. BERNIERLe premier vice-président de la cour,

Président-rapporteur,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : C. SIRE

La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Christine Sire

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N°15DA01525 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 15DA01525
Date de la décision : 14/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de police - Services de l'Etat - Exécution des décisions de justice.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de l'urbanisme.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Olivier Yeznikian
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : CABINET CHUFFART - DELAHOUSSE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-10-14;15da01525 ?
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