LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° A 15-10. 640 à U 15-10. 726 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 14 novembre 2014), que M. X... et quatre-vingt-six autres salariés ont été engagés par la branche navale de la société Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), devenue société Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed), sur le site de La Seyne-sur-Mer ; que la société Normed a été mise en redressement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989, Mme Y... étant désignée en qualité de mandataire liquidateur ; que par arrêté du 7 juillet 2000, cette société a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; qu'invoquant une exposition à l'amiante dans l'exécution de leur travail, les intéressés ont saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le premier moyen commun à tous les pourvois à l'exception des n° S 15-10. 701 et R 15-10. 654 :
Attendu que les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes tendant à l'indemnisation du préjudice découlant du manquement de leur employeur à son obligation de sécurité de résultat et à la garantie de sa créance par l'AGS, alors, selon le moyen :
1°/ que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité et tout manquement cause nécessairement au salarié un préjudice, lié aux risques de l'exposition à un facteur pathogène, distinct du préjudice spécifique d'anxiété en cas d'exposition aux poussières d'amiante, lequel résulte non de la seule exposition, mais de la connaissance du danger encouru ; qu'ayant constaté que les salariés avaient été exposés à l'amiante à leur poste de travail sans que leur employeur ne respecte les mesures de protection adéquates, tout en refusant de constater qu'ils avaient subi un préjudice distinct du préjudice spécifique d'anxiété, né de ce manquement à l'obligation de sécurité de résultat et non de la connaissance de ce danger, la cour d'appel a violé le décret du 17 août 1977, ensemble l'article 1147 du code civil ;
2°/ que lorsque la responsabilité civile d'une personne est engagée à l'égard d'une autre, il y a lieu de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en déclarant que le préjudice né du manquement à l'obligation de sécurité de résultat correspondait au préjudice spécifique d'anxiété, sans vérifier si les salariés étaient en droit d'être indemnisés de ce dernier préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du décret du 17 août 1977, ensemble l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque ;
Et attendu que la cour d'appel, après avoir exactement retenu que les préjudices patrimoniaux résultant d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat étaient pris en compte, pour les salariés exposés à l'amiante, par des mécanismes d'indemnisation spécifiques, a constaté que les salariés avaient renoncé à leur demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété ; qu'ayant dès lors écarté l'indemnisation d'un préjudice, présenté comme distinct, résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen qui concerne les pourvois n° S 15-10. 701 et R 15-10. 654 :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit aux pourvois n° A 15-10. 640 à Q 15-10. 653, n° S 15-10. 655 à R 15-10. 700 et n° T 15-10. 702 à U 15-10. 726 par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils pour M. X... et quatre-vingt-quatre autres demandeurs
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
(85 salariés à l'exclusion de Madame Z... et de Monsieur A...)Le moyen fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR débouté les salariés de leurs demandes tendant à l'indemnisation du préjudice découlant du manquement de leur employeur à son obligation de sécurité de résultat, à ce que l'arrêt soit déclaré opposable de plein droit au CGEA et à dire que celui-ci doit sa garantie ;
AUX MOTIFS QUE le préjudice extra-patrimonial causé nécessairement au salarié du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat comprend l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance par celui-ci du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et correspond au préjudice spécifique d'anxiété ; que les salariés qui ont renoncé à solliciter l'indemnisation de ce préjudice et qui ne justifient pas d'un préjudice distinct seront déboutés de leurs demandes ;
1/ ALORS QUE l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité et tout manquement cause nécessairement au salarié un préjudice, lié aux risques de l'exposition à un facteur pathogène, distinct du préjudice spécifique d'anxiété en cas d'exposition aux poussières d'amiante, lequel résulte non de la seule exposition, mais de la connaissance du danger encouru ; qu'ayant constaté que les salariés avaient été exposés à l'amiante à leur poste de travail sans que leur employeur ne respecte les mesures de protection adéquates, tout en refusant de constater qu'ils avaient subi un préjudice distinct du préjudice spécifique d'anxiété, né de ce manquement à l'obligation de sécurité de résultat et non de la connaissance de ce danger, la cour d'appel a violé le décret du 17 août 1977, ensemble l'article 1147 du code civil.
2/ ALORS QUE lorsque la responsabilité civile d'une personne est engagée à l'égard d'une autre, il y lieu de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en déclarant que le préjudice né du manquement à l'obligation de sécurité de résultat correspondait au préjudice spécifique d'anxiété, sans vérifier si les salariés étaient en droit d'être indemnisés de ce dernier préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du décret du 17 août 1977, ensemble l'article 1147 du code civil.
Moyen produit aux pourvois n° R 15-10. 654 et S 15-10. 701 par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils pour M. A... et Mme Z...
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(Madame Z... (S 15-10. 701) et Monsieur A... (R 15-10. 654))Le moyen fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR débouté Madame Z... et Monsieur A... de leurs demandes tendant à l'indemnisation du préjudice découlant du manquement de son employeur à leur obligation de sécurité de résultat, à ce que l'arrêt soit déclaré opposable de plein droit au CGEA et à dire que celui-ci doit sa garantie ;
AUX MOTIFS QUE il résulte des certificat de travail établis par la NORMED le 31 juillet 1988 que Madame Josette Z... a travaillé sur le site de la NORMED à La-Seyne-sur Mer du 1er août 1972 au 30 septembre 1988 (dont préavis) et qu'au dernier état de la relation contractuelle, elle occupait le poste de comptable ; que les sociétés FORGES ET CHANTIERS DE LA MÉDITERRANÉE (FCM)/ CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES (CNIM)/ CHANTIERS DUNORD ET DE LA MÉDITERRANÉE (NORMED) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 ; que le poste occupé par Madame Josette Z... n'est pas l'un de ceux visés à l'arrêté ; que cependant, pour justifier de son exposition au risque, la salariée, qui soutient que, postérieurement à 1977 et jusqu'à la liquidation judiciaire, le chantier naval a poursuivi son activité de construction et de réparation navale, secteur utilisant massivement de l'amiante, notamment en raison de son fort pouvoir isolant, produit plus particulièrement aux débats : les témoignages de Monsieur Jean-Louis B... et de Monsieur henry D..., anciens collègues de travail, déclarant que Madame Josette Z... faisait partie des élus du comité d'hygiène et de sécurité en tant qu'agent de prévention et qu'à ce titre elle effectuait quotidiennement sur les navires en construction et en réparation, dans les ateliers et sur les plates formes de préfabrication des visites de sécurité, diverses attestations de salariés précisant qu'ils ignoraient le caractère dangereux de l'amiante, faute d'information, alors qu'ils travaillaient en permanence et sans protections dans les poussières d'amiante, un compte rendu du CHSCT du 31 janvier 1973 dont il ressort que les soudeurs utilisaient de la toile d'amiante, un courrier du 9 octobre 1981 de la section syndicale CGT menuiserie Bord et Ateliers des CNIM et adressé au directeur de la société sur la persistance de présence d'amiante dans les panneaux utilisés dans la construction du paquebot 1432 ainsi que l'absence de mise en pratique des dispositions du décret loi de 1977, un extrait d'un document non daté sur l'utilisation à bord des navires marchands de câbles contenant de l'amiante imprégnée de silicone, diverses photographies sur la présence d'amiante à bord ainsi que sur le masque de soudeur d'un salarié, Monsieur C..., une note de service du 27 mars 1981 quant aux bénéficiaires des " bons de douche ", au nombre desquels les personnels travaillant sur de l'amiante, complétée par une note du 29 septembre 1983 rappelant l'application de cette note de 1981 ; que ces éléments ne sont toutefois pas suffisants à établir que Madame Josette Z... a été exposée, de façon habituelle, par son métier, à l'inhalation de poussières d'amiante ; que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat n'est donc pas avéré ;
ET AUX MOTIFS QUE il résulte du relevé de carrière établi par la NORMED et du bulletins de salaire du mois de juillet 1984 que Monsieur Jean-Pierre A... a travaillé sur le site de la NORMED à La Seyne sur Mer du 7 novembre 1962 au 25 juin 1989 et qu'au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de technicien de fabrication ; que les sociétés FORGES ET CHANTIERS DE LA MÉDITERRANÉE (FCM)/ CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES (CNTM)/ CHANTIERS DUNORD ET DE LA MEDITERRANEE (NORMED) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 ; que le poste occupé par Monsieur Jean-Pierre A... n'est pas l'un de ceux visés à l'arrêté ; que cependant, pour justifier de son exposition au risque, le salarié, qui soutient que, postérieurement à 1977 et jusqu'à la liquidation judiciaire, le chantier naval a poursuivi son activité de construction et de réparation navale, secteur utilisant massivement de l'amiante, notamment en raison de son fort pouvoir isolant, produit plus particulièrement aux débats : diverses attestations de salariés précisant qu'ils ignoraient le caractère dangereux de l'amiante, faute d'information, alors qu'ils travaillaient en permanence et sans protections dans les poussières d'amiante, un compte rendu du CHSCT du 31 janvier 1973 dont il ressort que les soudeurs utilisaient de la toile d'amiante, un courrier du 9 octobre 1981 de la section syndicale CGT menuiserie Bord et Ateliers des CNMI et adressé au directeur de la société sur la persistance de présence d'amiante dans les panneaux utilisés dans la construction du paquebot 1432 ainsi que l'absence de mise en pratique des dispositions du décret loi de 1977, un extrait d'un document non daté sur l'utilisation à bord des navires marchands de câbles contenant de l'amiante imprégnée de silicone, diverses photographies sur la présence d'amiante à bord ainsi que sur le masque de soudeur d'un salarié, Monsieur C..., une note de service du 27 mars 1981 quant aux bénéficiaires des " bons de douche ", au nombre desquels les personnels travaillant sur de l'amiante, complétée par une note du 29 septembre 1983 rappelant l'application de cette note de 1981 ;
ALORS QUE le décret du 17 août 1977 impose à l'employeur de conditionner et traiter les déchets de toutes natures et les emballages vides susceptibles de dégager des fibres d'amiante de manière à ne pas provoquer d'émission de poussières pendant leur manutention, leur transport et leur stockage, de procéder à des contrôles réguliers de l'atmosphère et de mettre en place des dispositifs de captage, filtration et ventilation ; que ces mesures de prévention collective s'imposent à l'employeur pour les parties des locaux et chantier où le personnel est exposé à inhalation de poussières d'amiante, quel que soit le degré d'exposition des salariés ; qu'en retenant qu'en l'absence d'exposition habituelle de Madame Z... et de Monsieur A... aux poussières d'amiante, l'employeur ne pouvait avoir manqué à son obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qui n'y figurait pas et partant a violé par fausse application le décret du 17 août 1977.