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07/01/2016 | FRANCE | N°14MA01849

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 07 janvier 2016, 14MA01849


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...et Mme A...D...ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner solidairement le département de l'Aude et la commune de Saint-Papoul à leur payer la somme de 123 583 euros en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement n° 1201763 du 24 mars 2014, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 avril 2014, M. et MmeD..., représentés par Me E..., demandent à la Cour :
>1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 mars 2014 ;

2°) de conda...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...et Mme A...D...ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner solidairement le département de l'Aude et la commune de Saint-Papoul à leur payer la somme de 123 583 euros en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement n° 1201763 du 24 mars 2014, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 avril 2014, M. et MmeD..., représentés par Me E..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 mars 2014 ;

2°) de condamner solidairement le département de l'Aude et la commune de Saint-Papoul à leur payer la somme de 123 583 euros en réparation de leurs préjudices ;

3°) de mettre à la charge solidaire du département et de la commune les dépens taxés à la somme de 8 770,10 euros ;

4°) de mettre à la charge solidaire du département et de la commune la somme de

2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en considérant que le trafic des poids lourds ne causait pas une gêne qui excède les inconvénients normalement supportés par les riverains, tout en indiquant que le trafic s'était fortement accru, le tribunal administratif de Montpellier a entaché son jugement d'une erreur de fait ;

- la responsabilité sans faute de la personne publique est engagée pour dommages permanents de travaux publics ;

- leur préjudice revêt un caractère spécial, leur propriété étant située en bordure et en contre-haut de la RD 126 ;

- pour des raisons techniques, ils ne peuvent aménager un rempart végétalisé protecteur ;

- leur préjudice revêt également un caractère anormal ;

- la commune a engagé sa responsabilité en décidant de procéder à des travaux de déviation ;

- le département a engagé sa responsabilité en ne réglementant pas la circulation sur un tronçon de route lui appartenant ;

- leur propriété a subi une perte de valeur vénale qui peut être chiffrée à la somme de 108 583 euros ;

- ils ont subi un préjudice moral qui sera réparé par la somme de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2015, le département de l'Aude demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête des épouxD... ;

2°) de condamner la commune de Saint-Papoul à le garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge des époux D...une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département soutient que :

- il est extérieur à la décision de détournement du trafic ;

- le barreau entre les RD 103 et 126 a été réalisé sous la maîtrise d'ouvrage de la commune ;

- l'accroissement de la circulation sur la RD 126 est la conséquence de la construction de la déviation par la commune, de sorte que sa responsabilité ne peut être recherchée en raison de l'augmentation des nuisances sonores ;

- à titre subsidiaire, il n'existe aucun préjudice anormal ;

- rien ne permet de connaître l'augmentation du trafic des poids lourds depuis la mise en place de la déviation ;

- l'expert n'a fourni aucun élément précis sur ce point ;

- il résulte de l'examen des comptages qu'il a réalisés que la moyenne horaire de passage de camions dans chaque sens de circulation est de 2 contre 10 véhicules légers non concernés par la déviation, de sorte qu'il existe un doute quant à l'importance d'une augmentation du trafic ;

- les affirmations de l'expert selon lesquelles l'augmentation du bruit dû aux poids lourds serait de 5 dB(A) sur la période 6h-22h et de 7 dB(A) sur les périodes 6h-12h et 14h-17h apparaissent contestables ;

- selon ses propres mesures, on ne peut conclure à une augmentation significative des nuisances sonores en raison de la circulation des camions sur la voie en cause ;

- s'il ne conteste pas une augmentation des nuisances sonores par le passage de nouveaux camions, ces nuisances n'ont pas constitué des sujétions excédant celles que doivent supporter sans indemnité les riverains d'une voie publique ;

- à supposer que le caractère anormal et spécial des nuisances soit reconnu, les appelants ne pouvaient ignorer lors de l'acquisition de leur maison le risque d'une telle évolution de la circulation ;

- cette circonstance est de nature à écarter toute responsabilité de l'administration ;

- la perte de valeur vénale de la propriété n'est pas caractérisée ;

- le rapport, qui fait état de cette perte, a été établi unilatéralement à la demande des appelants et est empreint de partialité ;

- la réalité des travaux entrepris par les époux D...n'est pas établie ;

- l'évaluation faite par l'expert a été faussée, dès lors que le prix d'acquisition de l'habitation n'a pas été de 250 000 euros comme indiqué mais de 218 410 euros ;

- cette évaluation est d'ailleurs totalement fantaisiste au regard du marché ;

- les difficultés rencontrées par les époux D...pour vendre leur habitation ne sont pas en lien avec l'augmentation du trafic sur la route départementale, mais avec le contexte général de dépréciation de l'immobilier ;

- les époux D...ne justifient d'aucun préjudice moral ;

- il demande à être garanti par la commune, qui est le maître d'ouvrage de la déviation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2015, la commune de Saint-Papoul demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête des épouxD... ;

2°) de mettre à la charge des époux D...une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune fait valoir que :

- la responsabilité des dommages causés à la propriété immobilière par des ouvrages publics incombe au maître de l'ouvrage, c'est-à-dire le propriétaire de l'ouvrage, en l'espèce le département ;

- les préjudices dont se prévalent des époux D...résultent de l'existence même de la route départementale ;

- elle n'a pas engagé de travaux sur cette route dont elle n'est pas gestionnaire ;

- les seuls travaux réalisés concernent le premier tronçon de la déviation et également le pont du cimetière ;

- il appartient au département de s'assurer de la tranquillité et de la sécurité des riverains de la RD 126 ;

- cette route se situe à l'extérieur des limites de l'agglomération et elle ne peut donc user de ses pouvoirs de police pour assurer la tranquillité des riverains ;

- c'est le département qui a soumis l'idée du passage de la déviation par le pont du cimetière ;

- les préjudices allégués ne revêtent pas un caractère anormal ;

- avant la création de la déviation, la RD 126 n'était pas fermée à la circulation des poids lourds et la carrière d'exploitation d'argile préexistait à l'achat des épouxD... ;

- ces derniers avaient en outre connaissance du projet de déviation lors de l'achat de leur propriété ;

- les nuisances sonores subies n'excèdent pas les inconvénients que les propriétaires riverains d'une route départementale doivent normalement supporter ;

- en effet, l'impact sonore de la route sur la propriété de M. et Mme D...ne peut être qualifié d'important dans la mesure où le dépassement de la valeur limite enregistré est minime ;

- en outre, la réalisation d'un mur antibruit permettrait de gagner 3 dB(A) et de rendre la route conforme à la réglementation ;

- la survenance du dommage est limitée à la journée, du lundi au samedi ;

- ainsi, en raison de la préexistence de la route à l'achat de la maison, à la situation de l'habitation aux abords de la route et aux niveaux de bruit, la gêne dont les intéressés se plaignent n'excède pas les inconvénients que les propriétaires riverains d'une route départementale doivent normalement supporter dans l'intérêt général ;

- l'évaluation immobilière produite n'a pas été menée à son contradictoire et ne lui est pas opposable ;

- le mandat signé entre les propriétaires et l'agence immobilière ne justifie pas de la réalité de la perte de valeur vénale de la maison ;

- les époux D...ne peuvent reprocher à son maire de ne pas faire usage de ses pouvoirs de police pour réglementer la circulation sur le territoire de la commune ;

- son maire ne peut en outre réglementer la circulation sur la RD 126 ;

- ainsi, elle ne peut être condamnée à réparer le préjudice moral, au demeurant non établi, de M. et MmeD....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,

- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;

- et les observations de Me B...de la SCP Margall d'Albenas pour la commune de Saint-Papoul.

1. Considérant que M. et Mme D...ont acquis en 2004 pour un montant de 218 410 euros un terrain bâti cadastré section WD n° 44 situé route d'Issel sur le territoire de la commune de Saint-Papoul supportant leur résidence principale ; qu'à la fin du mois d'avril 2010 a été mise en service une déviation sur la route départementale (RD) n° 126, passant devant leur habitation, dans le but de détourner du centre du village le passage de camions à destination ou en provenance de la carrière d'argile se situant au nord de la commune ; que les époux D...soutiennent que la création de cette déviation a engendré une perte de la valeur vénale de leur habitation ainsi qu'un préjudice moral ; qu'ils relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire de la commune de Saint-Papoul et du département de l'Aude à réparer leurs préjudices ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant que la responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, au cas où des mesures légalement prises ont pour effet d'entraîner au détriment d'une personne physique ou morale un préjudice spécial et anormal ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour se rendre à la carrière d'argile située au nord de la commune de Saint-Papoul, les véhicules de plus de 35 tonnes traversaient le centre du village ; que le conseil municipal de Saint-Papoul a décidé, par délibérations des 30 juin et 8 septembre 2009, d'organiser la déviation de ce trafic ; que sur un premier tronçon, la création du barreau de déviation et l'élargissement du pont du cimetière ont été réalisés par la commune ; qu'il résulte également de l'instruction que le choix de l'itinéraire final du second tronçon jusqu'à la carrière et les travaux y afférents ont eu lieu avec l'aide financière et technique du département de l'Aude ; que dans ces conditions, M. et Mme D...sont fondés à demander la condamnation solidaire de ces deux collectivités à réparer leurs préjudices, à la condition que ces derniers revêtent un caractère anormal et spécial ;

Sur les préjudices :

4. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des pièces versées au dossier qu'au minimum, 140 camions empruntent quotidiennement du lundi au vendredi de 6 h à 22 h la déviation litigieuse ; que le trafic de poids lourds s'est fortement accru sur la RD 126 en raison même de la création de la déviation, dont l'objet est d'éviter aux camions de transiter par le centre du village ; qu'il ressort notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier qu'au droit de la propriété des époux D...a été relevée en moyenne une mesure de 61,2 dB(A), supérieure à la valeur limite de 60 dB(A), l'expert notant que la valeur réglementaire de 60 dB(A) représente déjà un niveau de bruit très important ; que l'expert a également relevé que le trafic engendrait une augmentation du niveau de bruit de 5 dB(A) sur la période de jour (6h - 22h) et de 7 dB(A) sur les périodes propres de circulation des camions (6h - 12h et 14h - 17h) ; que si le département conteste les mesures figurant dans le rapport d'expertise, ce dernier a été réalisé en concertation avec les parties, sur la base de trois visites sur les lieux par l'expert, de données de trafic réalisées les 8 et 9 juin 2011 et d'une modélisation informatique établie à partir d'un logiciel de prévision acoustique ; que le passage de camions transportant de l'argile génère également de la poussière et des dépôts de terre rouge ; qu'enfin, si un projet de création de déviation avait bien été évoqué par la commune avant l'achat par les époux D...de leur propriété, il n'était pas prévu que cette déviation passe devant cette dernière mais par un autre itinéraire évitant toute zone habitée, finalement abandonné ; que M. et Mme D...sont dès lors fondés à demander l'annulation du jugement de première instance et réparation tant de la perte de valeur vénale de leur habitation que de leur préjudice moral, qui revêtent un caractère spécial et anormal ;

5. Considérant, en premier lieu, que les époux D...ont produit un rapport d'évaluation de leur ensemble immobilier réalisé le 25 octobre 2010 par un expert, lequel a mis en oeuvre deux méthodes d'évaluation de leur bien, desquelles il résulte que le prix de vente de l'habitation pouvait être fixé à la date du dépôt du rapport à la somme de 318 583 euros ; que si le département fait valoir que la réalité des travaux réalisés par les époux D...n'est pas établie, il résulte de l'instruction que ces derniers ont notamment fait réaliser une piscine, un abri piscine, des travaux de plomberie et d'électricité, dont de nombreuses factures figurent au dossier ; que l'expert a appliqué un coefficient de 20 % pour tenir compte de la dépréciation résultant de la création de la déviation, aboutissant à une perte de valeur vénale de 60 000 euros ; que cette évaluation n'est pas sérieusement contestée par les défendeurs, le département se bornant à produire une seule annonce de mise en vente d'un corps de ferme sur le territoire de la commune de Saint-Papoul ; qu'il doit ainsi être alloué aux époux D...une somme de

60 000 euros à ce titre, la perte de valeur vénale devant être appréciée au jour de la mise en service de l'ouvrage, et non au jour de la vente, en 2013, du bien affecté par les nuisances dues à l'ouvrage ;

6. Considérant, en second lieu, qu'en considération de l'importance des nuisances qui ont été exposées au point 4, M. et Mme D...ont subi un préjudice moral ainsi que des troubles de jouissance durant trois années qui doivent être réparés par la somme de

10 000 euros ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D...sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande ;

Sur l'appel en garantie du département :

8. Considérant que si le département de l'Aude a appelé en garantie la commune de Saint-Papoul, il se borne à soutenir, sans préciser le fondement juridique de sa demande, que la commune est maître d'ouvrage de la déviation et que seuls les travaux que cette collectivité a réalisés sont à l'origine des nuisances ; que toutefois, et ainsi qu'il a déjà été indiqué au point 3 de l'arrêt, le choix de l'itinéraire final du second tronçon jusqu'à la carrière et les travaux y afférents ont été effectués avec l'aide financière et technique du département ; que s'il soutient également que la commune n'ignorait pas que la réalisation du tracé initialement choisi s'avèrerait impossible, il ne l'établit pas ;

Sur les dépens :

9. Considérant qu'il y a lieu de mettre les dépens d'un montant de 8 770,10 euros à la charge solidaire de la commune de Saint-Papoul et du département de l'Aude ;

Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il ne peut être mis à la charge des épouxD..., qui ne sont pas la partie tenue aux dépens dans la présente instance, la somme demandée par la commune de Saint-Papoul et le département de l'Aude au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de ces deux collectivités, sur ce même fondement, une somme de 2 000 euros au profit de M. et Mme D....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 1201763 du 24 mars 2014 est annulé.

Article 2 : Le département de l'Aude et la commune de Saint-Papoul sont condamnés solidairement à payer à M. et Mme D...la somme de 70 000 euros.

Article 3 : Les dépens d'un montant de 8 770,10 euros sont mis à la charge solidaire de la commune de Saint-Papoul et du département de l'Aude.

Article 4 : La commune de Saint-Papoul et le département de l'Aude verseront solidairement une somme de 2 000 euros à M. et Mme D...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et à Mme A...D..., à la commune de Saint-Papoul et au département de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2015, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président,

- M. Laso, président assesseur,

- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.

Lu en audience publique le 7 janvier 2016.

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N° 14MA01849


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA01849
Date de la décision : 07/01/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute. Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : PHÉLIP et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-01-07;14ma01849 ?
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