Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
1) La société Entreprise Morillon Corvol Courbot (EMCC) a demandé le 21 octobre 2010 au tribunal administratif de Nice d'annuler le marché n° 09-54 du 7 septembre 2009 conclu avec la commune de Cannes et portant sur la mise en place d'une digue sous-marine dans le cadre du programme de protection des plages de la Croisette ensemble l'avenant n° 1 à ce marché signé le 9 décembre 2009.
2) La société EMCC a demandé le 16 décembre 2010 au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 22 octobre 2010 de la commune de Cannes résiliant à ses torts exclusifs le marché n° 09-54 du 7 septembre 2009 portant sur la mise en place d'une digue sous-marine dans le cadre du programme de protection des plages de la Croisette.
3) La société EMCC a demandé le 4 février 2013 au tribunal administratif de Nice :
- à titre principal de condamner la commune de Cannes à lui verser la somme de 2 788 831,22 euros TTC ;
- à titre subsidiaire, de condamner la commune de Cannes à lui verser la somme de 2 632 516,70 euros TTC au titre du solde du marché n° 09-54 du 7 septembre 2009 et en réparation de ses préjudices financier et commercial résultant de la décision de résiliation du 22 octobre 2010 ;
- de condamner la commune de Cannes aux dépens, en ce compris les frais de l'expertise ordonnée par ledit tribunal.
Par un jugement n° 1004248, 1005134, 1300377 du 7 février 2014, le tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes de la société EMCC, a condamné cette dernière à verser la somme de 1 922 413,66 euros à la commune de Cannes et a mis à sa charge les frais d'expertise d'un montant de 114 484,34 euros. Par le même jugement, il a condamné la société EMCC à verser la somme de 5 000 euros à la commune de Cannes et la somme de 1 000 euros à la société Artelia Eau et Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 avril 2014 et le 23 juillet 2015, la société Entreprise Morillon Corvol Courbot (EMCC), représentée par Me C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 7 février 2014 ;
A titre principal :
2°) d'annuler le marché de travaux conclu avec la commune de Cannes le 7 septembre 2009 ensemble l'avenant du 9 décembre 2009 ;
3°) de condamner la commune de Cannes à lui verser la somme de 2 788 831,22 euros TTC ;
A titre subsidiaire :
4°) d'annuler la décision du 22 octobre 2010 de la commune de Cannes résiliant le marché à ses torts ;
5°) de condamner la commune de Cannes à lui verser la somme de 665 419,54 euros TTC au titre du décompte du marché résilié et la somme de 459 264 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices financier et commercial ;
En tout état de cause :
6°) de condamner la commune de Cannes à lui rembourser la somme de 114 484,34 euros TTC correspondant aux frais d'expertise ;
7°) de mettre à la charge de la commune de Cannes la somme de 20 000 euros hors taxe, soit 23 920 euros TTC, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur le marché et son avenant :
- les premiers juges ont méconnu la nature et la portée du moyen tenant à l'irrégularité du marché et de son avenant pour incompétence de son signataire ;
- ces actes sont irréguliers en l'absence d'approbation par le conseil municipal ;
- la preuve de l'inscription au budget des crédits correspondant au montant du marché n'a pas été rapportée par la commune ;
- le deuxième adjoint au maire n'était pas compétent pour signer le marché et son avenant ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le défaut d'habilitation du deuxième adjoint au maire constitue un vice d'une particulière gravité dans l'expression du consentement donné par la commune ;
- l'annulation du marché et de son avenant ne porte pas atteinte à l'intérêt général, du fait de sa résiliation ;
- elle est fondée, du fait de la nullité du contrat, à percevoir le solde du prix des fournitures et prestations réalisées en exécution du marché, sous déduction de l'acompte versé par la commune ;
Sur la décision de résiliation :
- les premiers juges ne pouvaient rejeter sa demande comme irrecevable, dès lors qu'il ne pouvait y avoir reprise des relations contractuelles et qu'elle a demandé le règlement des sommes qui lui sont dues ;
- le signataire de la décision est incompétent pour les mêmes motifs que ceux évoqués précédemment ; de plus, seul le conseil municipal pouvait autoriser la résiliation d'un marché de travaux ;
- la commune ne pouvait pas prononcer la résiliation à ses torts, dès lors que l'absence de reprise des travaux qui lui est reprochée ne lui est pas imputable et qu'elle a respecté ses obligations contractuelles ;
- la destruction de la digue sous-marine est la conséquence du caractère exceptionnel des tempêtes survenues en février et mai 2010 ;
- elle trouve également sa cause dans les carences du maître d'oeuvre, notamment l'insuffisance des études géotechniques d'avant-projet ;
- il s'agissait d'un projet expérimental et innovant pour la réalisation duquel le maître d'oeuvre ne lui a pas communiqué les instructions nécessaires ;
- par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de résiliation, le surcoût résultant pour la collectivité de cette résiliation ne peut être mis à sa charge ;
- le montant de l'indemnité de résiliation doit être fixé en application des dispositions particulières du marché et non selon l'article 49 du cahier des clauses administratives générales ;
- les premiers juges auraient ainsi dû appliquer l'article 10 alinéa 2 du cahier des clauses administratives particulières ;
- elle est fondée, au titre du décompte du marché résilié, à recevoir la somme de 665 419,54 euros TTC ;
Sur le solde du marché :
- les premiers juges ont méconnu le contenu et la portée de son mémoire de réclamation du 26 novembre 2012 ;
- elle ne saurait se voir opposer le caractère intangible du décompte de résiliation, établi par une autorité incompétente ;
- la commune de Cannes n'est pas fondée à lui réclamer les sommes correspondant aux montants du marché de dépose de la digue, du marché de substitution pour sa reconstruction et de l'avenant conclu avec le maître d'oeuvre pour la dévolution et le suivi de ces travaux en raison de l'irrégularité et de l'absence de fondement de la décision de résiliation et des dispositions de l'article 10 du CCAP ; de plus, la commune a fait obstacle au suivi de l'exécution du marché de substitution ;
- en tout état de cause, l'indemnité de résiliation contractuellement due s'élève à 86 790,56 euros TTC ;
- elle est fondée à obtenir le règlement des sommes dues au titre des fournitures et prestations réalisées et des surcoûts consécutifs aux tempêtes de février et mai 2010 ;
- le solde du marché doit en conséquence être fixé à la somme de 2 173 252,70 euros TTC en sa faveur ;
- la décision de résiliation lui a en outre causé un préjudice financier et commercial ;
Sur les dépens :
- elle est fondée à demander la condamnation de la commune à lui rembourser les frais d'expertise, dont elle a fait l'avance.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 septembre 2014 et le 31 juillet 2015, la société Artelia Eau et Environnement conclut à sa mise hors de cause et à la condamnation de la société EMCC à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions de la société EMCC portant sur la contestation du décompte général définitif sont irrecevables comme n'ayant pas été précédées d'un mémoire en réclamation ; par conséquent, tout appel en garantie formé à son encontre est sans objet ;
- aucune conclusion n'est dirigée contre elle, que ce soit par la société EMCC ou par la commune de Cannes.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 décembre 2014 et le 31 août 2015, la commune de Cannes conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société EMCC à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la société EMCC est dépourvue d'intérêt à demander l'annulation du contrat dont elle a été déclarée attributaire ; en tout état de cause, aucun moyen d'appel n'est véritablement soulevé ;
- les autres moyens soulevés par la société EMCC ne sont pas fondés.
Par courrier du 2 juillet 2015, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et de la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 4 novembre 2015, la clôture d'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héry,
- les conclusions de M. Thiele, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Entreprise Morillon Corvol Courbot, de Me A..., représentant la commune de Cannes, et de Me B..., représentant la société Artelia Eau et Environnement.
Une note en délibéré présentée pour la société Entreprise Morillon Corvol Courbot a été enregistrée le 12 janvier 2016.
Une note en délibéré présentée pour la société Artelia Eau et Environnement a été enregistrée le 15 janvier 2016.
1. Considérant qu'afin de préserver les plages de la Croisette des effets des tempêtes, la commune de Cannes a décidé la mise en place d'une digue sous-marine de 545 mètres de longueur, constituée de tubes en géotextiles, dits géotubes, remplis de sable et posés sur un tapis d'affouillement, l'ouvrage étant composé de 42 géotubes et divisé en six tronçons ; que la maîtrise d'oeuvre du projet a été confiée à la société Sogreah Consultants ; que le marché de travaux, passé selon une procédure adaptée, d'un montant de 1 485 088,39 euros TTC, a été conclu en septembre 2009 avec la société Entreprise Morillon Corvol Courbot (EMCC), l'acte d'engagement prévoyant un délai d'exécution de 23 semaines et le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) stipulant que ces travaux devaient être réalisés entre le 16 novembre 2009 et le 16 avril 2010, afin notamment de ne pas perturber la saison touristique ; que la société EMCC, qui avait fait appel à un fournisseur spécialisé pour la confection des tubes de géotextiles, a procédé à la pose du premier tronçon, soit 210 mètres linéaires ; que, toutefois, une inspection du chantier en avril 2010 a révélé que l'ouvrage présentait des malfaçons et que les délais d'exécution prévus initialement ne pourraient être respectés, les travaux devant s'interrompre le 11 mai 2010, conformément à l'arrêté municipal du 21 juillet 2009 réglementant les activités touristiques ; qu'une tempête survenue le 4 mai 2010 a causé la destruction presque intégrale des éléments déjà posés et leur dispersion dans la mer ; que, par ordre de service du 12 mai 2010, la commune de Cannes a demandé à la société EMCC de procéder à la mise en sécurité de l'ouvrage ; que la commune a constaté lors d'une inspection sous-marine réalisée à la fin du mois d'août 2010 que les désordres sur l'ouvrage s'étaient amplifiés, un constat d'huissier mettant en évidence l'endommagement d'un nombre important de cheminées de remplissage des géotubes, la disparition de certains géotubes, des déchirements ou des déplacements de géotubes et le très mauvais état du tapis d'affouillement ; qu'après une réunion avec la société EMCC, la commune de Cannes l'a mise en demeure le 8 septembre 2010 de procéder à la dépose de ce tronçon ; que, le 20 septembre 2010, elle lui a notifié l'ordre de service de reprendre la suite des travaux prévus au marché à compter du 1er octobre suivant ; que la société EMCC n'ayant pas retourné cet ordre de service ni repris les travaux, la commune l'a mise en demeure le 1er octobre 2010 de reprendre l'exécution du marché, sous peine de résiliation à ses torts exclusifs ; que cette mise en demeure n'ayant pas été suivie d'effet, la commune de Cannes a prononcé par décision du 22 octobre 2010 la résiliation du marché aux torts exclusifs de la société EMCC ; que la société EMCC a formé trois demandes auprès du tribunal administratif de Nice tendant à titre principal, pour la première, à l'annulation du marché conclu le 7 septembre 2009 et de son avenant, pour la deuxième, à l'annulation de la décision de résiliation du 22 octobre 2010, et pour la troisième, à la condamnation de la commune de Cannes à réparer les préjudices résultant de la nullité du marché et de la nullité de la décision de résiliation ; que la société EMCC relève appel du jugement du 7 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Nice, après avoir joint ces trois demandes, a, d'une part, rejeté les demandes tendant à l'annulation du marché, de son avenant et de la décision de résiliation du 22 octobre 2010, d'autre part, a fait droit aux conclusions incidentes de la commune de Cannes en condamnant la société EMCC à lui verser la somme de 1 922 413,66 euros au titre du solde du marché et a mis à la charge définitive de la société EMCC les frais de l'expertise ordonnée le 4 octobre 2010, pour un montant de 114 484,34 euros ;
En ce qui concerne la validité du marché du 7 septembre 2009 et de l'avenant du 9 décembre 2009 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, le maire peut, par délégation du conseil municipal, " prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le conseil municipal a approuvé par délibération du 19 janvier 2004 l'autorisation de programme portant sur la protection des plages de la Croisette ; que par une autre délibération du 29 juin 2009, il a approuvé le principe de construction d'une digue sous-marine et l'augmentation de l'autorisation de programme pour un montant de 3 250 000 euros ; que, de plus, la ville a réglé à la société EMCC trois acomptes d'un montant de 352 308,12 euros TTC ; qu'ainsi, le contrat a été exécuté par la commune sans que le conseil municipal émette d'objection ; que, le conseil municipal doit ainsi être regardé comme ayant donné son accord a posteriori à la conclusion du contrat en litige ; que, dès lors, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, l'incompétence alléguée du deuxième adjoint au maire pour signer le marché et son avenant ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, eu égard au consentement ainsi donné par le conseil municipal, être regardée comme constituant un vice d'une gravité telle que le contrat doive être annulé ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2311-3 du code général des collectivités territoriales : " I - Les dotations budgétaires affectées aux dépenses d'investissement peuvent comprendre des autorisations de programme et des crédits de paiement./ Les autorisations de programme constituent la limite supérieure des dépenses qui peuvent être engagées pour le financement des investissements. Elles demeurent.valables, sans limitation de durée, jusqu'à ce qu'il soit procédé à leur annulation Elles peuvent être révisées./ Les crédits de paiement constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être mandatées pendant l'année pour la couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations de programme correspondantes (...) " ; que le conseil municipal a approuvé par délibération du 19 janvier 2004 l'autorisation de programme relative à la protection des plages de la Croisette, puis, par une seconde délibération du 29 juin 2009, a adopté le principe de la construction d'une digue sous-marine et a porté le montant de l'autorisation de programme à 3 250 000 euros, le programme étant assorti d'un échéancier prévisionnel et d'une répartition annuelle des crédits ; qu'ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, les crédits nécessaires au financement du marché étaient inscrits au budget ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société EMCC présentées à titre principal et tendant à l'annulation du marché et de son avenant ainsi qu'à la condamnation de la commune de Cannes à lui verser la somme de 2 788 831,22 euros TTC en réparation du préjudice résultant de la nullité de ce contrat doivent être rejetées ;
En ce qui concerne la décision de résiliation du 22 octobre 2010 :
S'agissant des conclusions à fin d'annulation :
6. Considérant que les parties à un contrat administratif ne peuvent pas demander au juge l'annulation d'une mesure d'exécution de ce contrat, mais seulement une indemnisation du préjudice qu'une telle mesure leur a causé ou, s'agissant d'une mesure de résiliation du contrat, la reprise des relations contractuelles ;
7. Considérant que, dans sa demande enregistrée au tribunal administratif le 16 décembre 2010, la société EMCC a uniquement formé des conclusions à fin d'annulation de la décision de résiliation du marché sans assortir sa demande de conclusions à fin de reprise des relations contractuelles ou à fin d'indemnisation ; que cette demande ne pouvait, dès lors que la société EMCC a refusé de se conformer à l'ordre de service du 20 septembre 2010 lui demandant de reprendre à partir du 1er octobre 2010 l'ensemble des travaux prévus par le marché puis a ignoré la mise en demeure du 1er octobre 2010 lui enjoignant de poursuivre l'exécution de ce marché sous peine de sa résiliation, être interprétée comme une demande de reprise des relations contractuelles ou d'indemnisation ; que de telles conclusions, en l'absence de demande de reprise des relations contractuelles ou de demande indemnitaire, sont irrecevables, sans que puisse être valablement opposée la double circonstance que, d'une part, la société EMCC a présenté ultérieurement le 4 février 2013 une nouvelle demande auprès du tribunal administratif de Nice à fin d'être indemnisée des conséquences de cette mesure de résiliation et que, d'autre part, le tribunal administratif a décidé de prononcer la jonction des demandes, cette jonction n'ayant pas pour effet de fusionner les demandes ;
8. Considérant que, par suite, les premiers juges étaient fondés à rejeter la demande de la société EMCC à fin d'annulation de la décision de résiliation du 22 octobre 2010 comme irrecevable ;
S'agissant des conclusions indemnitaires :
9. Considérant qu'aux termes de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés de travaux : " (...) Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'oeuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50 (...) " ;
10. Considérant que la société EMCC a adressé au maître d'oeuvre le 15 mai 2012 son projet de décompte final, aux termes duquel elle demandait le versement d'une somme de 649 373,60 euros HT correspondant au paiement des prestations exécutées dans le cadre du marché, d'une somme de 76 330 euros HT au titre de l'avenant n° 1 et, enfin, d'une somme de 2 118 350 euros HT à titre de " demande indemnitaire " incluant notamment les frais d'expertise, son préjudice commercial et le non-amortissement des frais généraux et financiers ; que le 27 août 2012, la commune de Cannes a notifié à la société EMCC le décompte général comportant un solde de 1 922 413,66 euros TTC au crédit de la commune, du fait de la prise en compte du marché de substitution conclu avec la société Trasomar, du marché de dépose du tronçon n° 1 conclu avec cette même société et du marché de maîtrise d'oeuvre du marché de substitution ;
11. Considérant que la société EMCC a formé le 26 septembre 2012 un mémoire en réclamation ; qu'aux termes de ce mémoire, elle se prévaut d'une part, de l'irrégularité du marché et de sa contestation de la validité de la décision de résiliation auprès du tribunal administratif de Nice et, d'autre part, de l'absence de fondement de la résiliation ; qu'elle expose les motifs pour lesquels elle estime que la décision de résiliation n'est pas fondée, en soutenant notamment avoir respecté ses obligations contractuelles et que les dégâts causés aux géotubes sont la conséquence d'événements climatiques exceptionnels ; qu'elle indique ensuite que, du fait de l'irrégularité du marché et de la décision de résiliation, la commune de Cannes ne pouvait refuser de lui régler " le coût des prestations et fournitures qu'elle a réalisées jusqu'à la résiliation du marché, soit la somme de 2 118 350 euros HT, sous déduction des acomptes versés d'un montant de 352 300,12 euros TTC " et qu'elle ne pouvait mettre à sa charge " le coût de la dépose de la digue par l'entreprise TRASOMAR pour le prix de 1 475 023,53 euros TTC et les frais de maîtrise d'oeuvre du suivi du marché de substitution pour la somme de 95 082 euros TTC " ; que la société EMCC demande également dans ce mémoire l'application de l'article 10 § 2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et précise que le montant dû en application de ces stipulations est, au minimum, de 1 088 671,40 euros TTC ; qu'enfin, la société EMCC indique s'opposer à ce que soit mis à sa charge le coût du marché de substitution attribué à la société Trasomar pour la somme de 1 475 23,54 euros TTC ainsi que celui de la maîtrise d'oeuvre pour le suivi de ce marché pour un montant de 95 082 euros TTC ; qu'elle conclut en demandant le versement de la somme de 2 118 350 euros hors taxe au titre du paiement du marché ; qu'en outre, étaient joints à ce mémoire les courriers de mise en demeure adressés par la société au maître d'ouvrage, le projet de décompte final établi par la société EMCC, le décompte des prestations et dépenses au titre de l'exécution du marché ainsi que des annexes sur support numérique ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le mémoire en réclamation formé par la société EMCC expose ainsi, de façon précise et détaillée, les chefs de contestation qui fondent sa demande, en mentionnant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées ; que, dès lors, le tribunal administratif ne pouvait accueillir la fin de non-recevoir opposée par la commune de Cannes tirée de ce que la société EMCC était réputée avoir accepté le décompte général, faute d'un mémoire en réclamation répondant aux prescriptions posées par l'article 13.44 du CCAG ;
13. Considérant qu'il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par la société EMCC tant devant le tribunal administratif que devant la cour ;
14. Considérant qu'il ressort de l'examen du mémoire de réclamation adressé à la commune de Cannes par la société EMCC qu'elle n'a pas opposé l'irrégularité de la décision de résiliation, du fait de l'incompétence alléguée de son signataire, son mémoire mentionnant uniquement l'action contentieuse initiée devant le tribunal administratif de Nice, sans indication des moyens soulevés à l'appui de sa demande ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est pas allégué qu'elle aurait annexé une copie de sa demande à cette réclamation ; qu'ainsi, en application des dispositions de l'article 50.32 du CCAG travaux aux termes duquel ne peuvent être portés devant la juridiction " que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans la lettre ou le mémoire remis à la personne responsable du marché ", ce moyen doit être écarté ;
15. Considérant qu'outre les importants retards dans l'exécution du marché, il résulte de l'instruction que la société EMCC n'a pas respecté les dispositions contractuelles qui lui imposaient de travailler en étroite collaboration avec le fournisseur des géotubes, s'agissant notamment de la procédure à suivre pour remplir ces géotubes de sable ; que, contrairement à ce qu'elle soutient, les tempêtes survenues en février et mai 2010 ne présentaient pas un caractère exceptionnel ; qu'il résulte d'ailleurs de l'instruction que les dommages subis par les géotubes étaient antérieurs à ces évènements climatiques ; que si le rapport d'expertise relève des carences de la maîtrise d'oeuvre ainsi qu'un manque de suivi du chantier, qualifié d' " expérimental et innovant ", il résulte de l'instruction que d'autres chantiers utilisant une technique similaire avaient déjà été réalisés et que le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage ont organisé notamment durant l'été 2010 de nombreuses réunions afin d'accompagner la société EMCC dans la réalisation des travaux qui lui étaient confiés ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les études d'avant-projet auraient été insuffisantes ; qu'ainsi, la commune de Cannes était fondée à prononcer la résiliation du marché aux torts de la société EMCC, qui a refusé de poursuivre l'exécution des prestations prévues par le marché ; que, par suite, la société EMCC peut uniquement prétendre au paiement des prestations effectuées dans la mesure où celles-ci ont été utiles au maître d'ouvrage ;
16. Considérant que la société EMCC sollicite dans le dernier état de ses écritures le versement de la somme de 665 419,54 euros TTC au titre des prestations réalisées ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du décompte général définitif que la commune de Cannes a versé à la société EMCC la somme de 294 572,31 euros hors taxe ainsi que la somme globale de 62 280,01 euros hors taxe à ses trois sous-traitants, les sociétés Bathys, In Vivo et Cheyresi Fastout, au titre du paiement direct ; qu'ainsi, le solde restant dû en faveur de la société EMCC est de 187 549,57 euros hors taxe ; qu'il résulte cependant de l'instruction que le seul tronçon réalisé par la société EMCC était inutilisable, du fait du non-respect par cette société de la procédure à suivre pour le remplissage des géotubes, ce qui a détérioré l'ouvrage et ne lui a ainsi pas permis de résister aux tempêtes survenues en février et en mai 2010, qui ne présentaient aucun caractère exceptionnel ; que, par suite, la société EMCC n'est pas fondée à réclamer le paiement du solde du marché ;
17. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société EMCC n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes ;
Sur les dépens :
18. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 15, la résiliation du marché aux torts de la société EMCC était fondée ; que, par suite, il y a lieu de laisser la charge définitive des frais d'expertise à la société EMCC ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
19. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société EMCC, partie perdante dans la présente instance ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société EMCC une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés chacune par la commune de Cannes et par la société Artelia Eau et Environnement et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Entreprise Morillon Corvol Courbot est rejetée.
Article 2 : La société Entreprise Morillon Corvol Courbot versera la somme de 2 000 (deux mille) euros à la commune de Cannes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Entreprise Morillon Corvol Courbot versera la somme de 2 000 (deux mille) euros à la société Artelia Eau et Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Entreprise Morillon Corvol Courbot, à la commune de Cannes et à la société Artelia Eau Environnement.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2016, où siégeaient :
- M. Moussaron, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme Héry, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 21 mars 2016.
''
''
''
''
10
N° 14MA01635