LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° C 14-27.244 et B 14-27.243 ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° C 14-27.244 dirigé contre l'arrêt rectifié du 23 septembre 2014 :
Attendu, selon les arrêts attaqués (Toulouse, 23 septembre 2014 rectifié par arrêt du 25 novembre 2014) et les productions, que le 18 juin 2006, alors qu'il circulait sur un scooter, M. X... a été grièvement blessé dans un accident dans lequel était impliqué le véhicule conduit par M. Y..., assuré auprès de la société Pacifica ; qu'après expertise, M. X... a assigné M. Y... et son assureur en indemnisation de ses préjudices en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne et de la société Caisse nationale de prévoyance assurances (CNP assurances) ;
Attendu que la société Pacifica et M. Y... font grief à l'arrêt de les condamner à payer in solidum à M. X... la somme de 1 414 440,43 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, alors, selon le moyen :
1°/ que la victime doit voir son préjudice intégralement réparé, sans perte ni profit ; qu'en décidant que pour l'évaluation du capital à verser à la victime au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents, il serait « fait application du barème de capitalisation publié en mars 2013 par la Gazette du Palais qui s'appuie sur les données démographiques les plus récemment publiées 2006-2008, et sur une appréciation de la conjoncture économique la plus proche de la réalité avec un taux d'intérêt de 1,20 % », cependant que ce taux d'intérêt de 1,20% ne correspond pas au taux d'intérêt officiel (TEC 10, correspondant au taux d'emprunt d'Etat à dix ans) mais au TEC 10 dont a été déduit le taux de renchérissement du coût de la vie évalué à 80 % du taux d'inflation de 2012, ce qui revient à permettre à la victime de cumuler le bénéfice du versement d'un capital avec le bénéfice d'une indexation réservée au versement des rentes périodiques, la cour d'appel a violé le principe précité, outre l'article 1382 du code civil ;
2°/ que pour être indemnisable, un dommage doit être actuel et certain ; que l'inflation future est, dans son existence comme dans son montant, un événement éventuel et hypothétique ; qu'en décidant que pour l'évaluation du capital à verser à la victime au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents, il serait « fait application du barème de capitalisation publié en mars 2013 par la Gazette du Palais qui s'appuie sur les données démographiques les plus récemment publiées 2006-2008, et sur une appréciation de la conjoncture économique la plus proche de la réalité avec un taux d'intérêt de 1,20 % », cependant que le taux d'intérêt de 1,20 % prend en considération un taux d'inflation totalement hypothétique, la cour d'appel a violé le principe précité, outre l'article 1382 du code civil ;
3°/ que seul est indemnisable le préjudice ayant un lien de causalité direct avec le fait dommageable ; que l'inflation susceptible de survenir postérieurement à la décision fixant le montant du préjudice de la victime constitue un événement sans lien de causalité directe avec le dommage ; qu'en fixant le montant du préjudice de la victime en tenant compte de l'inflation future, cependant que cet événement aléatoire était sans lien avec l'accident dont avait été victime M. X..., la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit ;
Mais attendu que, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a fait application du barème de capitalisation qui lui a paru le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi n° B 14-27.243 et sur le second moyen du pourvoi n° C 14-27.244 annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Pacifica et M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Pacifica et M. Y... à payer à M. X... la somme globale de 3 000 euros et, in solidum, à payer à la société Caisse nationale de prévoyance assurances la somme globale de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit à l'appui du pourvoi n° B 14-27.243 par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société Pacifica et M. Y....
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Y... et la société Pacifica de leur requête tendant à ce que la cour d'appel de Toulouse rectifie son arrêt du 23 septembre 2014 ayant statué ultra petita sur le poste « Incidence professionnelle » ;
AUX MOTIFS QUE sur l'incidence professionnelle, il convient de relever que du fait que la cour statue éventuellement ultra petita ne peut être qualifié d'erreur matérielle et ne peut se voir corriger que par l'exercice des voies de recours ; qu'en l'espèce, l'erreur invoquée résulte du fait que la cour a procédé à une répartition différente de celle des parties pour les postes PGPF et incidence professionnelle, étant relevé que le premier juge les a liquidés en un seul chapitre B 2 ; qu'au titre de ces deux postes, la cour était saisie par M. X... de demandes à concurrence de 1.954.950 ¿, subsidiairement 828.745,05 ¿, d'une part, et 150.000 ¿, d'autre part, et a fait droit à ces demandes pour un montant cumulé d'environ 521.000 ¿ ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le prononcé sur des choses non demandées ou l'octroi de plus qu'il n'est demandé ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation mais une irrégularité qui ne peut être réparée que selon la procédure prévue aux articles 463 et 464 du code de procédure civile ; qu'en affirmant, pour débouter la société Pacifica et M. Y... de leur demande de rectification, que le fait qu'elle ait éventuellement statué ultra petita dans sa décision du 23 septembre 20104 ne pouvait se voir corriger « que par l'exercice des voies de recours » (arrêt attaqué, p. 3, alinéa 1er), la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
ET ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en affirmant qu'elle n'avait pas statué ultra petita, dès lors qu'elle avait pris le soin de procéder préalablement à une « répartition différente de celles des parties pour les postes PGPF et incidence professionnelle », puis qu'elle avait statué à l'intérieur de ces nouvelles limites (arrêt attaqué, p. 3, alinéa 2), la cour d'appel, qui ne pouvait justifier sa décision en invoquant une méconnaissance du principe susvisé, violé les articles 4, 463 et 464 du code de procédure civile.
Moyens produits à l'appui du pourvoi n° C 14-27.244 par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société Pacifica et M. Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné M. Bertrand Y... et la société Pacifica à payer in solidum à M. Guillaume X... la somme de 1.141.440,43 ¿, provisions déduites avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
AUX MOTIFS QUE s'agissant des préjudices patrimoniaux permanents, « il sera fait application du barème de capitalisation publié en mars 2013 par la Gazette du Palais qui s'appuie sur les données démographiques les plus récemment publiées 2006-2008, et sur une appréciation de la conjoncture économique la plus proche de la réalité avec un taux d'intérêts de 1,20 % » ;
AUX MOTIFS PAR AILLEURS QUE « Dépenses de Santé Futures frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après consolidation :* sur la crème SIMULCIUM, il convient de relever que bien que ce traitement soit visé par l'expertise, Monsieur X... ne peut justifier que de l'utilisation de deux tubes pour 2012 ; la demande doit donc être écartée.* il en est de même pour les chaussettes de contention. Il sera rappelé qu'il ne peut être sérieusement soutenu que la durée de vie d'un bas de contention serait d'une semaine et demi ! Et aucun élément de l'expertise ne permet de justifier la nécessité de porter ces chaussettes de contention.* les troubles du sommeil sont établis. Le traitement prescrit est de deux ans, il n'est pas justifié qu'il a été renouvelé depuis lors. Il sera fait droit à la demande à concurrence de la somme de 207,20 euros.* la nécessité d'un traitement luminothérapique n'est pas établie ; la demande de ce chef sera rejetée.* il n'est pas justifié de la nécessité de passer du CIALIS 10mg au CIALIS 15 mg pour remédier aux troubles érectiles, il sera donc retenu deux boites par mois à 74,00 euros, soit 1.776,00 euros à capitaliser pour un homme de 37 ans jusqu'à 65 ans soit un point de rente à 22,434, soit la somme de 1.776 x 22.434 = 39.842,80 euros * les soins d'ergothérapie ne sont pas justifiés.* les parties s'accordent sur les frais de kinésithérapie pour un montant de 1.560,00 euros.* frais de sophrologie nécessaires pour les traumatisés crâniens, pendant deux ans : 5.200,00 euros.* frais d'ostéopathie font double emploi avec ceux de kinésithérapie, la demande de ce chef est rejetée.* les parties s'accordent sur les frais de thérapie analytique : 1.920,00 euros.* obturateur anti bruit : la demande est fondée à concurrence de la somme réclamée de 1.562,49 euros * total : 50.292,00 euros » ;
AUX MOTIFS ENCORE QUE « Assistance par Tierce Personne : les experts n'ont pas distingué la période antérieure à la consolidation et la période postérieur à la consolidation pour ce chef de préjudice 6 heures hebdomadaires sont donc nécessaires au prix de 18,00 euros de l'heure, soit 6 x 18 x 52 = 5.616,00 euros par an x 31,758 = 178.353,00 euros » ;
ET AUX MOTIFS AUSSI QUE « Pertes de Gains Professionnels Futurs : pertes ou diminution des gains professionnels provenant soit de la perte de l'emploi soit de l'obligation pour la victime d'exercer un emploi moins rémunéré ou à temps partiel : M. X... a obtenu un bac C en 1992, un DUT de génie électrique informatique et industriel en 1995, un diplôme d'agent d'exploitation à l'ENAC. En avril 1996 il est coordinateur agent de trafic à Orly sud au sein de la compagnie Air Liberté, AOM TAT ; en septembre 1997 après son service militaire, il est promu en qualité de technicien supérieur des opérations aériennes et préparation des vols. En mars 1999 il obtient un certificat théorique facteurs humains du pilote de ligne avion délivré par la DGAC. Ses revenus sont alors de 1.424,00 euros par mois environ. De décembre 2002 à février 2003 il entame un stage pour obtenir un diplôme de pilote de ligne, stage interrompu par la faillite d'Air Liberté. Il est licencié en mai 2003. De janvier 2004 3 au 3 juin 2005 il suit la formation de conducteur de travaux du bâtiment et des travaux publics à l'AFPA. Compte tenu de ses diplômes il peut prétendre à un revenu de 2.000,00 euros par mois. / Il perçoit environ 600,00 euros par mois au titre de son activité au sein du cinéma UTOPIA, emploi à temps partiel en raison de sa fatigabilité et de la pénibilité des emplois à sa portée actuellement, et une pension d'invalidité de 857,00 euros par mois. La perte mensuelle est donc de 2.000 - 857,00 - 600,00 = 543,00 euros à capitaliser, soit la somme de : 543,00 x 12 x 31,758 = 206.935,13 euros » ;
ET AUX MOTIFS ENFIN QUE « Incidence Professionnelle : incidences périphériques du dommage touchant la sphère professionnelle : au moment de l'accident, si M. X... était toujours sans emploi, il avait reçu deux jours avant l'accident l'avis qu'il a obtenu une place dans un école de pilotage. Il a subi une perte de chance de trouver un emploi adapté à la formation envisagée, il n'a pu accéder du fait de l'accident à l'emploi de pilote de ligne. Cependant en sortant d'une petite école de pilotage, et compte tenu de la situation du marché de l'emploi dans le milieu aérien et la situation économique du secteur, Monsieur X... n'avait aucune sûreté d'obtenir un emploi sur un gros porteur dans une compagnie nationale. Le premier juge a justement évalué à perte de chance à 33 % d'un gain annuel supplémentaire de 40.000,00 euros soit 14.000,00 par an à capitaliser du jour de la consolidation au 65 ème anniversaire soit la somme de 14.000,00 x 22,434 = 314.076,00 euros étant rappelé que la rente a été imputée sur les pertes de gains professionnels futurs » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la victime doit voir son préjudice intégralement réparé, sans perte ni profit ; qu'en décidant que pour l'évaluation du capital à verser à la victime au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents, il serait « fait application du barème de capitalisation publié en mars 2013 par la Gazette du Palais qui s'appuie sur les données démographiques les plus récemment publiées 2006-2008, et sur une appréciation de la conjoncture économique la plus proche de la réalité avec un taux d'intérêts de 1,20 % » (arrêt attaqué, p. 11 in medio), cependant que ce taux d'intérêts de 1,20% ne correspond pas au taux d'intérêts officiel (TEC 10, correspondant au taux d'emprunt d'Etat à dix ans) mais au TEC 10 dont a été déduit le taux de renchérissement du coût de la vie évalué à 80% du taux d'inflation de 2012, ce qui revient à permettre à la victime de cumuler le bénéfice du versement d'un capital avec le bénéfice d'une indexation réservée au versement des rentes périodiques, la cour d'appel a violé le principe précité, outre l'article 1382 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE pour être indemnisable, un dommage doit être actuel et certain ; que l'inflation future est, dans son existence comme dans son montant, un événement éventuel et hypothétique ; qu'en décidant que pour l'évaluation du capital à verser à la victime au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents, il serait « fait application du barème de capitalisation publié en mars 2013 par la Gazette du Palais qui s'appuie sur les données démographiques les plus récemment publiées 2006-2008, et sur une appréciation de la conjoncture économique la plus proche de la réalité avec un taux d'intérêts de 1,20 % » (arrêt attaqué, p. 11 in medio), cependant que le taux d'intérêts de 1,20% prend en considération un taux d'inflation totalement hypothétique, la cour d'appel a violé le principe précité, outre l'article 1382 du code civil ;
ET ALORS, ENFIN, QUE seul est indemnisable le préjudice ayant un lien de causalité direct avec le fait dommageable ; que l'inflation susceptible de survenir postérieurement à la décision fixant le montant du préjudice de la victime constitue un événement sans lien de causalité directe avec le dommage ; qu'en fixant le montant du préjudice de la victime en tenant compte de l'inflation future, cependant que cet événement aléatoire était sans lien avec l'accident dont avait été victime M. X..., la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné M. Bertrand Y... et la société Pacifica à payer in solidum à M. Guillaume X... la somme de 1.141.440,43 ¿, provisions déduites avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en ce compris la somme de 314.076 ¿ au titre de l'incidence professionnelle ;
AUX MOTIFS QUE « Incidence Professionnelle : incidences périphériques du dommage touchant la sphère professionnelle : au moment de l'accident, si M. X... était toujours sans emploi, il avait reçu deux jours avant l'accident l'avis qu'il a obtenu une place dans un école de pilotage. Il a subi une perte de chance de trouver un emploi adapté à la formation envisagée, il n'a pu accéder du fait de l'accident à l'emploi de pilote de ligne. Cependant en sortant d'une petite école de pilotage, et compte tenu de la situation du marché de l'emploi dans le milieu aérien et la situation économique du secteur, Monsieur X... n'avait aucune sûreté d'obtenir un emploi sur un gros porteur dans une compagnie nationale. Le premier juge a justement évalué à perte de chance à 33 % d'un gain annuel supplémentaire de 40.000,00 euros soit 14.000,00 par an à capitaliser du jour de la consolidation au 65 ème anniversaire soit la somme de 14.000,00 x 22,434 = 314.076,00 euros étant rappelé que la rente a été imputée sur les pertes de gains professionnels futurs » ;
ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans ses conclusions d'appel (p. 55), M. X... sollicitait le paiement de la somme de 150.000 ¿ au titre de l'incidence professionnelle et que, dans leurs conclusions d'appel (p. 31), M. Y... et la société Pacifica offraient par ailleurs de régler à la victime, au titre de ce préjudice, la somme de 30.000 ¿ ; qu'en allouant à M. X... la somme de 314.076 ¿ au titre de l'incidence professionnelle (arrêt attaqué, p. 12 in fine), la cour d'appel a donc méconnu les termes du litige et ce faisant violé l'article 4 du code de procédure civile.
Le greffier de chambre