La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2015 | FRANCE | N°13NC01105

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 26 mars 2015, 13NC01105


Vu la requête, enregistrée le 20 juin 2013, présentée pour la société France Laverie Service, dont le siège est 12, rue Général Thiry à Neuves Maisons (54230), par la Selarl Guitton et A...Blandin ;

La société France Laverie Service demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0900706 du 6 mai 2013 du tribunal administratif de Strasbourg en tant que celui-ci a limité à une somme de 6 128,51 euros la condamnation de l'Etat qu'il a prononcée en raison du préjudice que lui a causé la rupture par l'administration pénitentiaire de ses relations commerciales av

ec la maison d'arrêt de Metz ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme t...

Vu la requête, enregistrée le 20 juin 2013, présentée pour la société France Laverie Service, dont le siège est 12, rue Général Thiry à Neuves Maisons (54230), par la Selarl Guitton et A...Blandin ;

La société France Laverie Service demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0900706 du 6 mai 2013 du tribunal administratif de Strasbourg en tant que celui-ci a limité à une somme de 6 128,51 euros la condamnation de l'Etat qu'il a prononcée en raison du préjudice que lui a causé la rupture par l'administration pénitentiaire de ses relations commerciales avec la maison d'arrêt de Metz ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 44 695,08 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société France Laverie Service soutient que :

- elle a réalisé des travaux d'aménagement dans les locaux de la maison d'arrêt de Metz, pour l'installation d'une laverie, afin de mettre en oeuvre un accord passé avec l'établissement ;

- la directrice de l'établissement a refusé la signature de la convention relative à ce projet et lui a signifié, par un courrier du 12 mars 2008, la rupture des relations commerciales ;

- elle a répondu à une offre de l'administration par l'exécution de travaux et un projet de convention dans le cadre d'un marché de travaux et d'un marché de service ;

- l'administration avait avalisé l'offre de service en apposant son cachet ;

- l'administration s'est engagée en lui faisant exposer des frais ; elle a engagé sa responsabilité en ne lui attribuant pas le marché ;

- elle ne s'opposait pas à la modification des termes du projet de convention ; le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier en retenant l'inverse dans ses motifs ;

- en rompant brutalement les relations contractuelles dans ces conditions, l'administration a méconnu les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats, de confiance légitime et de transparence des procédures ; cette méconnaissance est fautive ;

- l'ordre de commencer les travaux avant la conclusion du contrat constitue une faute de nature à ouvrir droit à indemnisation ;

- l'administration ne l'a pas informée des critères d'attribution du marché ;

- subsidiairement, la responsabilité de l'administration est engagée sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

- elle justifie d'un préjudice de 6 128,51 euros au titre des travaux d'installation qu'elle a effectués ;

- elle justifie de prestations supplémentaires réalisées à la suite de fautes commises par l'administration ; elle a subi un dommage en étant privée des gains qu'elle pouvait légitimement attendre ; elle a subi un préjudice par l'immobilisation de son matériel entre la mise à disposition de ce dernier et la rupture des relations contractuelles ; elle justifie d'un préjudice financier et d'un préjudice commercial ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l'ordonnance en date du 10 décembre 2013 fixant la clôture d'instruction au 13 janvier 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2014, présenté par la Garde des Sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ;

La ministre fait valoir que :

- à titre principal, la requête est irrecevable faute d'exposer des moyens contre le jugement de première instance et d'être motivée en droit ;

- à titre subsidiaire, elle n'est pas fondée :

- en installant le matériel avant la signature du contrat, la société France Laverie Service a elle-même créé une situation illicite dont elle ne saurait se prévaloir à l'appui de sa demande ;

- l'accord initial de l'administration, qui a permis l'installation du matériel, ne portait que sur les principes du contrat et ne s'étendait pas aux clauses ;

- le projet de contrat ultérieur a été substantiellement modifié à l'initiative de la société France Laverie Service par des clauses pénales inacceptables par l'administration ; cette modification justifie le refus de conclure ;

- l'administration était dans ces conditions tenue de refuser de signer le contrat ;

- aucune modification substantielle du marché ne peut être discutée dans le cadre de la mise au point prévue par l'article 59-II du code des marchés publics ;

- le détournement de pouvoir et la méconnaissance des principes régissant la commande publique ne sont pas établis ;

- les prétentions de la société France Laverie Service ne peuvent s'étendre au-delà du remboursement des frais engagés, pour la somme de 6 128,51 euros ;

- le moyen tiré du principe de confiance légitime est inopérant dès lors que le droit communautaire n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce, faute d'obligation pour l'administration dans la poursuite des pourparlers ;

- le manquement au principe de transparence trouve son origine dans le comportement de la société France Laverie Service qui a retourné un projet de contrat substantiellement modifié sans discussion préalable ;

- la société France Laverie Service, qui a été en mesure de faire à l'administration une offre susceptible de convenir dans ses principes, ne peut justifier d'aucun préjudice lié à la méconnaissance des principes de la commande publique ;

- le moyen tiré de l'enrichissement sans cause est irrecevable faute pour la société France Laverie Service d'apporter les éléments nécessaires à en établir les conditions ; subsidiairement, la société France Laverie Service a commis une faute fondant l'enrichissement en dissimulant la clause inacceptable jusqu'au moment de proposer la convention à la signature ;

- en tout état de cause, hors les travaux qu'elle a réalisés, la société France Laverie Service n'a effectué aucune prestation utile à l'administration ;

- le délai pris pour la récupération du matériel résulte du manque de diligences de la société France Laverie Service ;

- la société France Laverie Service ne produit aucun justificatif à l'appui de ses différentes prétentions ;

Vu le mémoire, enregistré le 14 avril 2014, présenté pour la société France Laverie Service, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

La société France Laverie Service soutient en outre :

- que sa requête est recevable ;

- qu'elle a proposé à l'administration, immédiatement après son refus de signer le contrat, un nouveau contrat, cette fois de location, ce qui établit qu'aucune modification substantielle n'a été imposée ;

- la rupture brutale des relations contractuelles dans ces conditions établit la faute de l'administration ;

- subsidiairement, elle justifie remplir les conditions pour demander l'indemnisation de son préjudice sur le terrain de l'enrichissement sans cause ;

- l'administration reconnaît n'avoir donné son autorisation pour récupérer le matériel que le 24 avril 2008, comme le tribunal administratif l'a relevé dans les motifs du jugement contesté ;

- elle justifie d'un préjudice commercial par la perte d'autres marchés du fait du contentieux avec la maison d'arrêt de Metz ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mars 2015 :

- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,

- les conclusions de M. Goujon-Fischer, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., pour la société France Laverie Service ;

Sur la faute contractuelle de l'administration invoquée par la société France Laverie Service :

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la direction de la maison d'arrêt de Metz a engagé en 2007 des pourparlers avec la société France Laverie Service en vue de l'installation sur place d'une laverie pour les détenus ; que la société France Laverie Service a soumis à l'administration le 30 août 2007 un projet qui portait sur le nombre de machines, le prix d'un lavage, la répartition de certains frais, les conditions d'installation du matériel, les garanties et les dépannages ; que l'administration a apposé sur ce document la mention " bon pour accord " pour la rédaction d'une convention intégrant ces modalités et a accepté que l'entreprise réalise les travaux nécessaires à l'installation des machines dans ses locaux ; que, toutefois, l'administration a rejeté le 28 février 2008 le projet de convention que lui a proposé la société France Laverie Service et, après plusieurs échanges de courriers et de conversations téléphoniques avec les responsables de l'entreprise à propos d'une clause voulue par cette dernière tendant à introduire un forfait dans le contrat, a rompu les pourparlers contractuels le 12 mars 2008 ; que dans ces conditions, nonobstant la mise en place des appareils par la société France Laverie Service avant cette date et l'indemnisation partielle par l'administration des travaux effectués, aucun accord n'est intervenu entre les parties sur la définition du projet ; que, par suite, à supposer que la société France Laverie Service ait entendu rechercher la responsabilité de l'Etat à raison d'une faute contractuelle qui résulterait, selon elle, de la rupture des relations entre les parties à la négociation, ses prétentions ne sauraient en tout état de cause être accueillies sur ce fondement dès lors qu'elle n'établit pas l'existence d'un quelconque contrat avec la maison d'arrêt de Metz ;

Sur la responsabilité quasi-délictuelle de l'administration :

2. Considérant qu'en défense l'Etat reconnaît rester redevable de la somme de 6 128,51 euros qu'il a été condamné par le tribunal administratif à verser à la société France Laverie Service au titre de la faute qu'il a commise en autorisant la société requérante à effectuer, avant même la conclusion des pourparlers, des travaux de plomberie et d'électricité pour permettre l'installation des machines à laver et à sécher le linge ; qu'ainsi le chef de préjudice relatif aux dépenses d'installation de ce matériel ne relève plus que de l'exécution du jugement du 6 mai 2013 ;

3. Considérant, en premier lieu, que si la société France Laverie Service fait valoir que l'administration a rompu brutalement la négociation, il résulte de l'instruction que cette interruption est intervenue après plusieurs échanges de courriers et discussions téléphoniques ; que, sans que la société France Laverie Service puisse utilement se prévaloir après la rupture des relations d'avoir proposé un contrat de location à l'administration, l'échec des pourparlers trouve son origine dans la volonté de la société requérante de faire prendre en charge le risque économique du contrat par l'administration en lui imposant le paiement, quel que soit le nombre de lavages effectués, d'un minimum de 9 824 jetons par an ; que, contrairement à ce que soutient la société France Laverie Service, en décidant de rompre les pourparlers dans ces conditions le 12 mars 2008, alors que les parties étaient en discussion depuis le 28 août 2007, l'administration n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité sur ce point ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'administration avait donné son accord pour l'enlèvement des matériels installés par la société France Laverie Service dès le 24 avril 2008, six semaines après la rupture des pourparlers ; que, si cette opération n'a été effectuée qu'au bout de plusieurs mois, la responsabilité de ce retard en revient au gérant de la société France Laverie Service, qui s'était d'ailleurs engagé, sans y avoir donné effet, à venir enlever les machines les 9 et 10 octobre 2008 ; que, dans ces conditions, la société France Laverie Service n'est pas fondée à invoquer une faute de l'administration dans le délai pris pour l'enlèvement du matériel ; que l'immobilisation de ce dernier ne trouve pas non plus son origine dans l'autorisation prématurée donnée par la maison d'arrêt de Metz pour les travaux d'installation ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aucun des autres chefs de préjudice tirés par la société requérante de la perte d'exploitation, du préjudice financier et du préjudice commercial n'est en lien avec la faute commise par l'administration en accordant à la société France Laverie Service l'autorisation d'installation des matériels ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que la société France Laverie Service n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif n'a, sur le terrain de la faute, fait droit à sa demande d'indemnisation qu'à hauteur de la somme de 6 128 euros en principal ;

Sur l'enrichissement sans cause :

7. Considérant que l'entrepreneur qui s'est prévalu des stipulations d'un contrat qui n'a pas été conclu en définitive peut prétendre, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les matériels installés par la société France Laverie Service, et laissés par elle ainsi qu'il a été dit dans les locaux de l'administration, n'ont jamais été utilisés ; que les travaux annexes n'ont en rien profité au service ; qu'il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

9. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société France Laverie Service, qui était seulement fondée à demander à l'Etat l'indemnisation des frais qu'elle a engagés à hauteur de 6 128 euros pour l'installation des matériels, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus de ses conclusions ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société France Laverie Service au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société France Laverie Service est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société France Laverie Service et à la Garde des Sceaux, ministre de la justice.

''

''

''

''

2

13NC01105


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13NC01105
Date de la décision : 26/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. GOUJON-FISCHER
Avocat(s) : SELARL GUITTON et GROSSET BLANDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2015-03-26;13nc01105 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award