Vu la requête, enregistrée le 4 février 2013, présentée pour Mme F...C..., veuveD..., domiciliée ... ;
Mme D... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1200330 du 15 janvier 2013 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 décembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant droit, sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
2°) d'annuler la décision susmentionnée ;
3°) d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires afin qu'il procède à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont était atteint M.D... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, incluant les frais fiscaux ;
Elle soutient que :
- en application des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, le lien de causalité entre la maladie qui a entraîné le décès de son époux et ses missions sur les sites d'expérimentations nucléaires est présumé, dès lors que le ministre de la défense n'apporte pas la preuve que le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable, en l'absence de justification de ce que la méthode retenue par le comité d'indemnisation, conduisant au calcul de la probabilité de causalité à l'aide d'une formule mathématique fondée sur les niveaux d'irradiation ou de contamination constatés par dosimétrie, était de nature à renverser le principe de présomption instauré par le texte ;
- la production de résultats de dosimétrie externe, alors que la fiabilité d'un tel instrument de mesure n'est pas démontrée, ne peut suffire à établir le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires, à défaut d'éléments permettant d'établir l'absence de contamination par inhalation et ingestion de poussières et de gaz radioactifs, et eu égard à une volonté de dissimulation de la part de l'Etat ;
- dès lors que sa demande remplit les conditions légales définies par la loi du 5 janvier 2010 et ses décrets d'application et que le ministre de la défense n'apporte pas la preuve, qui doit reposer sur les éléments du dossier et non uniquement sur des éléments purement statistiques, du caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires, elle est fondée à solliciter la réparation intégrale des préjudices subis par son époux, au besoin en recourant à une expertise médicale ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 juillet 2013, présenté par le ministre de la défense, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- si la présomption de causalité édictée par les dispositions de la loi du 5 janvier 2010 et de son décret d'application du 11 juin 2010 est établie en l'espèce, eu égard aux zones de résidence et de séjour dans les atolls de Mururoa et Fangataufa entre les 2 juillet 1966 et 31 décembre 1968, et à l'inscription de la maladie dont a souffert M. D...sur la liste annexée audit décret, cette présomption est renversée dès lors qu'ainsi qu'il résulte de la recommandation du CIVEN, le risque attribuable aux essais nucléaire peut être considéré comme négligeable, la probabilité d'une relation de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants subie par l'intéressé lors de sa présence sur les sites d'expérimentations nucléaires et la maladie dont il a été atteint, étant très inférieure à 1 % ;
- contrairement à ce que soutient la requérante, la méthode utilisée par le CIVEN, dont l'avis ne repose pas uniquement sur des données purement statistiques mais sur les éléments du dossier, pour apprécier le lien de causalité entre la maladie contractée par son époux et le niveau d'exposition, est conforme à la volonté du législateur ;
- M. D...a bénéficié d'une surveillance suffisante de l'irradiation, par dosimètre, qui est un instrument de mesure fiable, et a révélé une dose d'exposition de 0 mSv, les fonctions occupées alors ne justifiant pas un suivi spécifique de contamination interne ;
Vu le mémoire, enregistré le 20 janvier 2014, présenté pour MmeD..., qui maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 22 janvier 2014, présenté par le ministre de la défense, qui maintient ses conclusions pour les mêmes motifs ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 janvier 2014 :
- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Labrunie, avocat de MmeD... ;
1. Considérant que M. D..., qui avait été affecté au site d'expérimentation nucléaire de Mururoa, en qualité de chef du service artillerie du porte-avions Clémenceau, du 5 mai au 26 novembre 1968, période durant laquelle il a été procédé à cinq tirs nucléaires atmosphériques, a développé par la suite un cancer du côlon, diagnostiqué en 1991, dont il est décédé le 13 mai 1995 ; que sa veuve, Mme D..., a présenté, en sa qualité d'ayant droit de son époux défunt, par une lettre du 14 octobre 2010, une demande d'indemnisation des préjudices subis par son mari au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) en se prévalant des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que le ministre de la défense a, par une décision du 20 décembre 2011, conformément à la recommandation émise par le CIVEN, rejeté la demande présentée par Mme D... ; que celle-ci fait appel du jugement du 15 janvier 2013 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ladite décision du 20 décembre 2011 et à l'indemnisation des préjudices subis par son époux avant son décès ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa (...)" ; qu'aux termes de l'article 4 de ladite loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. (... ) " ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 11 juin 2010 susvisé : " La liste des maladies mentionnée à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée est annexée au présent décret " ; que le cancer du côlon figure dans cette liste ; qu'enfin, aux termes de l'article 7 du même décret : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. / Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. / La documentation relative aux méthodes retenues par le comité d'indemnisation est tenue à la disposition des demandeurs " ;
4. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le législateur a posé le principe d'une présomption de causalité entre l'exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français d'une personne qui a séjourné, au cours d'une période et dans une zone déterminées par lesdites dispositions, et la maladie radio-induite dont elle souffre ou a souffert, lorsqu'elle figure sur la liste établie par le décret susvisé du 11 juin 2010 ; qu'il résulte également, toutefois, de ces dispositions que ladite présomption peut être renversée lorsqu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable ;
5. Considérant qu'il est constant que M. D... a été affecté, ainsi qu'il a été dit au point 1, au site d'expérimentation nucléaire de Mururoa, en qualité de chef du service artillerie du porte-avions Clémenceau, du 5 mai au 26 novembre 1968, et qu'il a ainsi séjourné dans des lieux et durant une période fixées par les dispositions précitées du 2° de l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il est également constant qu'il a été atteint d'un cancer du côlon et qu'il a ainsi souffert de l'une des pathologies figurant sur la liste des maladies annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter la demande d'indemnisation de sa veuve, Mme D..., le ministre de la défense s'est toutefois fondé sur le motif tiré de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie dont l'intéressé avait été atteint était négligeable, conformément à la recommandation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, qui avait indiqué que, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de celui-ci lors de sa présence sur le site, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique, d'une relation de causalité entre cette exposition et ladite maladie était très inférieure à 1 % ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la maladie dont a souffert M. D... a été diagnostiquée en 1991, vingt-trois années après la période de son affectation à Mururoa, entre le 5 mai et le 26 novembre 1968 ; que s'il n'est pas contesté que durant cette période il a été procédé à cinq essais nucléaires atmosphériques, le ministre de la défense soutient, sans être contredit sur ce point, que le porte-avions Clémenceau, sur lequel servait M.D..., n'a, durant la campagne d'expérimentations nucléaires au centre d'expérimentations du Pacifique, de juillet à septembre 1968, au sein de la force Alpha, jamais pénétré dans le lagon de Mururoa, compte tenu de sa mission de surveillance et de sécurisation du déroulement des premiers essais, le tenant éloigné de la zone d'expérimentation au moment de l'essai, et que ce bâtiment n'a pas participé directement aux opérations de tir ou de reconnaissance radiologique après les tirs ; que le ministre fait également valoir qu'à l'époque, les mesures de contrôle de l'exposition aux rayonnements ionisants avaient constaté que seules les personnes exerçant une fonction de décontamineur sur ce bâtiment avaient reçu des doses positives de rayonnement ; qu'il ressort du " relevé d'exposition externe ", établi le 22 novembre 2010 par le médecin en chef responsable du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires, que la dose de rayonnement relevée sur l'intéressé, à trois reprises, au moyen d'un dosimètre externe, entre le 7 juin et le 3 octobre 1968, était égale à 0 millisievert, nonobstant la circonstance que le comité d'indemnisation a attribué une dose forfaitaire mensuelle de 0,2 millisievert ; que si Mme D... conteste la méthode retenue par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui l'a conduit à évaluer à 0,02 % la probabilité d'une relation de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants retenue pour M. D...lors de sa présence sur les sites d'expérimentation nucléaires et la maladie dont il avait été atteint, pour en déduire que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de cette maladie pouvait être considéré comme négligeable, les critiques qu'elle formule, tirées notamment, d'une part, de l'absence de fiabilité des résultats de dosimétrie externe, alors pourtant qu'un résultat d'analyse des films dosimètres égal à 0 millirem, qui témoigne de l'absence d'exposition de la personne aux rayonnements gamma atteste également, par suite, de l'absence de contamination interne conséquente à cette retombée, et, d'autre part, d'une absence de suivi spécifique de contamination interne, alors que l'affectation de M. D...sur le porte-avions Clémenceau, dont il n'est pas allégué qu'elle l'aurait mis en contact, avant leur décontamination, avec les personnels de ce bâtiment ayant reçu des doses positives de rayonnement, et les résultats des mesures d'exposition n'impliquaient pas un tel suivi, ne sont pas de nature à démontrer que ladite méthode, à partir de données propres à M. D...et selon une méthodologie fondée sur la notion de probabilité de causalité, recommandée par l'Agence internationale de l'énergie atomique, conformément aux dispositions de l'article 7 du décret du 11 juin 2010, et qui ne repose pas exclusivement sur la notion de seuil d'exposition aux rayons ionisants mesurée par dosimétrie, ne serait pas fiable ; que ces critiques ne sont ainsi pas davantage de nature à remettre en cause les résultats des mesures d'exposition prises en compte par l'administration ; que, dans ces conditions, eu égard au caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. D..., la requérante ne peut invoquer la présomption résultant des dispositions du II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 ; que, par suite, en l'absence de démonstration d'un lien de causalité certain et direct entre l'exposition de M. D...aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la maladie dont il a souffert, le ministre de la défense était fondé à rejeter la demande d'indemnisation présentée par Mme D... ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de sa requête aux fins d'injonction et tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2014 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
MM. Seillet etA..., présidents-assesseurs,
MM. B...etE..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 20 février 2014.
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N° 13LY00269