LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Collectes valorisations énergie déchets-Coved,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 7 février 2013, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 120 000 euros d'amende, à une peine complémentaire d'affichage, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 11 mars 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, M. Beauvais, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE ET BUK-LAMENT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-2 et 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Coved coupable d'homicide involontaire ;
"aux motifs qu'il convient de rappeler que l'infraction d'homicide involontaire reprochée à la société Coved est fondée sur deux fautes, commises par un de ses organes ou représentants pour son compte, alors qu'elle est coexploitante d'un centre de tri de déchets : la participation à la modification de la machine à l'origine du décès et l'absence de mise en place d'une procédure de consignation et de déconsignation spécifique en cas d'opérations de maintenance, et notamment de débourrage alors que la machine concernée présentait diverses non-conformités la rendant dangereuse ; que sur le premier point, il résulte parfaitement de l'enquête de gendarmerie, comme du rapport de l'APAVE réalisé immédiatement après les faits à la demande des services de gendarmerie et des conclusions de l'inspection du travail, que l'origine directe du décès de Pierre X... résulte de sa chute dans la trémie de la presse à cartons ; qu'il s'avère que cette chute a été rendue possible du fait de la dépose du protecteur en sortie de la goulotte de chargement ; que si ce carter n'avait pas au départ la fonction première de protéger les salariés d'un risque de chute dans la trémie, il faisait parfaitement office de garde-corps en l'absence d'autres protections, puisque le garde-corps existant, situé entre la passerelle et le convoyeur, ne protégeait en rien d'un tel risque de chute, notamment à l'occasion d'une opération de débourrage qui ne pouvait s'effectuer efficacement, aux dires de la totalité des salariés interrogés sur ce point, qu'après franchissement de ce garde-corps ; que le salarié se trouvait alors positionné directement au-dessus du puits d'accès des cartons à la presse, trou béant depuis que la tôle de protection avait été ôtée, et point de formation des bourrages provoqués par l'accumulation de cartons ; qu'il convient encore de noter que c'est bien pour réduire la formation de ces bourrages que la tôle en question avait été ôtée avec la conséquence secondaire d'accentuer considérablement les risques de chute dans la trémie lors des débourrages ; qu'il n'est pas contesté du tout que ce sont les salariés encadrant des deux sociétés Entrain et Coved qui ont ensemble décidé puis procédé à la suppression de la tôle incriminée sans prendre d'autres précautions pour remédier à cette transformation au regard des risques réels qu'elle créait ; qu'il n'est pas contestable non plus que c'est bien dans le cadre de ses attributions conventionnelles, et notamment dans le cadre d'une opération de maintenance, que les salariés de la société Coved sont intervenus pour transformer la machine, exposant ainsi les propres salariés de cette société comme ceux de son partenaire, tous pouvant être amenés à intervenir sur les bourrages, à un risque de chute ; qu'il n'est pas possible de prétendre qu'en retenant la responsabilité pénale de la société Coved en raison de sa participation à une modification de la machine, à l'origine du décès, on l'accuserait d'une faute non prévue à la prévention dans la mesure où la tôle supprimée ne faisait pas partie de la presse, mais de la trémie et n'appartenait donc pas à la machine à l'origine du décès ; que cet argument sera en effet rejeté, le terme de machine figurant à la prévention, terme général, désignant l'ensemble mécanique ayant participé au décès de la victime et comprenant bien entendu la presse elle-même comme l'ensemble convoyeur-trémie qui l'alimente ; qu'en agissant ainsi, les organes ou les représentants de la société Coved, agissant pour son compte, ont bien contrevenu à la réglementation prévue par le code du travail pour protéger la santé et la sécurité des employés, créant ainsi le risque ayant directement causé le décès de Pierre X... ; que le jugement sera en conséquence confirmé sur la déclaration de culpabilité de la société Coved sur ce premier point ; que sur le second point concernant la procédure de consignation-déconsignation de la presse à partir de l'armoire électrique, il est bien reproché à la société Coved de ne pas avoir mis en place de telles procédures spécifiques notamment pour permettre que les opérations de débourrage, opérations de maintenance puissent s'effectuer en toute sécurité ; que l'étude du dossier révèle la dangerosité toute particulière de ces opérations de débourrage, rendues nécessaires à une fréquence régulière en raison d'un bourrage chronique, à laquelle la suppression de la tôle déjà évoquée n'avait pas suffi à apporter de solution ; que pour l'inspection du travail, ces opérations de débourrage, contrairement à ce que prétend la Coved, relèvent bien de la maintenance, dont l'organisation est de la responsabilité de cette société ; qu'il a été évoqué l'importance pour la sécurité des employés chargés du débourrage qu'il existe une procédure très sûre d'arrêt et de remise en route de la presse lors de ces opérations ; que la société Coved ne conteste pas qu'il était de son ressort de mettre au point une telle procédure et affirme que c'était fait et qu'il existait bien un protocole de consignation-déconsignation affiché sur l'armoire électrique qui devait donc être connu de tous ; que pour elle, cette procédure, nécessitant l'intervention de deux salariés pour arrêter la presse et surtout pour la remettre en route, garantissait la sécurité des personnels ; que le dossier montre pourtant qu'il n'en était rien dans la pratique ; que l'APAVE a tout d'abord relevé un certain nombre de dysfonctionnements dans les dispositifs d'arrêt d'urgence de la presse et les convoyeurs ; qu'il faut surtout rappeler l'ensemble des témoignages relatifs au comportement du salarié le plus ancien de la société Entrain présent sur le site au moment de l'accident, face à la panne supposée de courant et à ses tentatives désordonnées et hasardeuses de remise en route des machines ; qu'il n'a alors en rien respecté le protocole invoqué par la société Coved, procédure qu'il semble n'avoir jamais connue ; qu'or il apparaît bien que sur de nombreux créneaux horaires et notamment le créneau 5:00-8:00, aucun salarié Coved n'était sur le site, alors que c'était à ce moment-là qu'étaient pressés les cartons et que donc les bourrages pouvaient intervenir ; qu'il aurait donc fallu que la procédure d'arrêt et de remise en route des machines prévue par la société Coved soit mise en place de façon à être connue de tous et notamment des salariés Entrain amenés à intervenir seuls à certains moments et de s'en assurer, ce qui s'est avéré ne pas être le cas ; que dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité de la société Coved de ce chef, ce volet de la prévention apparaissant également constitué ;
"alors que les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'en se bornant, pour déclarer la société Coved coupable d'homicide involontaire à raison du décès accidentel de M. X..., survenu, selon ses constatations, à la suite de sa chute dans la trémie de la presse à cartons, rendue possible du fait de la suppression du protecteur en sortie de la goulotte de chargement décidée par ses salariés encadrant et ceux de la société Entrain en raison d'un bourrage chronique de cette machine, puis de la remise en route de celle-ci, à relever qu'elle avait manqué à son obligation de maintenance de la presse et n'avait pas mis en place une procédure très sûre d'arrêt et de remise en route de cette machine lors des opérations de débourrage, sans préciser en quoi ces manquements résultaient d'une abstention d'un organe ou d'un représentant de cette personne morale et s'ils avaient été commis pour le compte de celle-ci, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite du décès accidentel de Pierre X..., écrasé par une presse à cartons dans le centre de tri des déchets de Pont-Audemer, la société Collectes valorisations énergie déchets (COVED), co-exploitante du site, chargée notamment de la mise à disposition des moyens techniques, a été poursuivie, en qualité de personne morale, du chef d'homicide involontaire ; qu'il lui était reproché d'avoir, par l'intermédiaire de ses organes ou représentants agissant pour son compte, involontairement causé la mort de Pierre X... en participant à la modification de la machine à l'origine du décès, en dépit de la notice d'utilisation interdisant toute modification de celle-ci, et en ne mettant pas en place de procédure de consignation et de déconsignation spécifique en cas d'opération de maintenance, et notamment de débourrage, alors que la machine présentait diverses non-conformités la rendant directement dangereuse pour la santé et la sécurité des employés intervenant sur elle ; que, déclarée coupable de cette infraction par les premiers juges, elle a relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public ;
Attendu que, pour confirmer la culpabilité de la société COVED, la cour d'appel prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans mieux rechercher si les manquements relevés résultaient de l'abstention d'un des organes ou représentants de la société prévenue, et s'ils avaient été commis pour le compte de cette société, au sens de l'article 121-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 7 février 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six mai deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;