LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 11 décembre 2012), que M. X..., engagé par la société de droit espagnol Productos Flowers à compter du 1er février 2005 en qualité de directeur commercial pour la France, a été licencié le 7 avril 2011 ; qu'après s'être désisté de l'instance engagée devant le tribunal de Lleida (Espagne), il a saisi le conseil de prud'hommes de Tours de diverses demandes ; que la société Productos Flowers a fait valoir l'incompétence de la juridiction française ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire le conseil de prud'hommes de Tours compétent alors, selon le moyen :
1°/ qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice des communautés européennes dans un arrêt du 26 janvier 2006, les documents établis par l'institution d'un État membre de la communauté européenne qui attestent de la situation d'une personne aux fins de l'application de la réglementation relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale s'imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu'ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l'État membre où ils ont été établis ; que pour retenir la compétence du conseil de prud'hommes dont dépend le domicile du salarié en France, la cour d'appel a écarté la clause du contrat de travail attribuant compétence à une juridiction espagnole pour cela que le contrat s'était exécuté habituellement en France, ce qui permettait d'annuler les effets de la clause attributive de compétence par application combinée des articles 19 et 21 du règlement communautaire n° 44/ 2000 du 22 décembre 2000 et des articles R 1412-1 et R 1412-2 du code du travail, peu important les certificats de détachement E-101 délivrés en application de l'article 11 du règlement communautaire n° 574/ 72 du 21 mars 1972 par la sécurité sociale espagnole attestant d'une affiliation en Espagne en considération de la réalité d'une situation de détachement temporaire en France ; qu'en refusant de prendre en considération le certificat de détachement bien qu'il soit incompatible avec son appréciation factuelle du lieu de travail habituel, et alors qu'il n'avait pas été retiré par l'État de l'institution émettrice, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
2°/ que l'opposabilité du certificat de détachement est posée par l'article 5, 1., du règlement communautaire n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009 entré en vigueur le 1er mai 2010, et par conséquent applicable à l'époque de l'exécution et au jour de la rupture du contrat de travail, le 7 avril 2011 ; qu'en jugeant que le contrat de travail s'était exécuté en France, abstraction faite des certificats de détachement E-101 délivrés par la sécurité sociale espagnole établis en considération d'un contrat de travail espagnol avec détachement en France et validé par la Sécurité sociale française, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
3°/ que le certificat de détachement et le choix du tribunal compétent pour connaître du contrat de travail dépendant du même critère du lieu de travail habituel, retenir un lieu de travail différent de celui ayant conduit à la délivrance du certificat conduit à une contrariété susceptible de remettre en cause les cotisations et prestations de sécurité sociale, de sorte que la cour d'appel, en faisant abstraction des conséquences de sa décision, a violé, par refus d'application, l'article 5, 1., du règlement communautaire n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009 ;
4°/ qu'en cas de doute sur la validité du certificat de détachement ou l'exactitude des faits qui ont conduit à son émission, l'institution de l'État membre à laquelle est opposé ce document doit demander à l'institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document ; qu'en jugeant que le salarié travaillait habituellement en France, passant outre le certificat E-101 délivré par la sécurité sociale espagnole établi en considération d'un contrat de travail espagnol avec détachement en France et validé par la Sécurité sociale française, sans interroger l'institution émettrice, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 5, 2., du règlement communautaire n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009 ;
5°/ qu'à titre subsidiaire, la société sollicite que la question suivante soit transmise à la Cour de justice de l'Union européenne : « la juridiction d'un État membre amenée à déterminer la compétence territoriale d'une juridiction de droit du travail au regard du critère du lieu de travail habituel en application des articles 19 et 21 du règlement n° 44/ 2000 du 22 décembre 2000, peut-elle, en dépit de l'article 5, 1., du règlement n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009, juger que ce lieu de travail n'est pas celui ayant conduit, en application du même critère de réalité, une institution de sécurité sociale d'un autre État membre à délivrer un certificat de détachement ou doit-elle, en application de l'article 5, 2., interroger l'institution qui l'a délivré et se conformer à sa décision de retrait ou de maintien du certificat ? » ;
Mais attendu que la cour d'appel a décidé exactement que la délivrance d'un certificat E 101 par l'organisme de sécurité sociale espagnole n'avait d'effet qu'à l'égard des régimes de sécurité sociale, en application de l'article 1er du règlement CE n° 1408/ 1971 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, applicable en la cause, et que la détermination de la juridiction compétente devait être faite en application des dispositions de l'article 19 du Règlement (CE) n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Productos Flower aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Productos Flower à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. Lacabarats, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l'article 456 du code de procédure civile, en l'audience publique du vingt-neuf septembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Productos Flower.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le conseil de prud'hommes de Tours est compétent pour connaître du litige opposant Monsieur François X..., salarié, à la société espagnole Productos Flower, employeur ;
AUX MOTIFS QUE la SA PRODUCTOS FLOWER est une société espagnole qui a pour activité la production et la vente d'engrais agricoles ; qu'elle a son siège à AGRAMUNT (ESPAGNE) ; que le 17 décembre 2004, elle adresse à Monsieur X... un courrier aux termes duquel elle l'engage, le 1er janvier 2005, comme directeur commercial pour la FRANCE, pays dans lequel elle souhaite implanter son activité ; qu'il est prévu une rémunération et qu'un contrat « en bonne et due forme » sera finalisé en janvier 2005 ; que de fait, un tel contrat est conclu le 14 janvier 2005, qui confirme son embauche comme directeur commercial ; il s'agit d'un contrat à durée indéterminée qui débute toutefois le premier février 2005 ; que Monsieur X... est licencié le 7 avril 2011 ; que dans un premier temps, il saisit le tribunal du travail de LLEIDA (ESPAGNE), mais abandonne cette procédure pour se tourner vers le conseil de prud'hommes de TOURS ; que la société soulève l'incompétence au profit du tribunal de LLEIDA ; qu'elle se fonde sur l'article 15 du contrat qui lui attribue compétence exclusive ; or qu'une clause attributive de compétence incluse dans un contrat international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l'article R 1412-1 du code du travail, applicable dans l'ordre international, dont l'alinéa 2 dispose que le conseil de prud'hommes territorialement compétent est, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de tout entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel se situe le domicile du salarié ; qu'il résulte des documents produits par les 2 parties que Monsieur X... a, depuis le début, travaillé à la fois à son domicile sis à SAINT-CYR-SUR-LOIRE (37) et en dehors de tout établissement ; qu'il produit en effet :- la justification de ce qu'au cours de l'année universitaire 2004-2005, il a suivi un enseignement à LYON, incompatible avec un travail et une résidence en Espagne,- une attestation du maire de SAINT-CYR-SUR-LOIRE selon laquelle il habite cette commune en permanence depuis 1993,-2 attestations d'amis selon lesquelles il a toujours été joignable à son domicile,- l'ensemble de ses factures téléphoniques,- ses notes de frais qui, dans leur immense majorité, mentionnent des déplacements en France,- ses relevés bancaires de carte faisant aussi état dans leur très grande majorité d'opérations en France,- ses comptes rendus de visites et ses mails qui établissent la même chose,- une attestation de Monsieur Y..., responsable du département technique agricole et réglementation de la société de 2002 à 2010, qui dit que, dès son entrée le premier février 2005, Monsieur X... a immédiatement travaillé comme directeur commercial sur le seul territoire français, et n'a jamais travaillé en ESPAGNE, à l'exception de quelques jours de réunion à l'usine, lors desquels il séjournait à l'hôtel, ajoutant qu'il n'a jamais habité à AGRAMUNT et qu'il ne comprend ni le castillan ni le catalan, tous les échanges se faisant en français ou en anglais ; que la société fournit un bail signé par Monsieur X... pour un logement en ESPAGNE et divers documents administratifs afin de prouver qu'il était considéré par les autorités espagnoles comme résidant et travaillant dans ce pays ; or que, comme le dit le témoin précité, il ne comprend nullement l'espagnol ; qu'il a donc signé la location sans comprendre qu'il s'agissait d'un bail ; que le caractère fictif de celui-ci est démontré par l'attestation de Monsieur Y..., et par le fait que la société est incapable de prouver que le loyer de 330 euros par mois a bien été payé ; quant aux documents officiels, ils ont été établis sur les seules déclarations de la société, sans que Monsieur X... soit au courant ou comprenne la portée de ce qu'il a pu signer puisqu'il ne parle pas un mot d'espagnol ; que les éléments produits par le salarié sont ainsi beaucoup plus convaincants que ceux de la société, et il est donc prouvé que, dès le début, le salarié a travaillé pour l'essentiel en FRANCE, ne se rendant que quelques jours par an en Espagne ; qu'ainsi, travaillant tant à partir de son domicile dans lequel il avait installé son bureau qu'en FRANCE pour rencontrer les clients et prospects, l'article R 1412-1 lui permettait, nonobstant la clause, de saisir le conseil de prud'hommes de TOURS ; qu'il importe peu que des certificats E-101 aient été délivrés pour son emploi ; ils ne concernent que l'application des règles de la sécurité sociale, et non celles du droit du travail ; qu'à supposer que l'on applique l'article 19 du règlement (CEE) numéro 44-2000 du conseil du 22 décembre 2000, la solution serait la même ; qu'il prévoit en effet qu'un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un État membre peut être attrait, dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou celui du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; que l'article 21 ne permet pas de déroger à cette règle par des clauses attributives de compétence mentionnées au contrat de travail ; or qu'il a été vu au paragraphe précédent que le lieu où le salarié accomplit habituellement son travail était la FRANCE ; la solution serait d'ailleurs identique même si l'on admettait, ce qui n'est pas le cas, qu'au début il aurait commencé par travailler quelques semaines en ESPAGNE avant d'être détaché en FRANCE (le tribunal « du dernier lieu » où il a accompli habituellement son travail) ; que la société soutient qu'elle a commencé par l'employer en ESPAGNE avant de le détacher en France ; que tout d'abord, le texte invoqué (l'article 6 de la convention de ROME du 19 juin 1980) ne concerne que la loi applicable, et non la détermination du tribunal compétent ; qu'en outre, si ce texte traite du détachement, il précise qu'il est par nature « à titre temporaire » ; qu'un détachement dans un autre pays suppose par ailleurs que le contrat a commencé à s'exécuter dans le premier pays ; qu'il a été vu que ce n'est pas le cas de Monsieur X..., qui n'a pas commencé à travailler en Espagne ; qu'en outre, il n'était nullement prévu qu'il doive travailler en FRANCE à titre temporaire ; que le contrat ne prévoit rien de tel et Monsieur X... a été engagé pour concrétiser l'implantation de la société en FRANCE, puis pour la développer ; ce travail en FRANCE était donc définitif et nullement temporaire ;
1°) ALORS QU'ainsi que l'a jugé la Cour de justice des communautés européennes dans un arrêt du 26 janvier 2006, les documents établis par l'institution d'un État membre de la communauté européenne qui attestent de la situation d'une personne aux fins de l'application de la réglementation relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale s'imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu'ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l'État membre où ils ont été établis ; que pour retenir la compétence du conseil de prud'hommes dont dépend le domicile du salarié en France, la cour d'appel a écarté la clause du contrat de travail attribuant compétence à une juridiction espagnole pour cela que le contrat s'était exécuté habituellement en France, ce qui permettait d'annuler les effets de la clause attributive de compétence par application combinée des articles 19 et 21 du règlement communautaire n° 44/ 2000 du 22 décembre 2000 et des articles R 1412-1 et R 1412-2 du code du travail, peu important les certificats de détachement E-101 délivrés en application de l'article 11 du règlement communautaire n° 574/ 72 du 21 mars 1972 par la sécurité sociale espagnole attestant d'une affiliation en Espagne en considération de la réalité d'une situation de détachement temporaire en France ; qu'en refusant de prendre en considération le certificat de détachement bien qu'il soit incompatible avec son appréciation factuelle du lieu de travail habituel, et alors qu'il n'avait pas été retiré par l'État de l'institution émettrice, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
2°) ALORS DU RESTE QUE l'opposabilité du certificat de détachement est posée par l'article 5, 1., du règlement communautaire n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009 entré en vigueur le 1er mai 2010, et par conséquent applicable à l'époque de l'exécution et au jour de la rupture du contrat de travail, le 7 avril 2011 ; qu'en jugeant que le contrat de travail s'était exécuté en France, abstraction faite des certificats de détachement E-101 délivrés par la sécurité sociale espagnole établis en considération d'un contrat de travail espagnol avec détachement en France et validé par la Sécurité sociale française, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
3°) ALORS EN OUTRE QUE le certificat de détachement et le choix du tribunal compétent pour connaître du contrat de travail dépendant du même critère du lieu de travail habituel, retenir un lieu de travail différent de celui ayant conduit à la délivrance du certificat conduit à une contrariété susceptible de remettre en cause les cotisations et prestations de sécurité sociale, de sorte que la cour d'appel, en faisant abstraction des conséquences de sa décision, a violé, par refus d'application, l'article 5, 1., du règlement communautaire n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009 ;
4°) ET ALORS QU'en cas de doute sur la validité du certificat de détachement ou l'exactitude des faits qui ont conduit à son émission, l'institution de l'État membre à laquelle est opposé ce document doit demander à l'institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document ; qu'en jugeant que le salarié travaillait habituellement en France, passant outre le certificat E-101 délivré par la sécurité sociale espagnole établi en considération d'un contrat de travail espagnol avec détachement en France et validé par la Sécurité sociale française, sans interroger l'institution émettrice, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 5, 2., du règlement communautaire n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009 ;
5°) ALORS ENFIN QU'à titre subsidiaire, l'exposante sollicite que la question suivante soit transmise à la Cour de justice de l'Union européenne : « la juridiction d'un État membre amenée à déterminer la compétence territoriale d'une juridiction de droit du travail au regard du critère du lieu de travail habituel en application des articles 19 et 21 du règlement n° 44/ 2000 du 22 décembre 2000, peut-elle, en dépit de l'article 5, 1., du règlement n° 987/ 2009 du 16 septembre 2009, juger que ce lieu de travail n'est pas celui ayant conduit, en application du même critère de réalité, une institution de sécurité sociale d'un autre État membre à délivrer un certificat de détachement ou doit-elle, en application de l'article 5, 2., interroger l'institution qui l'a délivré et se conformer à sa décision de retrait ou de maintien du certificat ? »