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23/02/2016 | FRANCE | N°12PA03983

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 23 février 2016, 12PA03983


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Praxair a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution, assortie des intérêts moratoires, de la contribution au service public de l'électricité qu'elle avait acquittée au titre des années 2005 à 2009.

Par un jugement n° 1105485/1-2 du 6 juillet 2012, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 28 septembre 2012,

20 mars 2013, 17 janvier, 21 février et 3 novembre 2014, 12 novembre 2015 et 13 janvier 2016, la s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Praxair a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution, assortie des intérêts moratoires, de la contribution au service public de l'électricité qu'elle avait acquittée au titre des années 2005 à 2009.

Par un jugement n° 1105485/1-2 du 6 juillet 2012, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 28 septembre 2012, 20 mars 2013, 17 janvier, 21 février et 3 novembre 2014, 12 novembre 2015 et 13 janvier 2016, la société Praxair, puis la société Messer France, qui vient aux droits et obligations de la première, représentées par Me C...et Me D..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1105485/1-2 du 6 juillet 2012 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge de l'intégralité des sommes indûment acquittées au titre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), assorties des intérêts moratoires correspondants ;

3°) le cas échéant, de saisir, dans les conditions prévues à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle quant à l'existence d'un lien d'affectation contraignant entre la CSPE et le régime d'aide aux producteurs d'électricité d'origine " verte ", d'une question préjudicielle quant à la qualification d'aides d'Etat donnée aux mesures d'exonération et de plafonnement de la CSPE et d'une question préjudicielle quant à la conformité du dispositif de la CSPE à la directive n° 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise ;

4°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait répondu à la question posée à titre préjudiciel par le Conseil d'Etat dans le cadre de l'instance n° 324852 introduite par l'association Vent de Colère ! ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

- que les dispositions instituant la contribution au service public de l'électricité sont entachées d'illégalité pour n'avoir pas été, au préalable, notifiées à la Commission européenne dans les conditions prévues à l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;

- que, depuis 2006, les tarifs de la contribution litigieuse sont privés de base réglementaire faute d'avoir été fixés chaque année par l'arrêté du ministre chargé de l'énergie prévu à l'article 5 de la loi du 10 février 2000 ;

- que la contribution contestée méconnaît certaines règles prévues par la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 en matière d'impositions supplémentaires aux accises concernant l'exigibilité, l'identité du redevable et le plafonnement ;

- que le défaut d'opposabilité du dispositif de soutien à la production des énergies vertes résultant de l'absence de notification préalable à la Commission européenne fait légalement obstacle à la mise en recouvrement de cette contribution, indépendamment de l'existence d'un lien d'affectation contraignant au sens du droit de l'Union ;

- que la perception de la contribution en cause n'est, dès lors, pas conforme au principe de nécessité de l'impôt défini aux articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen d'août 1789.

Par un mémoire distinct, enregistré le 21 février 2014, la société Praxair demande que soit transmise au Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution et de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions des neuvième à vingt-et-unième alinéas du paragraphe I de l'article 5 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dans leur version issue de l'article 118 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004, dans celle issue des articles 54 et 57 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique et dans celle issue de l'article 7 de la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie.

Par un mémoire en observations et des mémoires complémentaires, enregistrés les 6 février 2013, 27 janvier 2014, 7 avril 2014, 28 novembre 2014 et 9 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens d'appel n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2015, la Commission de régulation de l'énergie conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens d'appel n'est fondé.

Par un arrêt du 17 mars 2015, la Cour, avant de statuer sur la requête de la société Praxair, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cet appel au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) La réclamation préalable, à laquelle est subordonnée l'introduction d'un recours contentieux concernant la contribution au service public de l'électricité, qui est au nombre des impositions de toute nature, doit-elle être présentée en application des dispositions des articles L. 190 et R*. 196-1 du livre des procédures fiscales, ou des articles R. 772-1 (second alinéa) et R. 772-2 du code de justice administrative '

2°) Quelle est l'autorité compétente pour statuer sur la demande de restitution des sommes versées au titre de la contribution au service public de l'électricité ' Quelles conséquences y a-t-il à tirer du fait que la réclamation tendant à la restitution des sommes versées au titre de la contribution au service public de l'électricité n'a pas été adressée à l'autorité compétente quant, d'une part, à la détermination du défendeur auquel la requête présentée devant la juridiction administrative doit être communiquée et, d'autre part, au sort à réserver à la requête, au regard notamment des dispositions de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations '

3°) Quelle est la date à compter de laquelle court le délai de réclamation, et quelle est sa durée ' A supposer que l'article R. 772-2 du code de justice administrative soit applicable, quel est, dans le cas d'une demande de restitution, le titre d'imposition ou l'extrait de ce titre au sens de ces dispositions ' Le consommateur final n'ayant connaissance du montant de la contribution en cause mise à sa charge que par la consultation de ses factures d'électricité, à réception de celles-ci, quelles conséquences convient-il d'en tirer quant à l'opposabilité des délais de recours, notamment eu égard à l'absence d'indication des voies et délais de recours sur ces factures et, par ailleurs, quant à l'application des règles de prescription '

4°) Au regard des règles qui déterminent la compétence territoriale des tribunaux administratifs, quel est ou quels sont les tribunaux administratifs compétents pour connaître du contentieux de la contribution au service public de l'électricité ' Dans l'hypothèse où le critère de compétence territoriale retenu serait celui du siège de l'autorité compétente pour statuer sur la réclamation et où le ministre défendeur serait celui en charge du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui possède deux sites d'implantation, l'un à Paris et l'autre dans le département des Hauts-de-Seine, le tribunal administratif compétent est-il celui de Paris ou de Cergy-Pontoise '

5°) Eu égard aux dispositions de l'article 5 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, y a-t-il lieu de qualifier le lien entre la contribution au service public de l'électricité et le régime d'aide d'Etat aux installations de production d'électricité utilisant des sources d'énergie renouvelable de " lien d'affectation contraignant ", au sens de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, grande chambre, 22 décembre 2008, affaire Société Régie Networks, n° 333/07) ' En cas de réponse positive à cette question, quelles conséquences y a-t-il lieu de tirer, quant à un éventuel droit à restitution de cotisations versées au titre de la contribution au service public de l'électricité, d'une part, du défaut de notification du régime d'aide d'Etat à la Commission européenne jusqu'au 11 octobre 2013 et, d'autre part, du fait que la notification à laquelle il a été procédé à cette date n'a porté que sur le régime d'aide aux installations de production d'électricité issue de l'énergie éolienne terrestre, à l'exclusion des autres sources renouvelables de production d'électricité '

6°) A supposer qu'il y ait lieu d'accorder la restitution demandée, quelle est la personne morale tenue de restituer au contribuable les cotisations versées au titre de la contribution au service public de l'électricité '

7°) A supposer qu'il existe un lien d'affectation contraignant entre la contribution au service public de l'électricité et le régime d'aide d'Etat qu'elle finance, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales sont-elles applicables à une imposition telle que cette contribution ' Dans l'affirmative, la modification de ces dispositions par l'article 26 de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 est-elle d'application immédiate aux procédures en cours '

Vu l'avis n° 388853 rendu le 22 juillet 2015 par le Conseil d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive n° 92/12/CEE du Conseil du 25 février 1992 ;

- la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 ;

- la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 ;

- la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

- la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 ;

- la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;

- la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 ;

- le décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-419 QPC du 8 octobre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Auvray ;

- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public ;

- et les observations de Me A...et de MeC..., avocats de la société Messer France, et de MmeB..., pour la Commission de régulation de l'énergie.

1. Considérant que la société Praxair, aux droits et obligations de laquelle vient la société par actions simplifiée Messer France, a, par réclamation préalable reçue le 17 décembre 2010 par le ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, et dont copie a été adressée à la Commission de régulation de l'énergie, demandé en vain la restitution de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qu'elle avait acquittée, pour l'ensemble des établissements qu'elle exploite directement, au titre de chacune des années 2005 à 2009 ; que cette société relève appel du jugement du 6 juillet 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la restitution des sommes ainsi versées, assorties des intérêts moratoires ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête en tant qu'elle vise à la restitution des cotisations de CSPE acquittées au cours des années 2005 à 2008 ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que la société Messer France fait grief au tribunal administratif d'avoir " tranché d'office " la question de savoir s'il existait un lien d'affectation contraignant entre la contribution au service public de l'électricité et le régime d'aide qu'elle a vocation à financer ;

3. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que cette question avait été invoquée par la société Praxair elle-même, dans sa requête, au point 2.2.1.2 ; qu'ainsi, en se prononçant sur ce point alors même que la partie défenderesse n'avait pas spécifiquement répondu à l'argument en cause, les premiers juges n'ont en tout état de cause nullement tranché une question d'office mais se sont bornés à apprécier, comme il leur appartenait de le faire, les mérites de cet argument ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait, pour ce motif, entaché d'irrégularité ;

Sur les conclusions à fin de restitution de la contribution litigieuse :

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, désormais repris à l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions " ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité, désormais repris à l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union : " (...) 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure n'ait abouti à une décision finale " ;

5. Considérant que la société Messer France soutient que l'obligation qui, résultant de la loi du 10 février 2000 dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 2003, pèse sur Electricité de France et les distributeurs non nationalisés, d'acheter de l'électricité dite " verte " à un prix supérieur à sa valeur de marché, est constitutive, au profit des producteurs de cette filière, d'une aide d'Etat au sens de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne ; qu'en cours d'instance, la société se prévaut, en outre, de l'arrêt Association Vent de Colère ! Fédération nationale (C-262/12) du 19 décembre 2013 de la Cour de justice de l'Union européenne qui, saisie d'une question préjudicielle par décision n° 324852 du 15 mai 2012 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, confirmerait sur ce point l'analyse de la requérante en ce que la Cour a jugé que le mécanisme de compensation intégrale des surcoûts imposés à des entreprises en raison d'une obligation d'achat de l'électricité d'origine éolienne à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par tous les consommateurs finals d'électricité constituait une intervention au moyen de ressources d'Etat ; que la société requérante en déduit que la contribution au service public de l'électricité, qui a pour objet de compenser les charges du service public de l'électricité prévues à l'article 5 de la loi du 10 février 2000, au nombre desquelles figure, notamment mais pas exclusivement, celle consistant à imposer l'achat d'électricité d'origine " verte " dans les conditions susrappelées, fait partie intégrante de cette mesure d'aide et qu'elle aurait dû, par suite, faire l'objet de la notification préalable imposée par l'article 88 de ce traité ;

6. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne que les taxes n'entrent pas dans le champ des dispositions du traité concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles ne constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure ;

7. Considérant, d'une part, que, selon l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives aux aides d'Etat et, notamment, aux termes de son arrêt Société Régie Networks (C-333/07 du 22 décembre 2008), " pour qu'une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide concernées en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide et influence directement l'importance de celle-ci et, par voie de conséquence, l'appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché commun " ;

8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 10 février 2000, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Les charges imputables aux missions de service public assignées aux opérateurs électriques sont intégralement compensées. Elles comprennent : a) En matière de production d'électricité : / 1° Les surcoûts qui résultent, le cas échéant, de la mise en oeuvre des dispositions des articles 8 et 10 par rapport aux coûts évités à Electricité de France ou, le cas échéant, à ceux évités aux distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée qui seraient concernés (...) / La compensation de ces charges, au profit des opérateurs qui les supportent, est assurée par des contributions dues par les consommateurs finals d'électricité installés sur le territoire national. / (...) Le montant de la contribution applicable à chaque kilowattheure est calculé de sorte que les contributions couvrent l'ensemble des charges visées aux a et b (...). Le ministre chargé de l'énergie arrête ce montant sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie, effectuée annuellement (...) Lorsque le montant des contributions collectées ne correspond pas au montant constaté des charges de l'année, la régularisation intervient l'année suivante au titre des charges dues pour cette année. Si les sommes dues ne sont pas recouvrées au cours de l'année, elles sont ajoutées au montant des charges de l'année suivante (...) " ;

9. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le montant de l'aide d'Etat que constitue l'obligation d'achat, à un prix supérieur à sa valeur de marché, de l'électricité d'origine " verte ", ne dépend pas, en vertu de la réglementation applicable, du produit de la contribution au service public de l'électricité ; que, d'ailleurs, il résulte de l'instruction qu'au cours de la période litigieuse et, notamment, s'agissant de l'année 2009, le produit de la contribution contestée n'a pas entièrement compensé le montant de l'aide d'Etat en cause ; qu'ainsi, le produit de la CSPE n'influence pas directement l'importance des aides attribuées, qui ne sont pas accordées dans la limite des recettes escomptées de cette contribution ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, faute de lien d'affectation contraignant entre la CSPE et l'aide d'Etat en cause, cette contribution ne peut être regardée comme faisant partie intégrante de ladite aide, sans qu'il soit besoin pour la Cour de poser sur ce point une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ce dispositif d'aide d'Etat n'a pas fait l'objet de la notification préalable prévue à l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne est inopérant ;

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de base réglementaire du tarif de la contribution à compter de l'année 2006 :

11. Considérant qu'aux termes du IV de l'article 118 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le montant prévisionnel des charges imputables aux missions de service public de l'électricité pour l'année 2004 est fixé à 1 735 200 000 euros et le montant de la contribution applicable à chaque kilowattheure pour les années 2004 et 2005 est fixé à 0,0045 euro " ; que l'article 5 de la loi du 10 février 2000, qui dispose que : " (...) Le ministre chargé de l'énergie arrête ce montant sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie, effectuée annuellement (...) " a été complété par l'article 54 de la loi du 13 juillet 2005, aux termes duquel : " Le montant de la contribution annuelle, fixé pour une année donnée, est applicable aux exercices suivants à défaut d'entrée en vigueur d'un nouvel arrêté pour l'année considérée " ;

12. Considérant que la société Messer France soutient que la contribution au service public de l'électricité acquittée par la société Praxair au titre de chacune des années 2006 à 2009 est dépourvue de base réglementaire au motif que le ministre chargé de l'énergie n'a, au titre de ces années, pris aucun arrêté pour en fixer le tarif et que cette carence ne peut être palliée par les dispositions introduites par l'article 54 de la loi du 13 juillet 2005, lesquelles ne trouveraient à s'appliquer qu'en cas de retard de publication ou en cas d'annulation de l'arrêté ministériel ainsi prévu, seules hypothèses évoquées à l'occasion du dépôt, par le Gouvernement, de l'amendement n° 478 du 24 mars 2005 à l'origine de cet article 54 ;

13. Considérant, toutefois, qu'il résulte des termes mêmes des dispositions précitées de cet article que la portée de celles-ci n'est pas limitée aux seuls cas ainsi évoqués ; qu'au surplus, s'il est exact que l'amendement ayant conduit à leur adoption faisait état de ces hypothèses, il n'en excluait pas pour autant d'autres, alors surtout que son objectif était de donner une base légale certaine à la poursuite du recouvrement de la contribution litigieuse ; que, dès lors, la société Messer France n'est fondée à soutenir ni que les contributions contestées, que la société Praxair a acquittées au titre des années 2006 à 2009 au tarif de 4,5 euros par MWh prévu au IV de l'article 118 de la loi du 30 décembre 2004, seraient dépourvues de base légale faute d'arrêté ministériel, ni que serait méconnu, de ce seul fait, le caractère annuel du tarif de la contribution en cause ;

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que certaines caractéristiques de la CSPE méconnaissent les règles du droit de l'Union européenne applicables aux impositions supplémentaires frappant les produits soumis à accises :

14. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la directive du 16 décembre 2008 susvisée : " 1. La présente directive établit le régime général des droits d'accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés " produits soumis à accise " : a) les produits énergétiques et l'électricité relevant de la directive 2003/96/CE ; b) l'alcool et les boissons alcoolisées relevant des directives 92/83/CEE et 92/84/CEE c) les tabacs manufacturés relevant des directives 95/59/CE, 92/79/CEE et 92/80 CEE. 2. Les Etats membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation communautaires applicables à l'accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d'imposition, le calcul, l'exigibilité et le contrôle de l'impôt, ces règles n'incluant pas les dispositions relatives aux exonérations (...) " ; qu'aux termes du 1 de l'article 7 de cette directive : " Les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l'Etat membre où celle-ci s'effectue (...) " et qu'aux termes de l'article 8 de la même directive : " 1. La personne redevable des droits d'accise devenus exigibles est : (...) c) en ce qui concerne la production de produits à accise visée à l'article 7, paragraphe 2, point c) : la personne produisant les produits soumis à accise (...) " ;

15. Considérant que la société Messer France soutient qu'en tant que taxe indirecte supplémentaire sur les produits soumis à accise, la CSPE méconnaît les dispositions précitées de la directive du 16 décembre 2008 aux motifs qu'elle est dépourvue de finalité spécifique, qu'elle est exigible non pas lors de la mise à la consommation de l'électricité, mais lors de sa facturation au client final par le distributeur d'électricité, et que le redevable en est le client final et non, conformément au c) du 1 de l'article 8 de cette directive, le fournisseur d'électricité ;

16. Considérant qu'après avoir rappelé, dans son arrêt du 24 février 2000, Commission européenne contre République française, affaire C-434/97, que la directive du 25 février 1992 visait à éviter que la mise en oeuvre d'impositions indirectes supplémentaires n'entravât indûment les échanges au sein du marché intérieur, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, au point 27 de cet arrêt, que cette directive, abrogée et remplacée par celle du 16 décembre 2008 qui, notamment, intègre l'électricité au nombre des produis soumis à accise, ne requérait pas des Etats membres le respect de toutes les règles relatives aux accises ou à la valeur ajoutée en matière de détermination de la base imposable, de calcul, d'exigibilité et de contrôle de l'impôt, mais seulement que les impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques fussent conformes, sur ces points, à l'économie générale de l'une ou de l'autre de ces techniques d'imposition telles qu'elles sont organisées par la réglementation européenne ;

17. Considérant, d'une part, s'agissant du grief tiré de ce que la CSPE serait dépourvue de finalités spécifiques, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 5 de la loi du 10 février 2000 modifiée que cette contribution est une imposition poursuivant des finalités spécifiques, telles que, pour l'essentiel, l'obligation d'achat de l'électricité produite par les énergies renouvelables et la cogénération, la prise en compte du surcoût de la production électrique dans certaines zones non connectées au réseau et les aides sociales à l'achat d'électricité ; que ces finalités rejoignent d'ailleurs les objectifs de la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001, en ce qui concerne le développement de la production d'électricité d'origine " verte ", et de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003, en ce qui concerne la protection des droits des " petits consommateurs vulnérables " ainsi que la cohésion économique et sociale ;

18. Considérant, d'autre part, que, s'agissant de l'exigibilité et de l'identité du redevable de la CSPE, les seules circonstances, qui doivent être appréciées au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne rappelée notamment au point 16, que l'exigibilité de la contribution intervienne non pas lors de la mise à la consommation de l'électricité mais lors de sa facturation et que son redevable soit le client final et non le fournisseur d'électricité, ne sont pas de nature à faire regarder la CSPE comme contrevenant aux règles posées au 2 de l'article 1er de la directive du 16 décembre 2008 en matière de taxes supplémentaires frappant des produits soumis à accise ; qu'en premier lieu, en effet, il n'est pas établi, ni même allégué, que ces caractéristiques auraient pour effet d'entraver indûment les échanges au sein de l'Union ; qu'en deuxième lieu, s'agissant de la mise à la consommation, qui détermine l'exigibilité, il est constant qu'en matière d'électricité, le droit de l'Union la définit comme étant le moment de sa fourniture par le distributeur ou le redistributeur, qui est en pratique, chronologiquement très proche de la facturation ; qu'en troisième lieu, les règles précitées du 2 de l'article 1er de la directive du 16 décembre 2008 ne traitent nullement de l'identité du redevable des taxes supplémentaires sur les produits soumis à accises ; qu'en quatrième lieu, si la société Messer France soutient que le mécanisme de plafonnement de la CSPE par rapport à la valeur ajoutée, introduit par l'article 67 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 et entré en vigueur le 1er janvier 2006, " semble contradictoire avec l'économie générale du système de taxation des accises qui frappe la mise à la consommation ", il résulte de l'instruction qu'à supposer même que le plafonnement critiqué ne puisse pas être regardé comme une exonération au sens des dispositions du 2 de l'article 1er de la directive du 16 décembre 2008, qui excluent expressément les exonérations de leur champ d'application, l'impact financier de ce plafonnement est, en tout état de cause, très limité ; qu'enfin, si la requérante entend se prévaloir de la lettre du 27 mars 2014 par laquelle la Commission européenne a notifié à la France sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne concernant le plafonnement de la CSPE, il résulte des points 3.4 et suivants de ce courrier que la Commission européenne analyse ce mécanisme de plafonnement comme constituant, en soi, une aide d'Etat, de sorte que, eu égard à l'objet même de cette dernière, son éventuelle incompatibilité avec le droit de l'Union ne saurait, en toute hypothèse, fonder la demande de la requérante tendant à la restitution de la CSPE qu'elle a acquittée, qu'elle ait ou non elle-même bénéficié du plafonnement qu'elle conteste ;

19. Considérant, en outre et en tout état de cause, que la directive du Conseil du 16 décembre 2008, transposée en droit interne par l'article 36 de la loi de finances rectificative n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, avec effet à compter du 1er avril 2010, conformément à l'article 48 de cette directive, n'est pas applicable ratione temporis au présent litige, qui porte sur des cotisations de CSPE versées au cours des années 2005 à 2009 ;

20. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'incompatibilité de la CSPE avec la directive du 16 décembre 2008 doit être écarté, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur ce point ;

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le défaut de notification du dispositif de soutien à la production d'électricité d'origine " verte " à la Commission européenne prive de base légale son mode de financement et celui tiré du non-respect du principe constitutionnel de nécessité de l'impôt :

21. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne, désormais repris à l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union : " (...) 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure n'ait abouti à une décision finale " ;

22. Considérant, d'autre part, que, par une décision n° 324852 du 28 mai 2014, Association Vent de Colère ! Fédération nationale et autres, dont la société Messer France se prévaut, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté interministériel du 17 novembre 2008, revêtait le caractère d'une aide d'Etat ;

23. Considérant que la société Messer France, faisant valoir que le défaut de notification à la Commission européenne du dispositif d'aide d'Etat que constitue l'obligation d'achat de l'électricité d'origine " verte " à un prix supérieur à sa valeur de marché s'opposait à sa mise à exécution, en déduit que la contribution contestée ne pouvait être mise en recouvrement dès lors qu'indépendamment même de l'existence d'un lien d'affectation contraignant, au sens du droit de l'Union, entre cette aide d'Etat et ladite contribution, le droit interne a créé un lien de nécessité entre ces dernières ;

24. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Messer France, la seule circonstance que le dispositif d'aide à la production d'électricité d'origine " verte " n'ait pas été notifié préalablement à la perception de la CSPE au titre des années en litige n'implique par, par elle-même, que cette contribution puisse être regardée comme privée d'objet dès lors que, comme il a été dit aux points 9 et 10, il n'existe pas de lien d'affectation contraignant entre la CSPE et l'aide d'Etat en cause ;

25. Considérant, en outre, que l'aide au développement de la production d'électricité d'origine " verte " répond aux objectifs fixés par la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001, alors en vigueur, laquelle prévoyait des régimes d'aides nationaux, et que ces objectifs ont été depuis lors repris et renforcés par la directive 2009/28 du 23 avril 2009 ; que, par une décision contenue dans la lettre du 27 mars 2014 susmentionnée, la Commission européenne, saisie par le Gouvernement français du dispositif d'aide relatif à l'électricité d'origine éolienne terrestre, a déclaré ce dernier compatible avec le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, telle qu'elle ressort de son arrêt du 12 février 2008, Centre d'exportation du livre français (affaire C-199/06), que, dans une telle situation, les bénéficiaires de l'aide en cause ne sont pas tenus d'en rembourser le principal ; qu'au demeurant, la contribution litigieuse a aussi pour objet la compensation d'autres missions de service public, conformément à l'article 5 de la loi du 10 février 2000 modifiée, et son produit n'est pas versé aux producteurs d'électricité d'origine " verte ", bénéficiaires de l'aide d'Etat en cause, mais aux distributeurs, qui sont chargés de ces missions ; que, par suite, et contrairement à ce que soutient la société Messer France, la CSPE n'est pas dépourvue de cause ou d'objet, de sorte que sa perception ne peut être regardée comme contraire au principe constitutionnel de nécessité de l'impôt ;

26. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Messer France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Praxair, aux droits et obligations de laquelle elle vient ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour mette à la charge de l'Etat, qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, la somme que réclame la société Messer France au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de la société Messer France, venant aux droits et obligations de la société Praxair, est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Messer France et à la Commission de régulation de l'énergie. Copie en sera adressée à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 2 février 2016 à laquelle siégeaient :

M. Krulic, président de chambre,

M. Auvray, président-assesseur,

Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,

Lu en audience publique le 23 février 2016.

Le rapporteur,

B. AUVRAY

Le président,

J. KRULIC Le greffier,

C. RENE-MINE

La République mande et ordonne à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 12PA03983


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 12PA03983
Date de la décision : 23/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Droit de la concurrence - Règles applicables aux États (aides).

Contributions et taxes - Parafiscalité - redevances et taxes diverses.


Composition du Tribunal
Président : M. KRULIC
Rapporteur ?: M. Brice AUVRAY
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : DE PARDIEU BROCAS MAFFEI A.A.R.P.I.

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-02-23;12pa03983 ?
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