La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/12/2013 | FRANCE | N°12NC01705

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 09 décembre 2013, 12NC01705


Vu la requête, enregistrée le 19 octobre 2012, complétée le 22 mai 2013, présentée pour M. B...A..., élisant domicile..., par Me Boukara avocat ;

M. A...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201962 en date du 19 septembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 15 septembre 2012 par laquelle le préfet du Doubs a décidé son placement en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décisi

on ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 392 euros en application de l...

Vu la requête, enregistrée le 19 octobre 2012, complétée le 22 mai 2013, présentée pour M. B...A..., élisant domicile..., par Me Boukara avocat ;

M. A...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201962 en date du 19 septembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 15 septembre 2012 par laquelle le préfet du Doubs a décidé son placement en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 392 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Il soutient que :

- la décision de placement en rétention n'est pas suffisamment motivée ;

- l'administration n'a pas justifié que l'auteur de la décision attaquée bénéficiait d'une délégation de signature régulièrement publiée ;

- il n'a pas pu faire valoir ses observations préalablement à son placement en rétention, en violation des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;

- la décision attaquée est entachée d'erreur de fait dès lors qu'il ne peut être regardé comme n'ayant pas déféré à une mesure d'éloignement ;

- le préfet ne s'est pas livré à un examen de sa situation ;

- la décision attaquée est dépourvue de base légale dès lors qu'il a été arrêté alors qu'il était en train d'exécuter l'obligation de quitter le territoire ;

- le caractère non suspensif du placement en rétention est illégal tant au regard des dispositions de l'article 5§4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'au regard du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- en prévoyant une conception extensive du placement en rétention, l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaît les articles 15-1 et 8-4 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de ses garanties de représentation ;

- la procédure contradictoire prévue par l'article 41 §2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne n'a pas été respectée ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2012 présenté par le préfet du Doubs qui conclut à l'irrecevabilité de la requête ;

Il soutient que, M. A...ayant été libéré par une ordonnance du juge des libertés et de la détention de Metz en date du 20 septembre 2012, l'intéressé n'était plus en rétention administrative à la date d'introduction de sa requête d'appel et il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 janvier 2013, présenté pour M. A...qui conclut à la nécessité, pour la Cour, de statuer, l'ordonnance du juge des libertés n'étant pas produite et, en tout état de cause, la décision de placement en rétention ayant été exécutée et lui ayant fait grief ;

Vu la décision du président du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nancy (section administrative), en date du 6 décembre 2012, accordant à M. A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Vu la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 septembre 2013,:

- le rapport de Mme Rousselle, président,

- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., substituant Me Boukara, pour M.A... ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui dispose que : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : (...) 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) " et qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation (...) " ;

2. Considérant qu'en application des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Doubs, après avoir constaté que M.A..., de nationalité égyptienne, faisait l'objet d'une décision du préfet des Pyrénées Orientales en date du 25 juin 2012, devenue définitive, lui faisant obligation de quitter le territoire français a, par la décision attaquée en date du 15 septembre 2012, décidé le placement de l'intéressé dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la requête de M. A...tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet :

3. Considérant que, si le juge des libertés et de la détention a, par une ordonnance du 20 septembre 2012 ordonné la remise en liberté immédiate de M.A..., une telle circonstance n'a pu avoir pour effet de rendre sans objet les conclusions de l'intéressé dirigées contre l'arrêté prononçant son placement en rétention administrative, qui a produit des effets ; qu'il suit de là que M. A...justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour interjeter appel du jugement du tribunal administratif de Nancy du 19 septembre 2012 et la fin de non-recevoir opposée par le préfet doit être écartée ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

4. Considérant que la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne prévoit, dans son l'article 41 de paragraphe 2 : " a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre " ;

5. Considérant que lorsqu'il décide du placement en rétention administrative d'un ressortissant d'un Etat tiers sur le fondement du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit être regardé comme mettant en oeuvre le droit de l'Union européenne ;

6. Considérant par suite que, nonobstant l'ensemble des garanties dont bénéficie un ressortissant étranger dès lors qu'il a fait l'objet d'une mesure de placement en rétention administrative, il appartient au préfet, préalablement à la prise de cette décision, d'appliquer les principes généraux du droit européen, dont celui du droit à une bonne administration ; que, parmi les principes que sous-tend ce dernier, figure celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne précité ; que selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne, ce droit se définit comme le droit de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief ; que ce droit n'implique toutefois pas, pour l'administration, d'organiser systématiquement, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales ;

7. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions des articles L. 551-1 et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précités qu'un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français ne peut faire l'objet, dans les cas énoncés par l'article L. 551-1 d'une mesure de placement en rétention administrative que dans l'hypothèse où l'exécution de l'obligation de quitter le territoire ne demeure pas une perspective raisonnable et où l'étranger ne présente pas des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation ; d'autre part, que la mesure de placement en rétention, qui met en cause la liberté fondamentale d'aller et de venir, est immédiatement exécutoire et emporte de par sa seule édiction une modification de la situation de droit et de fait de l'étranger concerné ;

8. Considérant, en conséquence, que l'autorité administrative lorsqu'elle décide une mesure de placement en rétention administrative d'un ressortissant étranger, doit, directement ou par l'intermédiaire des services de police, en application du principe général du droit de l'Union européenne issu de l'article 41 § 2 précité, informer l'intéressé de la décision qu'elle envisage de prendre à son encontre afin qu'il soit en mesure de présenter spontanément ses observations écrites ou orales ;

9. Considérant qu'en l'espèce, si M. A...a été entendu par les services de police après sa remise aux autorités françaises par les gardes frontière suisses, le 15 septembre 2012 à 13h45, il ressort des termes du procès-verbal d'audition qu'il n'a pas été indiqué à l'intéressé qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure de placement en rétention administrative ; qu'il n'a pas été entendu entre 16h30, heure à laquelle, selon procès-verbal, les services de la préfecture ont informé téléphoniquement les services de police qu'une décision de placement en rétention administrative allait intervenir à l'encontre de M. A...et la notification de cette décision à ce dernier, intervenue à 17h30 ; qu'il suit de là que M. A... est fondé à soutenir que la procédure contradictoire prévue par l'article 41 § 2 a) de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne a été méconnue et que la décision de placement en rétention administrative prise à son encontre est, pour ce motif, illégale ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. A...et de condamner l'Etat à verser à Me Boukara, son conseil, la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 19 septembre 2012, ensemble la décision du préfet du Doubs en date du 15 septembre 2012, sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Me Boukara la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Strasbourg.

''

''

''

''

2

N° 12NC01705


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12NC01705
Date de la décision : 09/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Pascale ROUSSELLE
Rapporteur public ?: M. WIERNASZ
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2013-12-09;12nc01705 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award