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25/03/2013 | FRANCE | N°11PA05087

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 25 mars 2013, 11PA05087


Vu la requête, enregistrée le 8 décembre 2011, présentée pour la société Climespace, ayant son siège 185 rue de Bercy à Paris (75012), par MeB... ; la société Climespace demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000794, 1008896, 1008898, 1008899, 1008900 et 1008901 du 7 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris ne l'a que partiellement déchargée, à hauteur de 10 %, du paiement des montants réclamés par les cinq titres exécutoires n° 8636, 8637, 8638, 10260 et 10261 notifiés par Voies navigables de France le 23 novembre 2009 pour avoir paiem

ent de cotisations de taxe hydraulique au titre des années 2005 à 2009, et ...

Vu la requête, enregistrée le 8 décembre 2011, présentée pour la société Climespace, ayant son siège 185 rue de Bercy à Paris (75012), par MeB... ; la société Climespace demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000794, 1008896, 1008898, 1008899, 1008900 et 1008901 du 7 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris ne l'a que partiellement déchargée, à hauteur de 10 %, du paiement des montants réclamés par les cinq titres exécutoires n° 8636, 8637, 8638, 10260 et 10261 notifiés par Voies navigables de France le 23 novembre 2009 pour avoir paiement de cotisations de taxe hydraulique au titre des années 2005 à 2009, et a rejeté sa demande d'annulation de ces titres exécutoires ;

2°) d'annuler lesdits titres exécutoires ;

3°) de la décharger de l'obligation de payer les sommes ainsi réclamées ;

4°) de mettre à la charge de Voies navigables de France la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment en ses articles 174 et 87 et suivants ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment en ses articles 191 et 107 et suivants ;

Vu la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004, du Parlement européen et du Conseil sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958, ensemble la Charte de l'environnement ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code du domaine fluvial et de la navigation intérieure ;

Vu le code des transports ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, en son article 124, modifié notamment par l'article 106 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;

Vu la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 portant dispositions diverses en matière de transports, notamment en son article 2 ;

Vu le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ;

Vu le décret n° 99-607 du 9 juillet 1999 modifiant le décret n° 92-1369 du 29 décembre 1992 et relatif au recouvrement des créances mentionnées à l'article 80 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ;

Vu le décret n° 91-797 du 20 août 1991 relatif aux recettes instituées au profit de Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991, modifié notamment par le décret n° 2004-1425 du 23 décembre 2004 ;

Vu le décret n° 93-1243 du 12 novembre 1993 relatif au contrôle de l'acquittement de la taxe et des péages prévus par l'article 124 de la loi de finances pour 1991 et aux transactions sur la poursuite des infractions relatives à l'acquittement des péages ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 février 2013 :

- le rapport de M. Bergeret, rapporteur,

- les conclusions de Mme Vidal, rapporteur public,

- les observations de Me B...pour la société Climespace et celles de Me A...pour Voies navigables de France,

- et connaissance prise de la note en délibéré présentée le 22 février 2013 pour Voies navigables de France par MeA... ;

1. Considérant que par cinq titres exécutoires en date des 17 juin et 23 juillet 2009, Voies navigables de France a mis à la charge de la société Climespace le paiement de droits de taxe hydraulique pour un montant total de 4 831 490,40 euros, réclamé pour les années 2005 à 2009 sur la base des volumes d'eau prélevables dans la Seine par les trois ouvrages de production d'eau réfrigérée que la société requérante exploite dans le cadre d'une délégation de service public concédée par la ville de Paris le 28 janvier 1991 ; que la société Climespace relève appel du jugement du 7 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris ne l'a déchargée qu'à hauteur de 10 % du paiement ainsi réclamé par Voies navigables de France et a rejeté le surplus de sa demande ;

Au fond :

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, alors applicable, devenu l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions " ; qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne, alors applicable, devenu l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine (...) " ; qu'aux termes du paragraphe 3 de ce même article : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles visées par l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions contestées ont institué des aides d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

3. Considérant, d'autre part, qu'en application de la jurisprudence issue de l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes en date du 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH et Regierungpräsidium Magdeburg (C-280/00), une compensation destinée à la prestation de services d'intérêt économique général constitue une aide d'Etat, à moins qu'elle ne se limite strictement au montant nécessaire pour compenser les coûts d'un opérateur efficient liés à l'exécution d'obligations de service public, lesquelles peuvent être imposées lorsque les autorités publiques considèrent que le libre jeu du marché ne permet pas de garantir la prestation de tels services ou de les fournir à des conditions satisfaisantes ; que la légalité d'une telle compensation est soumise à la condition que l'entreprise bénéficiaire soit effectivement chargée de l'exécution d'obligations de service public clairement définies, que les paramètres sur la base desquels elle est calculée soient préalablement établis, de façon objective et transparente, afin d'éviter qu'elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes, et que la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable ; que lorsque le choix de l'entreprise chargée de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée des moyens nécessaires, aurait encourus pour exécuter ces obligations en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations ;

4. Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991 susvisée, dans sa rédaction en vigueur au cours des années litigieuses, le produit de la taxe hydraulique, au titre de laquelle ont été établis les titres de recettes litigieux, est perçu par Voies navigables de France " pour assurer l'ensemble de ses missions ", qui aux termes de ce même texte consistent en " l'exploitation, l'entretien, l'amélioration, l'extension des voies navigables et de leurs dépendances et en la gestion du domaine de l'Etat nécessaire à l'accomplissement de ses missions " ; qu'en vertu des articles 177 et suivants du code du domaine fluvial et de la navigation intérieure, Voies navigables de France est également chargé, notamment, de diverses missions d'études relatives à l'exploitation des voies navigables, à la création, l'amélioration ou l'exploitation des ports fluviaux, d'assurer l'exploitation des ports fluviaux, de proposer la création, l'amélioration ou l'exploitation des installations de traction ou de touage et d'en assurer, le cas échéant, l'exploitation, d'étudier les problèmes d'entretien, de construction et de réparation du matériel fluvial, d'être l'organe exécutif du ministre de l'équipement et du logement pour toutes les questions concernant l'exploitation commerciale des voies navigables, d'organiser et gérer les bureaux d'affrètement, de mettre en oeuvre la législation relative au régime d'assurance d'Etat pour les corps de bateaux de navigation intérieure ; qu'il a autorité pour organiser, prescrire et contrôler les mouvements de bateaux nécessités par les programmes de transports dont l'exécution lui est confiée, doit centraliser tous les renseignements et les statistiques intéressant l'exploitation technique et commerciale des voies navigables et en assurer, s'il y a lieu, la publication ; qu'il peut organiser, en se conformant à la législation en vigueur, toutes installations propres à favoriser le développement de la navigation intérieure, solliciter toutes concessions, assurer toute exploitation, soit directement, soit par société filiale, soit par voie d'affermage, exploiter le matériel acquis par lui ou qui lui a été remis en gérance ; que la société SA Climespace soutient que l'avantage dont bénéficie Voies navigables de France du fait de la perception de la taxe hydraulique constitue une aide d'Etat qui aurait dû être notifiée préalablement à la Commission européenne, dès lors qu'il en résulte pour cet établissement public un avantage excédant la contrepartie des obligations de service public résultant des missions qui lui ont été confiées, et qui, telles que résumées ci-dessus, s'analysent en des services d'intérêt économique général, et qu'au demeurant les modalités régissant la détermination du niveau de cette compensation ne peuvent être regardées comme ayant répondu aux exigences, rappelées ci-dessus, résultant de l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg ;

5. Considérant que Voies navigables de France, qualifié d'établissement public industriel et commercial par la loi sur la période concernée par le présent litige, poursuit des activités dans le secteur concurrentiel, notamment du fait des opérations de promotion immobilière qu'il initie et contrôle, par l'intermédiaire de sociétés dont il a suscité la création, sur des parcelles déclassées du domaine public dont l'Etat lui a confié la gestion et constitue ainsi une entreprise au sens du droit communautaire ; qu'il résulte de l'instruction que l'institution de la taxe hydraulique, au profit exclusif de Voies navigables de France, n'a pas été précédée de l'établissement, objectif et transparent, des paramètres sur la base desquels elle est calculée, pour s'assurer qu'elle se borne à couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution de ses obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable, à partir d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée des moyens nécessaires, aurait encourus pour exécuter ces obligations de service public, lesquelles, au demeurant, ont été insuffisamment précisées par les dispositions de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 et les articles 177 et suivants du code du domaine fluvial et de la navigation intérieure ; que Voies navigables de France, faute de comptabilité analytique appropriée, n'est pas à même de démontrer que les recettes procurées par la taxe hydraulique, qui représentent au vu des pièces produites au dossier près des trois-quarts de ses recettes de fonctionnement, n'excèdent pas les charges résultant des seules obligations de service public qui lui sont imposées ; qu'ainsi la taxe hydraulique perçue au profit de Voies navigables de France est une aide d'Etat au sens de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'il est constant que la Commission européenne n'a pas été informée du projet tendant à instituer cette aide, en méconnaissance des stipulations précitées du paragraphe 3 de l'article 107 du traité ; que, par suite, la société Climespace est fondée à soutenir que les titres de recettes contestés ont été émis en application de dispositions législatives méconnaissant les stipulations conventionnelles précitées régissant les aides d'Etat et sont ainsi dépourvus de base légale ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, ni de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris n'a accueilli que partiellement ses demandes ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par Voies navigables de France doivent dès lors être rejetées ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de cet établissement public une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Climespace et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1000794, 1008896, 1008898, 1008899, 1008900 et 1008901 du Tribunal administratif de Paris en date du 7 octobre 2011 est annulé.

Article 2 : Les titres exécutoires n° 8636, n° 8637, n° 8638, n° 10260 et n° 10261 émis par Voies navigables de France les 17 juin et 23 juillet 2009 à l'encontre de la société Climespace sont annulés.

Article 3 : La société Climespace est déchargée de l'obligation de payer les sommes réclamées par les titres exécutoires visés à l'article 2 du présent arrêt.

Article 4 : Voies navigables de France versera une somme de 3 000 euros à la société Climespace en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de Voies navigables de France tendant à l'application à son bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 11PA05087


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 11PA05087
Date de la décision : 25/03/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

14-05-04 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Défense de la concurrence. Aides d'Etat.


Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: M. Yves BERGERET
Rapporteur public ?: Mme VIDAL
Avocat(s) : GABORIT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2013-03-25;11pa05087 ?
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