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04/10/2012 | FRANCE | N°11NC00952

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 04 octobre 2012, 11NC00952


Vu la requête, enregistrée le 10 juin 2011, complétée par mémoire enregistré le 17 février 2012, présentée pour M. Didier , demeurant à la maison centrale d'Ensisheim, 49 rue de la Première Armée à Ensisheim (68190), par Me Rosenstiehl, avocat ;

M. demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0904947 en date du 14 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 septembre 2009 du directeur de la maison centrale d'Ensisheim refusant de lui restituer un matériel informatique, à sa

voir une " souris sans fil " ;

2°) d'annuler ladite décision ;

3°) d'enjoind...

Vu la requête, enregistrée le 10 juin 2011, complétée par mémoire enregistré le 17 février 2012, présentée pour M. Didier , demeurant à la maison centrale d'Ensisheim, 49 rue de la Première Armée à Ensisheim (68190), par Me Rosenstiehl, avocat ;

M. demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0904947 en date du 14 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 septembre 2009 du directeur de la maison centrale d'Ensisheim refusant de lui restituer un matériel informatique, à savoir une " souris sans fil " ;

2°) d'annuler ladite décision ;

3°) d'enjoindre l'administration pénitentiaire de lui restituer le matériel informatique saisi ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier ; la procédure contentieuse n'a pas respecté le principe du contradictoire ; les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; certes, il a été convoqué pour assister à l'audience du 31 mars 2011 mais le préfet du Haut-Rhin, par courrier en date du 24 mars 2011, s'est opposé à son extraction en application des dispositions de l'article D. 316 du code de procédure pénale, en raison de risques d'atteinte à l'ordre public attachés à ce transfert ; il n'a donc pas été représenté à l'audience, étant ainsi dans l'incapacité de présenter des observations orales, qu'il aurait ensuite confirmées par écrit à travers une note en délibéré ; il ne pouvait s'en remettre à un conseil ; cette possibilité ne lui a pas été offerte ;

- le jugement est entaché d'une erreur matérielle ; les premiers juges ont statué sur une décision inexistante ; il ne demandait pas l'annulation de la décision du directeur de la maison d'arrêt centrale d'Ensisheim, mais celle du directeur interrégional des services pénitentiaires de Est-Strasbourg en date du 23 septembre 2009 ;

- la décision de saisir la " souris " de son ordinateur a un caractère rétroactif ; ce matériel a été acquis en 2001, soit antérieurement à la circulaire du 10 août 2006 interdisant la détention de ce type d'outil informatique ; d'ailleurs, lors d'une fouille survenue en 2007, la " souris " n'avait pas été saisie ; l'administration a donc fait une application rétroactivement illégale de la circulaire susmentionnée ; au surplus, la décision querellée ne pouvait faire application de la circulaire du 13 octobre 2009 alors non édictée à la date de la saisie qui est intervenue le 9 juillet 2009 ; au surplus, ni la circulaire du 9 avril 2009, ni celle du 10 août 2006 n'ont été publiées sur le site http://circulaires.legifrance.gouv.fr alors que les dispositions du décret n° 2008-1281 l'imposent ;

- la décision attaquée ne pouvait éventuellement être fondée que sur les dispositions de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale, mais la " souris sans fil " n'avait aucun caractère attentatoire à l'ordre et à la sécurité ; seul un spécialiste de l'informatique pouvait détourner de sa destination première un dispositif tel qu'une " souris sans fil " ; la dangerosité de ce matériel n'est pas prouvée dès lors que les détenus pouvaient communiquer directement ; au surplus, il a toujours montré un comportement exemplaire au cours de sa détention ;

- d'autres codétenus possédaient des matériels interdits, notamment des " souris sans fil " ; une discrimination a donc été commise à son égard ; le ministre intimé ne peut prouver le contraire ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 28 décembre 2011, le mémoire en défense présenté par le Garde des Sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- la procédure n'a pas été irrégulière dès lors que la procédure devant le Tribunal administratif est écrite ; de plus, l'appelant n'a pas choisi de se faire représenter devant les premiers juges ; il n'y a donc eu aucune atteinte au principe du contradictoire ; le préfet pouvait refuser son extraction en application des dispositions de l'article D. 316 du code de procédure pénale ;

- les juges de première instance ont commis une erreur de plume en considérant que M. a demandé l'annulation de la décision du directeur de la maison d'arrêt centrale d'Ensisheim et non celle du directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg ; il ne s'agit que d'une erreur matérielle ;

- l'administration pénitentiaire s'appuie sur les termes de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale ; au moment de la saisie, s'appliquait la circulaire du 9 avril 2009 qui interdit l'utilisation de certains matériels informatiques et dont les termes sont identiques à celle datée du 10 août 2006 ; le règlement est d'application immédiate ; l'administration pénitentiaire pouvait appliquer la circulaire du 9 avril 2009 relative à l'accès des détenus à l'informatique actualisant la précédente datée du 10 août 2006 ; elle permettait la confiscation de la " souris " (périphériques de technologie sans fil) ; en effet, toute technologie sans fil et infrarouge est interdite en détention puisqu'elle permet l'envoi de données vers l'extérieur ;

- l'administration pénitentiaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en confisquant la " souris sans fil " de M. ; elle s'est bornée, pour des raisons de sécurité, à appliquer la circulaire du 9 avril 2009 ; ledit matériel confisqué sera restitué à M. lors de sa libération ;

- toutes les personnes incarcérées détentrices de matériels interdits ont fait l'objet d'une saisie de ces derniers ; l'appelant ne démontre pas que des détenus n'auraient pas subi un traitement identique et auraient pu conserver des matériels interdits ;

- les moyens soulevés en 1ère instance sont repris à hauteur d'appel ; les conclusions d'injonction formées par M. devant le Tribunal administratif étaient notamment irrecevables ;

Vu la décision du président du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Nancy (section administrative d'appel) en date du 30 juin 2011 qui accorde l'aide juridictionnelle totale à M. et désigne Me Rosenstiehl pour le représenter ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, modifiée ;

Vu le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2012 :

- le rapport de M. Tréand, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Ghisu-Deparis, rapporteur public ;

Sur la légalité de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg du 23 septembre 2009 et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

1. Considérant qu'aux termes de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale : " Les détenus peuvent acquérir par l'intermédiaire de l'administration et selon les modalités qu'elle détermine des équipements informatiques. Une instruction générale détermine les caractéristiques auxquelles doivent répondre ces équipements, ainsi que les conditions de leur utilisation (...) " ; que l'article 1 du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires prévoit que : " les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés. Cette publicité se fait sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes " ;

2. Considérant que pour justifier son refus de restituer son périphérique informatique à M. , le directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg s'est uniquement fondé sur la circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire du 9 avril 2009 relative à l'accès des détenus à l'informatique qui interdisait, en sa page 15, l'usage en cellule de tout périphérique de technologie sans fil ; que, comme en convient implicitement l'intimé, cette circulaire émanant du ministère de la justice n'avait pas, à la date où elle a été appliquée, été publiée sur le site officiel de l'administration française http://circulaires.legifrance.gouv.fr et n'était donc pas juridiquement opposable ; que, par suite, la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg en date du 23 septembre 2009 n'était pas légalement fondée et encourait l'annulation ;

3. Considérant que le juge d'appel, auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui, ne peut faire droit à ces conclusions qu'après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel ;

4. Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre intimé, M. a sollicité, dans sa requête introductive d'instance enregistrée le 22 octobre 2009 au greffe du Tribunal administratif de Strasbourg l'annulation de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg en date du 23 septembre 2009 ; que ses conclusions d'annulation, certes assorties de conclusions à fins d'injonction tendant à ce que lui soit restitué le matériel informatique qui lui avait été confisqué, étaient donc recevables ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 23 septembre 2009 refusant de lui restituer un matériel informatique, à savoir une souris sans fil ;

Sur les conclusions à fins d'injonction :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; que le paragraphe 3.3 " technologies autorisées/interdites " de la circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire du 13 octobre 2009 relative à l'accès à l'informatique pour les personnes placées sous main de justice, régulièrement publiée au jour du présent arrêt, interdit la détention en cellule de tout périphérique de technologie " sans fil " ; que, par suite, l'appelant n'est pas fondé à demander à la Cour d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de lui restituer le matériel informatique saisi ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation " ; qu'aux termes de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : " Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre. / En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide (...). S'il recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat (...) " ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Me Rosenstiehl, avocat désigné par décision susvisée du bureau d'aide juridictionnelle pour représenter M. , une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Rosenststiehl renonce à percevoir la part contributive de l'Etat ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 14 avril 2011 est annulé.

Article 2 : La décision du directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg en date du 23 septembre 2009 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Rosenstiehl la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Didier et au Garde des Sceaux, ministre de la justice.

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