LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu les articles L. 1152- 1et L. 1154-1, ensemble l'article L. 6222-18 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée, le 3 septembre 2007, par la SNC Pharmacie du Vieil Annecy dans le cadre d'un contrat d'apprentissage devant se terminer le 20 juin 2009 ; que le 10 février 2009, elle a saisi la juridiction prud'homale aux fins de résiliation judiciaire de son contrat d'apprentissage et de paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
Attendu que pour débouter l'apprentie de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral mais condamner son employeur à lui payer une indemnité au motif qu'il n'avait pas exécuté de bonne foi le contrat d'apprentissage, la cour d'appel, après avoir écarté comme non pertinents un certain nombre de faits avancés par l'apprentie en déduit " qu'aucun des faits de harcèlement dénoncés par Mme X... n'est établi " ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle retenait par ailleurs que l'employeur avait exécuté de façon déloyale le contrat de travail en faisant, à plusieurs reprises, pression sur son apprentie, dont il connaissait l'état de santé, pour lui faire accepter une résiliation amiable du contrat d'apprentissage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme X... de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 14 octobre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société Pharmacie du vieil Annecy aux dépens ;
Vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la condamne à payer à la SCP Delaporte, Briard et Trichet la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour Mme X...
Il est reproché à l'arrêt d'avoir refusé d'allouer à Mlle X... des dommages intérêts pour harcèlement moral,
Aux motifs que sur le harcèlement moral selon l'article L. 1152-1 du code du travail, sont constitutifs de harcèlement moral, des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité d'un salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que conformément à l'article L. 1154-1 de ce code, dès lors qu'un salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et de les justifier par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'il convient donc dans un premier temps de vérifier la matérialité de chacun des faits dénoncés par Mlle X... ; qu'elle indique avoir subi des propos à caractère sexiste, des reproches incessants et infondés sur son travail et des paroles blessantes et démotivantes ; qu'aucun des éléments qu'elle produit aux débats n'étaye ses affirmations qui restent générales ; que les attestations de Mesdemoiselles Y... et A..., salariées de la SNC Pharmacie du Vieil Annecy à une époque antérieure à son embauche, ne sont en effet pas relatives aux relations entre les parties à l'instance ; qu'elles sont d'autant moins inopérantes que leur portée est combattue par les huit attestations que la SNC Pharmacie du Vieil Annecy communique, et qui pour partie émanent également d'anciens salariés ; que c'est par ailleurs en vain que Mlle X... tente de donner du crédit à ses affirmations en expliquant que c'est à compter de sa découverte d'une-fraude à la sécurité sociale mise en oeuvre par son employeur que l'attitude de celui-ci serait devenue harcelante ; qu'en effet, l'existence de cette fraude, contestée et contredite par l'attestation du directeur de I'OCP, ne peut pas être déduite de la seule pièce 22 du dossier de Mlle X... constituée d'une prescription médicale au nom de Mme Nathalie Z... et d'un bon de livraison de médicaments pouvant correspondre à cette prescription ; qu'enfin, il ressort des témoignages produits aux débats par l'appelante, notamment ceux de Mme C... et de Mlle B..., apprentie de l'officine en même temps que Mlle X... et travaillant désormais pour le compte d'un tiers, que si des reproches professionnels lui étaient adressés-et même consignés dans les fiches de liaison entre la pharmacie et le CFA (cf pièces 8 à 10 du dossier de Mlle X...)-, ils n'étaient ni gratuits ni vexatoires ; qu'ainsi la réalité d'aucun des faits de harcèlement dénoncés par Mlle X... n'est établie ; qu'en conséquence, la Cour infirmera le jugement déféré en ce qu'il lui a alloué des dommages intérêts à ce titre ; que sur l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail selon l'article L. 1222-1 du code du travail, déclinant les dispositions de l'article 1134 du code civil, le contrat de travail est exécuté de bonne foi ; qu'en l'espèce, pour apprécier si le comportement de la SNC Pharmacie du Vieil Annecy a été conforme à cette prescription, il convient de se référer aux textes spécifiques régissant le contrat d'apprentissage, notamment l'article L. 6222-18 du code du travail, relatif aux modalités de rupture de ce contrat, qui passés les deux premiers mois de son exécution, ne peut être rompu que des deux manières suivantes : un accord écrit signé des deux parties, une décision judiciaire prononçant à la demande de l'une ou de l'autre des parties, la résiliation du contrat soit pour faute grave ou manquements répétés de l'une des parties à ses obligations, soit en raison de l'inaptitude de l'apprenti à exercer le métier auquel il se préparait ; que le 7 juin 2008, la SNC Pharmacie du Vieil Annecy adressait à Melle X... un premier courrier ayant pour objet la rupture de son contrat d'apprentissage, ainsi rédigé : « Monsieur Z...... a décidé de vous proposer un licenciement suite à votre incapacité à assurer le travail demandé : non-respect des consignes sur les produits du froid : mauvaise gestion des manquants. Nous vous proposons de rompre votre contrat d'apprentissage, et se terminant par la mention suivante : Bon pour accord entre le salarié et le titulaire de la SNC Pharmacie du Vieil Annecy ; que le 12 août 2008, la SNC Pharmacie du Vieil Annecy expédiait une lettre recommandée avec accusé de réception à Melle X..., dont l'objet était le suivant : proposition de départ, libellée en ces termes : « Après un mois de repos concédé par la direction, vous me présentez une troisième fois un arrêt de travail, le travail à la pharmacie du vieil Annecy ne semble pas être adéquat pour vous.... nous vous attendons afin de signer la rupture de votre contrat d'apprentissage.... Veuillez vous mettre en contact avec Monsieur Z... Thierry rapidement » ; que nonobstant la réponse de Mlle X... manifestant clairement par écrit sa volonté de poursuivre son contrat dans des conditions à redéfinir, la SNC Pharmacie du Vieil Annecy lui a adressée une seconde lettre recommandée ayant le même objet que la précédente, débutant ainsi : « J'ai bien reçu votre courrier recommandé, j'attends toujours que vous vous présentiez dans ma pharmacie et suis ouvert pour résoudre votre problème de départ et se terminant de la sorte avant la formule de politesse : Je vous prie donc de chercher rapidement une autre pharmacie pour continuer votre carrière professionnelle » ; qu'il était joint à ce courrier :- une note de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Haute-Savoie, intitulée PROCEDURE A SUIVRE EN CAS DE RESILIATION A L'AMIABLE DU CONTRAT D'APPRENTISSAGE,- un modèle de lettre dont la SNC Pharmacie du Vieil Annecy attendait qu'elle soit recopiée et lui soit adressée par Mlle X..., ainsi qu'en attestent la mention manuscrite figurant au bas de ce document et son objet ainsi libellé : « lettre à me fournir » ; qu'enfin, alors que les parties étaient déjà convoquées pour l'audience de conciliation du 12 mars 2009 devant le Conseil de Prud'hommes d'ANNECY, dont la saisine par Mlle X... confirmait son refus réitéré d'une résiliation amiable de son contrat, contrat qui était toujours en cours d'exécution, la SNC Pharmacie du Vieil Annecy lui a fait parvenir la note manuscrite suivante : « Merci de passer à la pharmacie avant le 12 mars pour que vous ayez vos ASSEDIC, j'ai la solution sans vos avocats » ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que la SNC Pharmacie du Vieil Annecy a lourdement insisté auprès de Mlle X..., dont elle n'ignorait pas l'état de santé qui la fragilisait, afin qu'elle finisse par consentir à une résiliation amiable de son contrat ; que même si, voire surtout si, les raisons pour lesquelles la SNC Pharmacie du Vieil Annecy souhaitait rompre le contrat de son apprentie étaient légitimes, son attitude a été indubitablement déloyale :- tant sur le fond : à compter de l'été 2008, elle n'a été animée que par sa volonté de rompre le contrat et ne s'est plus souciée des conditions dans lesquelles il pouvait être exécuté jusqu'à sa rupture voire jusqu'à son terme,- que sur la forme : elle n'a pas pris l'initiative de saisir la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de ce contrat et a essayé de court-circuiter la décision judiciaire même après la saisine du Conseil de Prud'hommes d'ANNECY par Mlle X... ; que la SNC Pharmacie du Vieil Annecy a donc été de mauvaise foi dans l'exécution du contrat de Mlle X..., ce qui lui a nécessairement causé un préjudice, la suite de sa formation ayant été rendue plus compliquée, mais n'ayant toutefois pas été définitivement compromise ; que la réparation de ce préjudice sera intégralement assurée par 2. 000 € de dommages-intérêts.
Alors que selon l'article L. 1152-2 du code du travail il appartient aux juges de prendre en considération l'ensemble des éléments invoqués par le salarié qui sont de nature à faire présumer un harcèlement moral ; que dès lors en s'abstenant d'examiner les documents médicaux établissant une lien indiscutable entre l'état de santé de la salariée et le comportement de l'employeur, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard du texte susvisé ;
Et alors que les juges doivent prendre en considération l'ensemble des éléments invoqués par le salarié qui sont de nature à faire présumer un harcèlement moral ; que la cour d'appel a constaté que d'anciennes salariées confirmaient les propos humiliants de M. Z... à l'égard des apprenties, ses moqueries, ses tentatives de découragement, les méthodes employées pour rompre leur contrat sans les en informer préalablement « Audrey n° 2 est virée et ne doit pas bosser » ; que dès lors en s'abstenant de rechercher si ces agissements de l'employeur, rapprochés des pressions exercées dans des conditions inacceptables par le pharmacien sur Mlle X... fragilisée par la dégradation de son état de santé afin d'obtenir son départ et condamnées par des dommages intérêts, ne caractérisaient pas dans leur ensemble du harcèlement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1152-2 du code du travail ;
Et alors, enfin, en tout état de cause, que constituent des faits de harcèlement les agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à la santé morale ou physique du salarié, à ses droits et à sa dignité ou de compromettre son avenir professionnel ; que dès lors en constatant qu'à partir de juin 2008 le pharmacien avait fait pression sur la salariée pour qu'elle quitte l'entreprise dans des conditions inacceptables et déloyales et, ce, malgré son état de santé fragilisé (arrêt p. 4, 7ème al), agissements justifiant sa condamnation à des dommages intérêts et en écartant néanmoins l'existence de faits laissant présumer le harcèlement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et ainsi violé l'article L. 1152-2 du code du travail ;