LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les trois moyens du pourvoi principal de M. X..., tels que reproduits en annexe :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 21 février 2011), que le 30 décembre 2009, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Strasbourg alors en exercice a engagé une procédure disciplinaire à l'encontre de M. X... ; que par une décision du 12 janvier 2010, le conseil de l'ordre a désigné comme rapporteur M. Y..., bâtonnier nouvellement élu ; que l'avocat poursuivi a, alors, contesté l'impartialité du rapporteur désigné, ainsi que la composition de la formation ayant procédé à cette désignation, présidée par l'ancien bâtonnier, sans délégation valable selon lui ; que par une décision du 19 avril 2010, le conseil de l'ordre a déclaré irrecevable la première réclamation au motif que la désignation du rapporteur ne peut être attaquée que par la voie de la récusation ou d'un appel formé contre la décision du conseil de discipline ; que la seconde contestation a été rejetée par décision implicite à défaut de réponse dans le délai d'un mois ; que M. X... a formé contre ces décisions un recours qui a été rejeté par la cour d'appel ;
Attendu, d'abord, que si l'exigence d'un procès équitable et la présomption d'innocence impliquent que la personne poursuivie disciplinairement ou son conseil ait droit à la parole en dernier, ce principe, qui doit être observé lorsqu'il est statué sur la culpabilité et sur la peine, n'est pas applicable au jugement des contestations relatives à la désignation du rapporteur ; qu'ensuite, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé que des témoignages indirects relayant de simples rumeurs ne constituaient pas une preuve suffisante pour établir la partialité du rapporteur ; qu'enfin, est inopérant le moyen de cassation pris du défaut de réponse aux conclusions invoquant la nullité de la décision du conseil de l'ordre ayant délibéré dans une composition prétendument irrégulière, dès lors que saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif du recours en annulation de cette délibération, la cour d'appel était tenue de statuer sur le fond de la contestation, quelle qu'eût été sa décision sur l'exception de nullité ; qu'aucun des moyens ne saurait être accueilli ;
Et attendu que, par suite du rejet du pourvoi principal, le pourvoi éventuel est devenu sans objet ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal ;
DIT le pourvoi éventuel privé d'objet ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Strasbourg ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la décision implicite du Conseil de l'Ordre du barreau de Strasbourg ayant rejeté la réclamation formée par Maître Renaud X... dans le cadre de la procédure disciplinaire instruite contre lui, « après avoir entendu Madame Diepenbroek, conseiller en son rapport, Maître Bernard Alexandre et Maître Ruetsch en leurs conclusions et plaidoiries et Monsieur Schmelk, avocat général, en ses observations, et après en avoir délibéré conformément à la loi » ;
ALORS QUE l'exigence d'un procès équitable et les principes généraux du droit impliquent qu'en matière disciplinaire dans toutes les instances relatives à la cause y compris dans le cadre d'une demande d'annulation de la désignation du rapporteur, la personne poursuivie ou son avocat soit entendue à l'audience et puisse avoir la parole en dernier ; qu'en rejetant la réclamation formée par Maître X... sans constater que ce dernier ou son conseil qui assistait à l'audience avait été invité à prendre la parole en dernier, la Cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et les droits de la défense.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
En ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision implicite du Conseil de l'Ordre du barreau de Strasbourg ayant rejeté la réclamation formée par Maître Renaud X... le 22 mars 2010 ;
AUX MOTIFS QUE s'agissant en premier lieu de la décision implicite de rejet de la réclamation, il échet de statuer au fond, sans qu'il soit nécessaire d'examiner au préalable les moyens d'irrecevabilité soulevés, lesquels se rapportent à la décision du 19 avril 2010 ; que pour établir le manque d'impartialité objective qu'il impute à Monsieur le bâtonnier Y..., Maître X... produit deux attestations de témoins, la première émanant de Maître Olivier Z... avocat au barreau de Strasbourg qui atteste « avoir eu ouï dire des déclarations de Monsieur le bâtonnier Denis Y... aux termes desquelles il aurait déclaré qu'en cas d'élection de Maître Renaud X... il quitterait le Conseil de l'Ordre », la seconde de Maître Yannick A..., également avocat au barreau de Strasbourg, qui déclara que lors des derniers élections en vue de la désignation du bâtonnier « il ressortait des bruits de couloir que la position de Monsieur le bâtonnier Y... n'était nullement en faveur de l'élection de Maître Renaud X... » ; qu'aucun des deux témoins n'ayant entendu les propos imputés à Monsieur le bâtonnier Y..., ces deux témoignages indirects, qui ne sont que l'écho de rumeurs circulant au sein du barreau, ne peuvent constituer une preuve suffisante du grief d'impartialité fait à Monsieur le bâtonnier Y... ; que la décision implicite de rejet doit donc être confirmée ; que par voie de conséquence, le recours formé contre la décision du 19 avril 2010, notifiée le 11 mai 2010, concernant la recevabilité de la réclamation devient sans objet ;
ALORS, D'UNE PART, QU'en matière de discipline d'avocat, l'exigence d'impartialité s'impose aux rapporteurs qui ont pour mission de procéder à une instruction objective et contradictoire de l'affaire et dont le rapport, obligatoire, est déterminant du sort ultérieurement réservé aux poursuites par la formation de jugement ; que cette exigence d'impartialité doit s'apprécier objectivement ; qu'elle implique que le justiciable ne puisse nourrir de doute objectivement justifié sur l'impartialité du rapporteur dans une affaire disciplinaire le concernant ; qu'en l'état des attestations de deux avocats au barreau de Strasbourg, dont l'arrêt s'est fait l'écho, faisant état « d'ouï dire » et de « bruit de couloir » sur l'hostilité ou à tout le moins les déclarations de Maître Y..., désigné comme rapporteur, à l'encontre de la candidature de Maître X... au bâtonnat, la Cour d'appel aurait dû rechercher si ces « rumeurs » n'étaient pas précisément de nature à faire naître un doute objectivement justifié dans l'esprit de Maître X... sur l'impartialité à son égard de Maître Y... ; qu'en statuant donc comme elle l'a fait, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en se bornant à indiquer que les témoignages indirects ne sont l'écho que de « rumeurs » circulant au sein du barreau et ne peuvent constituer une preuve suffisante du grief d'impartialité fait à Maître Y..., et en procédant à une approche « subjective » du grief d'impartialité fait à Maître Y..., sans déduire les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations sur l'existence de rumeurs circulant au sein du barreau, susceptibles de constituer une cause permettant objectivement de douter de l'impartialité du rapporteur, la Cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
En ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision implicite du Conseil de l'Ordre du barreau de Strasbourg ayant rejeté la réclamation formée par Maître Renaud X... le 22 mars 2010 et constaté par voie de conséquence que l'appel formé contre la décision du Conseil de l'Ordre du barreau de Strasbourg du 19 avril 2010 est devenu sans objet ;
AUX MOTIFS QUE s'agissant en premier lieu de la décision implicite de rejet de la réclamation, il échet de statuer au fond, sans qu'il soit nécessaire d'examiner au préalable les moyens d'irrecevabilité soulevés, lesquels se rapportent à la décision du 19 avril 2010 ; que pour établir le manque d'impartialité objective qu'il impute à Monsieur le bâtonnier Y..., Maître X... produit deux attestations de témoins, la première émanant de Maître Olivier Z... avocat au barreau de Strasbourg qui atteste « avoir eu ouï dire des déclarations de Monsieur le bâtonnier Denis Y... aux termes desquelles il aurait déclaré qu'en cas d'élection de Maître Renaud X... il quitterait le Conseil de l'Ordre », la seconde de Maître Yannick A..., également avocat au barreau de Strasbourg, qui déclara que lors des derniers élections en vue de la désignation du bâtonnier « il ressortait des bruits de couloir que la position de Monsieur le bâtonnier Y... n'était nullement en faveur de l'élection de Maître Renaud X... » ; qu'aucun des deux témoins n'ayant entendu les propos imputés à Monsieur le bâtonnier Y..., ces deux témoignages indirects, qui ne sont que l'écho de rumeurs circulant au sein du barreau, ne peuvent constituer une preuve suffisante du grief d'impartialité fait à Monsieur le bâtonnier Y... ; que la décision implicite de rejet doit donc être confirmée ; que par voie de conséquence, le recours formé contre la décision du 19 avril 2010, notifiée le 11 mai 2010, concernant la recevabilité de la réclamation devient sans objet ;
ALORS QUE dans ses conclusions devant la Cour d'appel Maître X... faisait encore valoir que la désignation du rapporteur par le Conseil de l'Ordre le 12 janvier 2010 lui a été notifiée le 25 janvier suivant par Maître Christine Ruetsch « ancien bâtonnier » et en déduisait que le Conseil de l'Ordre a été présidé par Maître Ruetsch qui n'était plus le 12 janvier 2010 bâtonnier en exercice, sans qu'il soit justifié d'une délégation à son bénéfice ; que Maître X... demandait donc l'annulation de la désignation du bâtonnier Y... en qualité de rapporteur, pour avoir été prise par une entité irrégulièrement composée et notifiée par une autorité incompétente ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions de Maître X..., la Cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du Code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident éventuel par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Strasbourg.
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET ATTAQUE D'AVOIR déclaré les appels formés par Me Renaud X... recevables ;
AUX MOTIFS QUE « Les appels formés dans les conditions de forme et de délai prévus par la loi sont recevables. Il est constant que la décision prise le 19 avril par le conseil de l'Ordre a été notifiée à Me X... par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 mai 2010 reçue le 11 mai 2010, soit postérieurement à l'expiration du délai d'un mois prévu par l'article 15 du décret du 27 novembre 1991, ce délai expirant le 24 avril 2010 ; dès lors que sa réclamation était expressément fondée sur les dispositions de l'article 15 précité, le requérant peut donc se prévaloir d'une décision implicite de rejet, conformément aux dispositions du troisième alinéa de ce texte, laquelle décision est susceptible de recours devant la cour d'appel, sans pour autant entraîner la nullité de la décision du 19 avril 2010, laquelle a été prise alors que le conseil de l'Ordre était saisi de la réclamation. Cette décision étant également susceptible de recours devant la cour d'appel, la cour est donc saisie de deux recours et il conviendra d'examiner successivement chacune des décisions entreprises dans l'ordre dans lequel chacune d'elles a été portée à la connaissance du requérant. S'agissant en premier lieu de la décision implicite de rejet de la réclamation, il échet de statuer au fond, sans qu'il soit nécessaire d'examiner au préalable les moyens d'irrecevabilité soulevés lesquels se rapportent à la décision du 19 avril 2010. » (arrêt p. 4) ;
ALORS QUE tout jugement doit être motivé et que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en ne répondant pas au cas présent au moyen opérant soulevé par l'exposant aux termes de ses observations régulièrement déposées devant la cour d'appel (p. 3), selon lequel la délibération du Conseil de l'ordre d'un Barreau désignant un rapporteur pour instruire un dossier disciplinaire n'est, en toute hypothèse, pas susceptible de recours, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et, partant, d'une violation de l'article 455 du Code de procédure civile.