Vu le recours, enregistré le 14 mai 2010, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE qui demande à la cour d'annuler le jugement n° 08-3888 du 12 mars 2010 du tribunal administratif d'Orléans en tant que, par ce jugement, il a accueilli les conclusions indemnitaires des sociétés SAS Icec, Selarl Phlippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée Constructions et Sarl Boussiquet et, avant de statuer sur lesdites conclusions indemnitaires de ces sociétés, décidé de procéder à une expertise ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juin 2011 :
- le rapport de M. Martin, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Villain, rapporteur public ;
Considérant que, par un avis de préinformation publié le 24 octobre 2007 dans les conditions prévues à l'article 39 du code des marchés publics, puis par un avis d'appel à la concurrence publié le 30 novembre 2007, le ministère de la défense a lancé une procédure pour l'attribution d'un marché relatif au lot n° 1 des travaux de construction de bureaux susceptibles d'accueillir 450 personnes de la direction des ressources humaines de l'armée de l'air (DRHA) sur la base aérienne 705 de Tours (Indre-et-Loire) avec remise des offres d'abord prévue le 26 février 2008 puis reportée au 12 mars suivant ; que, par un courrier du 21 mai 2008, l'administration a informé la société SAS ICEC du rejet de l'offre présentée par le groupement d'entreprises dont elle était mandataire ; que, le 23 juin 2008, le marché a été attribué au groupement ayant pour mandataire la société Savoie Frères, l'avis d'attribution étant publié le 30 juin 2008 ; que, le 18 juillet 2008, cinq entreprises du groupement représenté par la SAS ICEC, à savoir, outre cette société, la Selarl Philippe-Tardits, la SAS Bergeret, la SA Plée constructions et la Sarl Boussiquet, ont demandé au ministre de la défense l'annulation de la décision prise le 21 mai 2008 et l'indemnisation de leurs préjudices respectifs ; que, faute de réponse, ces sociétés ont alors saisi le tribunal administratif d'Orléans le 18 novembre 2008 en demandant l'annulation de la décision du 21 mai 2008, de la décision d'attribution du marché au groupement dont le mandataire était la société SAVOIE Frères et du rejet implicite de leur demande préalable ainsi que la condamnation de l'Etat à les indemniser à hauteur d'une somme totale de 1 235 482,93 euros TTC des préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait de leur éviction illégale du marché ; que, le 18 juillet 2009, ces mêmes sociétés ont présenté devant le tribunal des conclusions tendant à faire constater l'illégalité du contrat passé entre l'Etat et le groupement attributaire et à être indemnisées à la suite d'une nouvelle demande préalable formée le 10 avril 2009 ;
Considérant que, par un jugement du 12 mars 2010, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté comme irrecevables, d'une part, les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 mai 2008 informant la société ICEC du rejet de l'offre présentée par le groupement d'entreprises dont elle était mandataire ainsi que de la décision attribuant le marché en cause au groupement d'entreprises dont la société Savoie Frères était le mandataire, et, d'autre part, à raison de leur tardiveté, celles tendant à l'annulation du contrat ; que, par ailleurs, les premiers juges se sont prononcés sur le bien-fondé des demandes indemnitaires des sociétés susnommées et, après avoir relevé une méconnaissance des principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, ont retenu que les sociétés évincées avaient droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elles avait subi, prescrivant, toutefois, une mesure d'expertise aux fins de déterminer le bénéfice net que chacune des sociétés aurait retiré de l'exécution du marché si le groupement dont elles étaient membres avait obtenu celui-ci ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE relève appel de ce jugement dont il demande l'annulation en tant qu'il n'a pas rejeté les conclusions indemnitaires des sociétés SAS ICEC, Selarl Philippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée constructions et Sarl Boussiquet ;
Considérant qu'en vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat ; que la présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n'est pas soumise au délai de deux mois suivant l'accomplissement des mesures de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation ou à son annulation, la recevabilité desdites conclusions indemnitaires étant en revanche soumise, selon les modalités du droit commun, à l'intervention d'une décision préalable de l'administration de nature à lier le contentieux, le cas échéant en cours d'instance, sauf en matière de travaux publics ; que, par suite, et alors même qu'étaient irrecevables tant les conclusions des sociétés SAS ICEC, Selarl Philippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée constructions et Sarl Boussiquet tendant à l'annulation des actes détachables du marché de travaux publics en cause que celles tendant à l'annulation de ce marché, ces sociétés étaient recevables, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense et ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, à présenter des conclusions tendant à obtenir la réparation du préjudice qui résulterait de leur éviction dudit marché ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 40 du code des marchés publics, dans sa rédaction alors en vigueur : (...) IV. - En ce qui concerne les travaux : (...) 2° Pour les achats d'un montant égal ou supérieur à 5 270 000 euros HT, le pouvoir adjudicateur est tenu de publier un avis d'appel public à la concurrence dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne. ; qu'aux termes de l'article 57-II du même code : II. - 1° Le délai de réception des offres ne peut être inférieur à cinquante-deux jours à compter de la date d'envoi de l'appel public à la concurrence (...) ; que ces dispositions imposent à la personne publique, lorsqu'elle apporte des modifications substantielles à l'objet ou aux conditions initiales du marché, de les porter à la connaissance des entreprises par un avis d'appel public à la concurrence rectificatif et de respecter un nouveau délai de cinquante-deux jours à compter de l'envoi à la publication de cet avis rectificatif pour permettre aux entreprises, éventuellement dissuadées de présenter leur candidature par les indications portées sur l'avis initial, de disposer du délai utile pour déposer une offre ;
Considérant que, alors que le règlement de la consultation prévoyait, ainsi qu'il est dit ci-dessus, une remise des offres à la date du 26 février 2008, la direction départementale de l'équipement d'Indre-et-Loire, maître d'oeuvre de l'opération, a fait état, le 11 février 2008, de diverses modifications des conditions initiales du marché et particulièrement, en réponse à une question posée par l'un des candidats, a indiqué que la suppression totale de la verrière était permise pour la variante , à condition de veiller à remettre une offre techniquement cohérente (suppression du bardage acoustique des atriums par un bardage courant extérieur, fermeture des coursives par éléments vitrés) ; que le maître d'oeuvre précisait, par ailleurs, que, compte tenu des modifications importantes proposées , la date de remise des offres était reportée au 12 mars 2008 à 18 heures ; que, toutefois, eu égard à l'importance attachée par le maître de l'ouvrage à la couverture des atriums, ainsi que celle-ci ressort du dossier de consultation des entreprises, et à la circonstance que ledit dossier ne prévoyait pas, à l'origine, la possibilité pour les candidats de présenter une offre comportant une variante supprimant totalement la verrière, la modification relative à cette dernière doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme présentant un caractère substantiel ; que, par suite, s'imposait au maître d'ouvrage l'obligation d'un appel public rectificatif avec un nouveau délai de cinquante deux jours tel que prévu par les dispositions de l'article 57-II du code des marchés publics ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 53 du code des marchés publics, dans sa rédaction alors en vigueur : (...) II. - Pour les marchés passés selon une procédure formalisée et lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération. / (...) Les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation sont indiqués dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. (...) ;
Considérant que l'article 4.2 du règlement de la consultation prévoyait, pour l'attribution du marché, une appréciation du critère relatif à la valeur technique des prestations au vu du contenu du mémoire technique avec en particulier un examen attentif des points relatifs à la structure, la verrière, le respect des performances annoncées notamment thermiques, le SOSED, le SOPAQ et le planning prévisionnel ; que le rapport de présentation précisait que, pour la notation des offres, chacun des six points énumérés par l'article 4.2 serait affecté d'une note variant de 5 à 15 points, la valeur technique des prestations étant affectée d'un nombre de points maximum de 50 ; qu'afin de comparer entre elles les offres avec verrière et les offres sans verrière , des règles de notation spécifiques aux offres de la catégorie sans verrière ont été adoptées, consistant en la suppression, outre de la note prévue pour le traitement acoustique des atriums, de la note sur dix points initialement attribuée à la verrière et en un nouveau calcul d'une note sur 50 par mise en oeuvre de la règle de proportionnalité (ou règle de trois) ; qu'il n'est pas contesté que cette modification n'a pas été portée à la connaissance des candidats, tenus ainsi dans l'ignorance de la pondération relative à la variante sans verrière , circonstance qui, ayant été susceptible d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats, doit être regardée comme violant les dispositions susrappelées de l'article 53 du code des marchés publics ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la procédure d'attribution du marché litigieux au groupement d'entreprises dont la société Savoie Frères était mandataire est entachée d'irrégularité ; que lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; que, dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi ;
Considérant que l'offre du groupement dont la société Savoie Frères était le mandataire, consistant en une variante sans verrière, a obtenu 89,8 points, dont 40 points pour la note technique ; que la mieux notée des deux offres présentées par le groupement dont le mandataire était la SAS ICEC, conformes aux conditions initiales de la consultation, s'est vue attribuer 86,5 points, dont 36,5 pour la note technique ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'analyse des offres établi par le maître d'oeuvre, que, pour tenir compte de l'absence de verrière, les points qui devaient être attribués à celle-ci et au traitement acoustique des atriums ont été retirés du total, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, avec pour conséquence que le total potentiel de la note technique sans verrière a été ramené à 38,5 points puis, par règle de trois, recalculée sur 50 points ; que cette méthode a artificiellement favorisé le groupement attributaire, qui, noté 30,75/38,5, obtient en définitive 40 points en étant fictivement noté 8/10 pour la verrière du fait des notes obtenues au titre des autres critères relatifs au calcul de la note technique ; qu'en revanche, le groupement représenté par la SAS ICEC, qui a obtenu des notes équivalentes pour ces derniers critères, mais n'a reçu que la note 5 pour le choix de verrière proposé, a vu ses chances compromises de ce seul fait ; qu'eu égard à la faiblesse de l'écart de la note ainsi obtenue par chacun des deux groupements, le groupement d'entreprises dont la société ICEC était mandataire peut être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'emporter le marché en cause ; que, dans ces conditions, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, les sociétés SAS ICEC, Selarl Philippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée constructions et Sarl Boussiquet ont droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elles ont subi, calculé en fonction du bénéfice net que leur aurait procuré le marché si elles l'avaient obtenu ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement avant-dire droit attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a estimé que les sociétés SAS ICEC, Selarl Philippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée constructions et Sarl Boussiquet avaient droit à être indemnisées de leur manque à gagner et a prescrit une expertise destinée à déterminer le bénéfice net que chacune des sociétés aurait retiré de l'exécution du marché si le groupement dont elles étaient membres l'avait obtenu ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux sociétés SAS ICEC, Selarl Philippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée constructions et Sarl Boussiquet de la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE LA DEFENSE est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera aux sociétés SAS ICEC, Selarl Philippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée constructions et Sarl Boussiquet la somme globale de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE LA DEFENSE et aux sociétés SAS ICEC, Selarl Philippe-Tardits, SAS Bergeret, SA Plée constructions et Sarl Boussiquet.
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