LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme Marie-France X...,
- Mme Elisa Y...,
- Mme Justine Y..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 27 mai 2010, qui, dans la procédure suivie contre M. Patrice Z... du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demanderesses et le mémoire en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier protocole additionnel à cette convention, 34 et 35 du décret n° 57-245 du 24 février 1957, L. 452-1, L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-5 du code de sécurité sociale, 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables les demandes d'indemnisation du préjudice moral subi par Mmes Y... ;
"aux motifs qu'il n'est pas contesté que le code de la sécurité sociale n'est pas applicable en Polynésie Française et qu'en matière d'indemnisation des conséquences d'un accident de travail, le régime d'indemnisation est prévu par le décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'Outre-Mer et au Cameroun, promulgué par arrêté du gouverneur des Etablissements Français d'Océanie du 8 août 1957 et publié au journal officiel de la Polynésie Française le 31 août 1957 ; que les parties civiles sont de ce chef mal fondées à invoquer les décisions rendues par la Cour de cassation, qui ne concernaient que les textes applicables sur le territoire métropolitain ; qu'il résulte du décret du 24 février 1957 notamment trois régimes distincts d'indemnisation en matière d'accident du travail ; que l'article 34 concerne l'accident dû à une faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, et dans ce cas, les indemnités dues à la victime ou à ses ayants droit, en vertu de ce décret, sont majorées par l'organisme assureur, en accord avec la victime ou l'employeur, ou à défaut, par le tribunal du travail compétent, sous limite de plafonds, cette majoration étant récupérée sur l'employeur par le biais d'une majoration des cotisations ; que l'article 35 prévoit la faute intentionnelle, et non plus seulement inexcusable de l'employeur ou de ses préposés, et la victime ou ses ayants droit conservent alors contre l'auteur de l'accident, le droit de demander réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par l'application de ce décret, l'organisme assureur servant alors aux victimes ou aux ayants droit les prestations versées par ce texte, sauf son recours contre l'auteur de l'accident pour ce qu'il a ainsi payé ; que l'article 36 prévoit le cas où l'accident est causé par une personne autre que l'employeur ou l'un de ses préposés, et la victime ou ses ayants droit conservent alors contre cette personne le droit de demander réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par l'application de ce décret, l'organisme d'assurance servant les prestations disposant alors d'un recours intégral contre le responsable ; qu'en l'espèce, aucune faute intentionnelle ne peut être reprochée à M. Z..., puisque les faits ayant entraîné le décès de M. Y... sont purement accidentels, même si le tribunal a justement retenu une faute pénale, puisque le directeur de la société employant la victime n'avait pas mis à sa disposition le matériel de sécurité adéquat de nature à parer les effets d'une chute, et que nombre de prescriptions applicables en matière de sécurité du travail sur un chantier n'ont pas été respectées ; qu'une faute inexcusable peut être reprochée à M. Z..., en raison des manquements importants (absence de port de chaussures de sécurité, de mise à disposition de harnais pour des travaux en hauteur de nature à permettre de parer une chute, de tout registre d'hygiène et de sécurité) aux règles de sécurité relevées suite à l'accident, de sorte que l'indemnisation des préjudices consécutifs relève des dispositions de l'article 34 du décret de 1957 ; que cependant, à la différence des dispositions de l'article 35, l'article 34 ne prévoit aucun recours de droit commun pour les victimes ou les ayants droit, mais uniquement une majoration des rentes dont le paiement incombe à l'organisme d'assurance (la Caisse de Prévoyance Sociale en Polynésie Française) ; que comme l'a estimé à bon droit le premier juge, admettre un recours des ayants droit du salarié, même à l'occasion d'un préjudice propre, comme le préjudice moral incontestablement subi par les victimes du fait du décès de leur mari et père, reviendrait à mettre à néant le dispositif particulier prévu par ces trois articles selon l'auteur et le degré de gravité des fautes commises ; que ce dispositif n'induit pas une différence de traitement entre victimes puisqu'il concerne trois situations différentes tant en fait qu'en droit, alors qu'il est justifié par les recours que peut ensuite exercer l'organisme de protection sociale, ainsi que par les cotisations obligatoires servies par les employeurs, afin de garantir les conséquences de leur faute inexcusable ; que cette réglementation est d'ordre public au regard des buts qu'elle vise, à savoir l'assurance des risques liés au travail, la responsabilisation des employeurs et des salariés, tout en établissant un équilibre financier entre cotisations et garanties, de sorte que les parties civiles ne sont pas recevables à agir selon le droit commun, en l'absence d'une faute intentionnelle de l'employeur ou d'une faute d'un tiers extérieur à l'entreprise ; qu'en conséquence le jugement du 15 juillet 2009 ne peut qu'être intégralement confirmé ;
"1°) alors que le principe d'égalité impose que des personnes placées dans la même situation soient traitées de manière identique ; qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, aucune disposition ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces victimes puissent demander à l'employeur la réparation de l'ensemble des dommages subis ; que la cour d'appel a jugé que les dispositions du décret n° 27-245 du 24 février 1957 limitent les pré judices susceptibles d'être réparés à la victime ou aux ayants droit victimes d'une faute inexcusable de l'employeur à la seule majoration des rentes et en a déduit l'irrecevabilité de la demande de réparation du préjudice moral subi par les ayants droit de M. Y... ; qu'en se prononçant ainsi la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"2°) alors qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions du décret n° 27-245 du 24 février 1957 ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que les mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de leur préjudice moral ;
"3°) alors que le préjudice subi par la victime d'une infraction doit être reporté dans son intégralité ; qu'en considérant que le décret n°27-245 du 24 février 1957 excluait la réparation du préjudice moral, la cour d'appel a derechef méconnu les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite d'un accident mortel du travail subi le 21 janvier 2005 par M. Y..., salarié de la société Stam, M. Z..., dirigeant de la société, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel et condamné du chef d'homicide involontaire ; que Mme Marie-France X..., veuve Y..., et Mmes Elisa et Justine Y..., enfants de la victime, ont sollicité l'indemnisation de leur préjudice moral auprès du tribunal, qui a déclaré leurs demandes irrecevables, au motif que ce chef de dommage n'était pas pris en charge par le décret du 24 février 1957 applicable en Polynésie française et relatif à la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'Outre-Mer ; que les parties civiles ont relevé appel du jugement ;
Attendu que, pour confirmer cette décision , après avoir relevé que la réglementation en vigueur n'induit aucune différence entre les victimes et que le régime institué, géré par la caisse de prévoyance sociale, poursuit un but d'ordre public consistant à assurer les risques liés au travail, en établissant un équilibre financier entre cotisations et garanties, les juges du second degré retiennent qu'en application du décret du 24 février 1957, les parties civiles ne sont pas recevables à agir conformément au droit commun, en l'absence d'une faute intentionnelle de l'employeur ou de la faute d'un tiers extérieur à l'entreprise ;
Attendu qu'en cet état, et abstraction faite de motifs surabondants relatifs au caractère inexcusable de la faute de l'employeur, question étrangère à la compétence de la juridiction pénale, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués, dès lors que les demanderesses ne disposent pas d'un droit de caractère civil entrant dans les prévisions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 1er du protocole additionnel à cette Convention qu'elles pourraient faire valoir devant les juridictions répressives ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de Mmes Y..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande présentée par M. Z... au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;