LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause et l'article L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée par la société Ratiopharm à compter du 13 mai 2002 en qualité d'animateur délégué pharmaceutique ; qu'après qu'un incident s'est produit, le 8 janvier 2007, avec la directrice régionale sous l'autorité de laquelle elle était placée et s'étant plainte auprès de l'employeur du harcèlement moral et continu de la part de celle-ci, elle a été en arrêt de travail pour maladie à partir du 2 avril 2007 ; qu'ayant été déclarée inapte par le médecin du travail à tout poste de délégué pharmaceutique dans la région supervisée par sa supérieure hiérarchique, Mme Y..., elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement ; que faisant valoir que son inaptitude procédait du harcèlement moral dont elle était victime, elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé du licenciement et demander le paiement de diverses sommes ;
Attendu que pour juger que le licenciement de Mme X... était fondé sur une cause réelle et sérieuse et en conséquence la débouter de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient que la salariée n'établit par aucune pièce des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement, qu'en ce qui concerne la lettre de licenciement d'Ericka Y... invoquée par la salariée il ne saurait en être déduit une reconnaissance par l'employeur de faits de harcèlement, que si le fait de "n'avoir pas été en mesure de gérer une relation professionnelle/personnelle avec un membre de l'équipe à savoir Maryline X..." est effectivement mentionné dans la dite lettre, il se rapporte à une absence de compétence de la directrice régionale à diriger les membres de son équipe et non à un comportement déviant révélateur de faits de harcèlement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la lettre notifiant à Mme Y... son licenciement, intervenu peu après le licenciement de Mme X..., mentionnait : "Nous vous notifions votre licenciement motivé par votre attitude générale incompatible avec les fonctions d'une directrice de région, qu'en réponse aux questions et attentes de votre équipe, vous avez adopté un comportement agressif et dévalorisant qui se traduisait, notamment, par la profération de propos tels que «vous me faites chier», «cela ne pourra jamais marcher avec vous car je ne vous ai pas choisis et je ne vous ai donc pas formés à mon image», de déresponsabilisation, notamment en invitant régulièrement les délégués pharmaceutiques à s'adresser à la direction, que vos pratiques managériales, non conformes aux valeurs de notre entreprise, se traduisaient non seulement par des propos dévalorisants et vulgaires ("C'est un travail de merde", «Sortez-vous les doigts du cul et "allez bosser"») mais aussi par l'instauration d'une mauvaise ambiance de travail au sein de votre équipe", la cour d'appel, qui a dénaturé cette lettre dont les termes permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement, a violé le principe et le texte susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejeté les demandes de la salariée au titre de la rupture, l'arrêt rendu le 16 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Ratiopharm aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils pour Mme X...
Le moyen fait grief à l'arrêt :
D'AVOIR jugé que le licenciement de Madame X... était fondé sur une cause réelle et sérieuse et d'avoir, en conséquence, débouté Madame X... de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail ;
AUX MOTIFS QUE « sur le harcèlement : en droit, selon L.1152-1 (ancien L.122-49) du Code du Travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que par ailleurs, l'article L.1154-1 (ancien L.122-52) prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application des articles L.1152 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que la décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le juge formant sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'en l'état, aucun harcèlement ne peut être retenu ; qu'en effet, en premier lieu, il convient de constater que le courrier du 17 janvier 2007 où la salariée dénonce le harcèlement moral exercé par la directrice régionale est bref et succinct sans explication et élément précis, qu'en outre, elle n'a pas daigné apporter des informations précises relatives aux agissements de sa supérieure comme le lui a demandé l'employeur puisqu'elle n'a pas donné de suite au courrier de ce dernier sur ce point ; que d'autre part, il apparaît que l'appelant n'établit par aucune pièce des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement ; que s'agissant de l'avertissement qui lui a été délivré, certes elle l'a contesté mais n'a jamais sollicité par voie judiciaire et notamment dans le cadre de la présente instance, l'annulation de cette sanction qui en conséquence est considérée comme réelle ; que, quant à l'avis du médecin du travail, ce dernier n'évoque en rien l'existence des faits susceptibles de laisser présumer un harcèlement mais conclut seulement à la nécessité d'une absence de contact de la salariée avec sa supérieure hiérarchique ; qu'en ce qui concerne la lettre de licenciement d'Ericka Y... invoquée par l'appelante il ne saurait en être déduit une reconnaissance par l'employeur de faits de harcèlement alors même que la directrice régionale licenciée à l'issue de son congé maternité, l'a été pour insuffisance professionnelle dans l'encadrement et animation de son équipe des délégués pharmaceutiques et son attitude générale incompatible avec les fonctions d'une directrice de région; si le fait de "n'avoir pas été en mesure de gérer une relation professionnelle/personnelle avec un membre de l'équipe à savoir Maryline X..." est effectivement mentionné dans la dite lettre, il se rapporte à une absence de compétence de la directrice régionale à diriger les membres de son équipe et non à un comportement déviant révélateur de faits de harcèlement. Par contre l'employeur, contrairement aux dires de l'appelante suite au courrier de cette dernière sur la dénonciation du harcèlement dont elle s'est dit victime n'est pas resté sans réagir ; qu'il justifie en effet avoir procédé à une enquête confiée au Président Directeur Général et au délégué du personnel, et avoir alerté l'inspecteur du travail; il produit au débat le résultat de cette enquête notamment les auditions des délégués pharmaceutiques de la région concernée de la directrice régionale lesquelles n'ont révélé aucune situation de harcèlement moral ni de manquement destructeur ; que dans ces conditions, le moyen de l'appelante tiré d'un prétendu harcèlement moral ou managérial ne peut prospérer étant précisé au demeurant qu'aucune demande spécifique de dommages et intérêts n'a été faite à ce titre ; que sur le licenciement, l'article L.1226-2 du Code du travail applicable à l'inaptitude non professionnelle ce qui est le cas en l'espèce dispose :« Lorsque à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'inaptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail » ; qu'en l'état, il est constant que l'employeur a fait une proposition de reclassement à la salariée le 9 juillet 2007 ; qu'à l'examen de ce courrier ci-dessus reproduit, il apparaît que le poste proposé n'impliquait aucune modification du contrat de travail et était conforme à l'avis du médecin du travail et notamment à sa lettre plus explicite du 10 mai 2007 puisque dans la proposition faite il était garanti à Marilyne X... comme l'a préconisé le médecin du travail « qu'elle ne serait plus en contact avec sa supérieure hiérarchique » ; que la référence faite dans le dit courrier du 9 juillet 2007 au congé maternité de Madame Y... ne l'a été que pour préciser qu'elle était le supérieur hiérarchique auquel la salariée devait s'adresser mais en aucun cas ne limitait la proposition de poste au dit congé de maternité ; que d'autre part, il apparaît que dans son refus la salariée n'a pas relevé que la proposition de poste serait incompatible avec l'avis du médecin du travail ; que dès lors, l'employeur n'avait nullement l'obligation de ressaisir le médecin du travail ; que dans ces conditions et considérant qu'aucun harcèlement n'a été ci-dessus retenu le licenciement fondé sur le refus de la salariée de la proposition conforme à l'avis du médecin du travail et l'impossibilité démontrée de l'existence d'autres postes disponibles correspondant aux qualifications de la salariée doit être considéré comme reposant sur une cause réelle et sérieuse ; qu'en conséquence, le jugement déféré sera confirmé sur ce point et la salariée déboutée de l'ensemble de ses réclamations au titre de la rupture, étant observé que déclarée inapte, la salariée ne pouvait en conséquence effectuer de préavis et donc prétendre à une indemnité compensatrice de préavis » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, dès lors que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que la décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le juge formant sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que Madame X..., qui a fait valoir qu'elle était victime de harcèlement moral de la part de Madame Y..., à l'origine de son arrêt de travail, puis de son inaptitude et de son refus de reprendre le travail, a notamment produit le courrier de licenciement adressé par la société RATIOPHARM, leur employeur commun, à Madame Y..., faisant état de son comportement « agressif et dévalorisant qui se traduisait, notamment, par la profération de propos tels que « vous me faites c… », «cela ne pourra jamais marcher avec vous car je ne vous ai pas choisis et je ne vous ai donc pas formés à mon image » et de ses propos «dévalorisants et vulgaires (« c'est un travail de m… », «sortez vous les doigts du c… et allez bosser ») » ; qu'en jugeant que Madame X... n'établissait par aucune pièce des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement et que le courrier de licenciement de Madame Y... précité se rapportait à une absence de compétence et non à un comportement déviant révélateur de faits de harcèlement, la Cour d'appel a dénaturé ce courrier et violé l'article 1134 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART et en tout état de cause, si a une cause réelle et sérieuse le licenciement qui intervient en conséquence du refus du salarié, déclaré inapte, de reprendre un poste qui correspond aux recommandations du médecin de travail, c'est à la condition que l'employeur ait pleinement et loyalement informé le salarié des conditions de l'emploi proposé pour que le salarié puisse apprécier lui-même cette conformité ; que Madame X... a fait valoir (conclusions p. 14 et 15 soutenues oralement à l'audience) qu'elle n'avait pas été informée par son employeur des conditions du poste qu'il lui proposait à la suite de l'avis d'inaptitude du médecin du travail puisque dans le courrier du 9 juillet, il lui était proposé de reprendre son poste et précisé que « durant le congé de maternité de Madame Y..., vous vous en rapporterez à… » et qu'elle devait « adopter un discours neutre et réservé sur Madame Y..., excluant toute supputation sur les décisions, non arrêtées à l'heure actuelle que nous serions amenés à prendre à l'issue de son congé maternité » quant à la même date, était adressé à tous les autres membres de l'équipe un courriel annonçant le licenciement de Madame Y... ; qu'en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si Madame X... avait été pleinement et loyalement informée par son employeur pour pouvoir prendre en toute connaissance de cause sa décision de refuser un poste qu'elle pouvait légitiment croire incompatible avec son état de santé, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1226-2 du Code du travail.