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21/06/2010 | FRANCE | N°09NC00127

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 21 juin 2010, 09NC00127


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 3 février 2009, complétée par des mémoires enregistrés les 27 juillet 2009 et 13 janvier 2010, présentée pour M. et Mme Eric A et Mlle Laura A, demeurant ..., par Me Ravaz, avocat ; les consorts A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800868 en date du 11 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 1er avril 2008 du maire de Giromagny ayant ordonné l'hospitalisation d'office de Laura A, des arrêtés des 2 et 3 av

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 3 février 2009, complétée par des mémoires enregistrés les 27 juillet 2009 et 13 janvier 2010, présentée pour M. et Mme Eric A et Mlle Laura A, demeurant ..., par Me Ravaz, avocat ; les consorts A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800868 en date du 11 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 1er avril 2008 du maire de Giromagny ayant ordonné l'hospitalisation d'office de Laura A, des arrêtés des 2 et 3 avril 2008 du préfet du Territoire de Belfort portant hospitalisation d'office de Laura A au centre hospitalier spécialisé de Bavilliers puis transfert au centre hospitalier spécialisé de Saint Rémy et de l'arrêté du 3 avril 2008 du préfet de la Haute-Saône portant admission en hospitalisation d'office de Laura A au centre hospitalier spécialisé de Saint-Rémy, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice causé par l'illégalité de ces arrêtés ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à leur verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- l'arrêté du 1er avril 2008 du maire de Giromagny est illégal, n'étant fondé ni sur un danger imminent pour les personnes, ni sur un comportement de Laura A révélant des troubles mentaux manifestes ; il a été adopté alors que Melle A faisait l'objet d'une mesure de garde à vue irrégulière, sans droit à l'assistance d'un avocat en méconnaissance des stipulations des articles 6-1 et 6-3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté du 2 avril 2008 du préfet du territoire de Belfort portant hospitalisation d'office de Laura A est, par voie de conséquence, illégalement fondé sur celui du 1er avril 2008 du maire de Giromagny ; il est insuffisamment motivé, ne fait pas référence à un certificat médical circonstancié et n'énonce pas avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire ; le certificat du Dr Coulon n'évoque ni la dangerosité de la jeune A, ni aucune atteinte à l'ordre public ; il est également illégal en tant qu'il ordonne l'hospitalisation d'office jusqu'au 1er mai 2008 inclus et qu'il n'a été notifié à Melle A que le 10 avril 2008 et n'a pas été notifié à ses parents ;

- l'arrêté du 3 avril 2008 du préfet du territoire de Belfort portant transfert en hospitalisation d'office de Laura A au centre hospitalier spécialisé de Saint-Rémy est illégal en tant qu'il n'a été notifié à l'intéressée que le 10 avril 2008 ;

- l'arrêté du 3 avril 2008 du préfet de la Haute-Saône portant admission en hospitalisation d'office de Laura A au centre hospitalier spécialisé de Saint-Rémy est illégal en tant qu'il n'a jamais été notifié à l'intéressée et ne l'a été à ses parents que le 8 avril 2008 ; il vise le certificat médical du Dr Delachaux qui n'y était pas annexé et dont le contenu montre que l'hospitalisation d'office n'était pas justifiée ;

- ces mesures privatives de liberté ont eu, pour Laura A, des conséquences graves sur le plan psychologique, justifiant l'indemnisation réclamée ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 12 mai 2009, 7 septembre 2009 et 16 février 2010, présentés pour la commune de Giromagny, représentée par son maire, par Me Rouquet avocat ; la commune de Giromagny conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des consorts A une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le maire s'est légalement fondé sur un certificat médical faisant état d'une situation dangereuse pour l'intéressée ou pour les tiers ; la juridiction administrative est incompétente pour connaître de la nécessité de prononcer une hospitalisation d'office ;

- les arrêtés préfectoraux sont suffisamment motivés ;

- la demande indemnitaire, extravagante, est irrecevable en l'absence de demande préalable adressée à l'administration ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2009, présenté par le préfet du Territoire de Belfort qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- seul le juge judiciaire est compétent pour apprécier le bien fondé d'une mesure de placement d'office et réparer les préjudices nés d'une telle décision quels que soient les motifs de son illégalité ;

- son arrêté du 2 avril 2008 portant hospitalisation d'office de Laura A est suffisamment motivé, se référant au certificat médical du Dr Coulon dont il s'est approprié le contenu et qui était joint à la décision ; ledit certificat était circonstancié et précisait les risques encourus ; il a pu légalement ordonner l'hospitalisation d'office pour une durée d'un mois, conformément à l'article L. 3213-3 du code de la santé publique, jusqu'au 1er mai 2008 inclus, le maintien de cette mesure étant réexaminé à échéance régulière ; la tardiveté de sa notification à Melle A et à ses parents n'est pas établie et sans incidence sur sa légalité ;

- la circonstance que son arrêté du 3 avril 2008 portant transfert en hospitalisation d'office de Laura A au centre hospitalier spécialisé de Saint-Rémy aurait été notifié tardivement est sans incidence sur sa légalité ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mai 2010 :

- le rapport de M. Devillers, premier conseiller,

- les conclusions de M. Wallerich, rapporteur public,

- et les observations de Me Dangel, avocat de la commune de Giromagny ;

Sur les conclusions à fins d'annulation :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 3211-3 du code de la santé publique : Lorsqu' une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement.(...) Elle doit être informée dès l'admission (...) de sa situation juridique et de ses droits. En tout état de cause, elle dispose du droit : (...) 3º de prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix ; qu'aux termes de l'article L. 3213-1 du même code : A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l'Etat prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à l'article L. 3222.-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. (...) Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire.(...) ; que l'article L. 3213-2 de ce code dispose : En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police, arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'hospitalisation d'office dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures ; que l'article L. 3213-3 de ce code dispose : Dans les quinze jours, puis un mois après l'hospitalisation et ensuite au moins tous les mois, le malade est examiné par un psychiatre de l'établissement qui établit un certificat médical circonstancié (...) ; qu'aux termes de l'article L. 3213-4 du code susmentionné : Dans les trois jours précédant l'expiration du premier mois d'hospitalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer, après avis motivé d'un psychiatre, le maintien de l'hospitalisation d'office pour une nouvelle durée de trois mois. Au-delà de cette durée, l'hospitalisation peut être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département pour des périodes de six mois maximum renouvelables selon les mêmes modalités. Faute de décision du représentant de l'Etat à l'issue de chacun des délais prévus à l'alinéa précédent la mainlevée de l'hospitalisation est acquise. (...) ; qu'en vertu de l'article L. 3213-5 : Si un psychiatre déclare sur un certificat médical ou sur le registre tenu en exécution des articles L. 3212-11 et L. 3213-1 que la sortie peut être ordonnée, le directeur de l'établissement est tenu d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai. ; que l'article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 dispose : Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ;

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 1er avril du maire de Giromagny :

Considérant que la circonstance que la garde à vue de Melle A aurait été irrégulière, à la supposer établie, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 1er avril 2008 du maire de Giromagny ayant ordonné l'hospitalisation d'office de Laura A, adopté en conséquence de troubles mentaux affectant l'intéressée ; que par ailleurs, l'autorité judiciaire étant seule compétente pour apprécier la nécessité d'une mesure d'hospitalisation d'office, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le moyen tiré du caractère non fondé dudit arrêté ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne la légalité des arrêtés préfectoraux :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que les consorts A ne sont pas fondés à soutenir qu'à raison de l'illégalité entachant l'arrêté du 1er avril 2008 du maire de Giromagny, l'arrêté du 2 avril 2008 du préfet du territoire de Belfort portant hospitalisation d'office de Laura A serait, à son tour, entaché d'illégalité ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique et de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 que l'autorité administrative, lorsqu'elle prononce ou maintient l'hospitalisation d'office d'une personne, doit indiquer dans sa décision les éléments de droit et de fait qui justifient cette mesure ; que si elle peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant au certificat médical circonstancié qui doit être nécessairement établi avant la décision préfectorale, c'est à la condition de s'en approprier le contenu et de joindre ce certificat à la décision ;

Considérant que l'arrêté susvisé du 2 avril 2008 du préfet du territoire de Belfort portant hospitalisation d'office de Melle A vise le certificat médical du Dr Coulon, qui y est joint, énonce s'en approprier les termes, qui décrivent une opposition à toute tentative de communication, des pleurs et cris, les antécédents psychiatriques de l'intéressée et le traitement suivi par elle, l'ensemble nécessitant une prise en charge spécialisée et une surveillance constante sans qu'il soit possible de recueillir le consentement de l'intéressée ; que l'arrêté énonce encore que les troubles mentaux de l'intéressée nécessitent des soins, compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public et justifient une mesure d'hospitalisation d'office ; qu'ainsi, cet arrêté est suffisamment motivé au regard des dispositions précitées ; que le moyen tiré du défaut de motivation doit, dès lors, être écarté ;

Considérant que l'arrêté du 3 avril 2008 du préfet de la Haute-Saône ne prononce pas l'hospitalisation d'office de Melle A ou son maintien mais organise seulement son transfert au centre hospitalier spécialisé de Saint-Rémy plus proche de sa famille ; qu'un tel arrêté n'était donc pas soumis à l'obligation de motivation sus indiquée ;

Considérant, en troisième lieu, que si, en application de l'article L. 3213-4 précité du code de la santé publique, l'article premier de l'arrêté du 2 avril 2008 du préfet du territoire de Belfort portant hospitalisation d'office de Melle A fixe au terme d'un mois, soit au 1er mai 2008 inclus, la fin de l'hospitalisation d'office, l'article 2 du même arrêté énonce, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 3213-5 du même code, qu'il peut y être mis fin à tout moment après avis d'un psychiatre ou sur proposition de la commission départementale des hospitalisations psychiatriques ; qu'au demeurant et dans le cadre de ces dispositions, il a été mis fin à l'hospitalisation d'office de Melle A le 9 avril 2008, après avis en ce sens du Dr Delachaux ; que le moyen tiré de l'irrégularité de la durée de l'hospitalisation d'office fixée par l'arrêté du 2 avril 2008 du préfet du territoire de Belfort doit donc être écarté ;

Considérant en quatrième lieu, que le moyen tiré de l'absence de nécessité de l'hospitalisation d'office de Laura A du 1er au 9 avril 2008, il ne peut être compétemment soumis à la juridiction administrative ; qu'il ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Considérant, en dernier lieu, que la circonstance, à la supposer établie, que les arrêtés susvisés des 2 et 3 avril 2008 du préfet du territoire de Belfort et du 3 avril 2008 du préfet de la Haute-Saône n'auraient pas été notifiés à Melle Laura et M. et Mme Eric A est sans incidence sur leur légalité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction judiciaire statuant sur la régularité de la garde à vue, que les consorts A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande ;

Sur les conclusions à fins indemnitaires:

Considérant que s'il appartient à la juridiction administrative d'apprécier la régularité de la décision administrative ordonnant l'hospitalisation d'office, en application, à la date de l'hospitalisation litigieuse, des dispositions des articles L. 3213-1 et suivants du code de la santé publique, l'autorité judiciaire est seule compétente tant pour apprécier la nécessité d'une mesure d'hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique que, lorsque la juridiction administrative s'est prononcée sur la régularité de la décision administrative d'hospitalisation, pour statuer sur l'ensemble des conséquences dommageables de cette décision, y compris celles qui découlent de son irrégularité ; que dès lors, les conclusions à fins indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge des consorts A une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Giromagny et non compris dans les dépens ;

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que les consorts A demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme Eric A et Melle Laura A est rejetée.

Article 2 : M. et Mme Eric A et Melle Laura A verseront, ensemble, une somme de

1 000 euros à la commune de Giromagny au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Eric A et Melle Laura A, à la commune de Giromagny et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Une copie sera adressée aux préfets du Territoire de Belfort et de Haute-Saône.

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09NC00127


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09NC00127
Date de la décision : 21/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. JOB
Rapporteur ?: M. Pascal DEVILLERS
Rapporteur public ?: M. WALLERICH
Avocat(s) : RAVAZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2010-06-21;09nc00127 ?
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