La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/07/2011 | FRANCE | N°09MA02873

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 11 juillet 2011, 09MA02873


Vu la requête, enregistrée le 30 juillet 2009 sur télécopie confirmée le 3 août suivant, présentée par de la Selarl Horus Avocats, pour Mme Véronique A, élisant domicile ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503287 rendu le 4 juin 2009 par le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté sa demande tendant à être indemnisée du préjudice subi du fait du blocage de sa carrière au sein de France Télécom ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et France Télécom à lui verser la somme de 83 125,76 euros, avec intérêts au ta

ux légal à compter de sa demande préalable ;

3°) de mettre solidairement à la charge des in...

Vu la requête, enregistrée le 30 juillet 2009 sur télécopie confirmée le 3 août suivant, présentée par de la Selarl Horus Avocats, pour Mme Véronique A, élisant domicile ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503287 rendu le 4 juin 2009 par le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté sa demande tendant à être indemnisée du préjudice subi du fait du blocage de sa carrière au sein de France Télécom ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et France Télécom à lui verser la somme de 83 125,76 euros, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;

3°) de mettre solidairement à la charge des intimés la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

---------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, notamment son article 6.1 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 modifiée du 2 juillet 1990 ;

Vu le décret n° 58-777 du 25 août 1958 modifié relatif au statut particulier du corps des inspecteurs des postes et télécommunications ;

Vu le décret n° 91-103 du 25 janvier 1991 relatif au statut particulier du corps des inspecteurs de La Poste et du corps des inspecteurs de France Télécom ;

Vu le décret n° 72-420 du 24 mai 1972 portant statut du corps des techniciens des installations des télécommunications ;

Vu le décret n° 90-1231 du 31 décembre 1990 relatif au statut particulier du corps des techniciens des installations de La Poste et du corps des techniciens des installations de France Télécom ;

Vu le décret n° 92-932 du 7 septembre 1992 relatif au statut particulier des corps des techniciens des installations de La Poste et de France Télécom ;

Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;

Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat, en date du 27 janvier 2009, fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 juin 2011 :

- le rapport de Mme Busidan, rapporteur,

- les conclusions de Mme Fedi, rapporteur public,

- et les observations de Me Menceur, de la Selarl Horus Avocats, pour Mme A ;

Considérant que, par lettres datées du 27 janvier 2005, Mme A, membre du corps de reclassement de technicien des installations de France Télécom, titulaire du grade de technicien supérieur, a vainement demandé au président de France Télécom et au ministre de l'économie l'indemnisation de préjudices qu'elle estime avoir subis à cause du blocage de sa carrière, faute en particulier qu'aient été établies des listes d'aptitude lui permettant d'accéder au corps des inspecteurs de France Télécom ; que, saisi par Mme A d'une demande indemnitaire dirigée à la fois contre France Télécom et l'Etat, le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 4 juin 2009, rejeté l'ensemble de sa demande ; que Mme A fait appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'il ressort des écritures présentées par la requérante en première instance qu'elle soutenait, entre autres moyens, que les agents de France Télécom ne pouvaient se voir reprocher de ne pas établir leur valeur professionnelle dans des fonctions supérieures, puisque précisément France Télécom n'avait organisé aucun avancement pour les agents reclassés, qu'elle fournissait les seuls éléments en sa possession et qu'il serait par suite inéquitable de faire peser sur elle la preuve du préjudice lié à la perte de chance sérieuse d'être promue ; qu'en relevant qu'aucune précision à caractère personnel permettant d'établir que des faits précis et déterminés affectant en propre la gestion de la carrière de l'intéressée ou sa situation professionnelle n'assortissait les allégations formulées de manière générale par la requérante, le tribunal administratif de Marseille a suffisamment motivé le rejet du moyen précité au regard de l'argumentation présentée, et n'a pas entaché le jugement, dans la dévolution de la charge de la preuve, d'une méconnaissance des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable ; que, par ailleurs, dès lors qu'ils ont écarté les conclusions indemnitaires présentées devant eux en relevant que n'était pas établi le caractère personnel, réel et certain des préjudices invoqués, les premiers juges, qui n'avaient pas à se prononcer davantage sur les fautes alléguées, ont suffisamment motivé le jugement attaqué ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : 1. Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de l'entreprise nationale France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de France Télécom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification, ne dispensait pas le président de France Télécom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Télécom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Télécom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement, en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés après cette date, le président de France Télécom a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires reclassés non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Télécom, que par l'effet du décret du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les différentes fautes commises par l'Etat et France Télécom sur la période allant de 1993 au 26 novembre 2004 à l'égard des fonctionnaires reclassés sont de nature à entraîner leur responsabilité solidaire ; que, toutefois, elles ne peuvent ouvrir droit à réparation au profit de la requérante qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par elle ;

Sur les préjudices :

Considérant en premier lieu, qu'il n'est pas contesté que Mme A, recrutée en octobre 1975 comme technicien des installations de France Télécom, remplissait, depuis l'année 1995, les conditions statutaires d'âge, de durée et d'ancienneté de services pour être promue dans le corps des inspecteurs de France Télécom ; qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de démarches entreprises par l'intéressée devant la commission d'accès aux documents administratifs puis devant le tribunal administratif de Paris tendant à obtenir la communication de toutes les appréciations et notations depuis 1975 figurant à son dossier, France Télécom lui a fait parvenir, par courrier daté du 28 juin 2010, copies de deux documents relatifs à sa carrière administrative figurant dans son dossier de personnel, dont le plus récent est une fiche individuelle de gestion indiquant qu'elle avait été notée 54 C de 1989 à 1993, notation correspondant à une proposition d'avancement au choix ; que, par ailleurs, il ressort des attestations versées au dossier par l'intéressée, non contestées par France Telecom, émanant de chefs des services où elle a exercé de 1992 à 2008, de deux comptes-rendus individuels portant sur les années 2006 et 2007, ainsi que de lettres de félicitations que France Télécom lui a adressées à plusieurs reprises en reconnaissance de son implication dans des améliorations et innovations techniques possibles, que Mme A travaille avec rigueur et présente une forte capacité multi-technique et d'initiative, ainsi que des qualités relationnelles favorisant le travail en commun ; que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées à un inspecteur, Mme A doit être regardée comme ayant été privée d'une chance sérieuse de promotion en qualité d'inspecteur, si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 ; que, dans ces conditions, Mme A a droit à l'indemnisation du préjudice de carrière résultant de cette perte de chance sérieuse ; qu'il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 20 000 euros ;

Considérant, en second lieu, que l'appelante est également fondée à soutenir qu'elle a droit à une indemnité au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, même dans le cas particulier où l'intéressée n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en lui allouant la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires et à obtenir l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral, ainsi que de son préjudice de carrière ; qu'ainsi, il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner solidairement France Telecom et l'Etat à lui verser une indemnité totale de 22 000 euros, étant précisé que ce montant s'entend en y incluant tous intérêts échus au jour du présent arrêt ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre solidairement à la charge de France Télécom et de l'Etat le versement à Mme A de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que France Télécom présente au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0503287 rendu le 4 juin 2009 par le tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : France Télécom et l'Etat (ministère de l'économie, des finances et de l'industrie) sont condamnés solidairement à verser à Mme A la somme de 22 000 (vingt-deux mille) euros, tous intérêts échus au jour du présent arrêt.

Article 3 : France Télécom et l'Etat verseront solidairement à Mme A une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Véronique A, à France Télécom et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

''

''

''

''

N° 09MA028732


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09MA02873
Date de la décision : 11/07/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: Mme Hélène BUSIDAN
Rapporteur public ?: Mme FEDI
Avocat(s) : SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2011-07-11;09ma02873 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award