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14/06/2010 | FRANCE | N°08PA04731

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8éme chambre, 14 juin 2010, 08PA04731


Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 2008, présentée pour Mme Virginie A, demeurant ..., par Me Delvolvé ; Mme A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0603048/5-2 en date du 10 juillet 2008 du Tribunal administratif de Paris ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande préalable reçue le 9 novembre 2005, par laquelle elle demandait réparation au ministre des affaires étrangères des préjudices causés par l'arrêté du 14 avril 1999 l'affectant d'office à l'administration centrale ;

2°) de condam

ner l'Etat à réparer les préjudices résultant de cet arrêté, en lui versant la so...

Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 2008, présentée pour Mme Virginie A, demeurant ..., par Me Delvolvé ; Mme A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0603048/5-2 en date du 10 juillet 2008 du Tribunal administratif de Paris ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande préalable reçue le 9 novembre 2005, par laquelle elle demandait réparation au ministre des affaires étrangères des préjudices causés par l'arrêté du 14 avril 1999 l'affectant d'office à l'administration centrale ;

2°) de condamner l'Etat à réparer les préjudices résultant de cet arrêté, en lui versant la somme de 315 000 euros, avec intérêts à compter de la demande préalable, et capitalisation desdits intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mai 2010 :

- le rapport de M. Privesse, rapporteur,

- les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public,

- et les observations de Me Delvolvé pour Mme A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A, née le 18 décembre 1948, adjoint administratif de chancellerie, d'abord affectée à l'administration centrale, a ensuite rejoint le 1er janvier 1977 un poste de responsable d'archives et de documentation à l'ambassade de France près le Saint-Siège ; que, par un arrêté du ministre des affaires étrangères du 14 avril 1999, elle a été affectée d'office à nouveau à l'administration centrale à Paris ; que, mariée avec un ressortissant italien et mère d'un enfant résidant à Rome, elle a contesté devant le Tribunal administratif de Paris la validité de cet arrêté sur le fondement de sa situation familiale, un premier jugement du 9 octobre 2003 ayant annulé l'arrêté litigieux ; qu'à la suite d'un arrêt du 23 février 2005 du Conseil d'État rejetant l'admission du pourvoi formé contre ce jugement, celui-ci est devenu définitif ; que par lettre du 8 novembre 2005, l'intéressée a demandé au ministre des affaires étrangères l'indemnisation de son préjudice, à hauteur d'une somme de 315 000 euros, le rejet implicite en résultant ayant été à nouveau déféré devant le Tribunal administratif de Paris, lequel par le jugement attaqué, a rejeté cette demande ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que Mme A soutient que le tribunal n'a pas répondu à ses conclusions de première instance suivant lesquelles la cause directe de sa demande de mise en disponibilité du 27 août 1999, qui a été satisfaite par l'arrêté du 14 septembre 1999 la plaçant en disponibilité, réside dans l'affectation d'office résultant de l'arrêté du 14 avril 1999, déclaré illégal par le jugement susvisé du 9 octobre 2003, et que cette disponibilité contrainte est à l'origine des préjudices subis ; que cependant, si le juge doit répondre à tous les moyens invoqués devant lui, il n'est pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par le requérant à l'appui de ces moyens ; qu'en estimant que le caractère direct du lien entre l'arrêté du 14 avril 1999 et les chefs de préjudice invoqués n'était pas établi, dès lors que c'est à la demande de l'intéressée elle-même que celle-ci a été placée en disponibilité, le tribunal doit être regardé comme ayant répondu au moyen soulevé, même si le raisonnement suivi ne correspondait pas aux attentes de l'intéressée ; qu'il suit de là que Mme A n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'un défaut de réponse à conclusions ; qu'il n'est donc pas irrégulier ;

Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté du 14 avril 1999 :

Considérant que, même si, par une demande du 31 mai 2006, Mme A a sollicité une réintégration dans ses fonctions avec reconstitution de carrière, à compter du 30 septembre 1999 date d'effet de l'arrêté susvisé, ainsi que le rétablissement de ses droits en matière de retraite depuis celui-ci et maintien en fonction sur un poste de la représentation diplomatique à Rome jusqu'à sa retraite, la circonstance que l'autorité hiérarchique ait implicitement rejeté une telle demande, ne fait pas échec à la possibilité pour le fonctionnaire concerné, de contester cette décision implicite opposée à la demande de réintégration qu'il a formée ou, le cas échéant, de présenter des conclusions indemnitaires sur le même fondement ; que la requête de Mme A ne vise qu'à des fins indemnitaires ;

Considérant qu'aux termes de l'article 44 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 susvisé : " La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : ...b) Pour convenances personnelles : la durée de la disponibilité ne peut, dans ce cas, excéder trois années : elle est renouvelable mais la durée de la disponibilité ne peut excéder au total six années pour l'ensemble de la carrière. " ; qu'aux termes de l'alinéa 5 de l'article 49 du même décret : " A l'issue de sa disponibilité, l'une des trois premières vacances dans son grade doit être proposée au fonctionnaire... " ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'arrêté litigieux du 14 avril 1999, Mme A a introduit le 25 juin 1999 une demande auprès du Tribunal administratif de Paris visant à l'annulation de ce même arrêté, et a demandé par une lettre du 27 août 1999, à être placée en disponibilité à compter du 30 septembre 1999 pour convenances personnelles, motivant cette demande de la façon suivante : " comme le sait la direction du personnel, il m'est impossible de rentrer à Paris pour le 30 septembre 1999 ... je sollicite donc, comme me l'a suggéré cette même direction, une mise en disponibilité ... afin de pouvoir rester auprès de mon époux qui est italien et travaille en Italie, et de ma fille de 12 ans ... également scolarisée à Rome. " ; qu'il en résulte que sa demande de mise en disponibilité prononcée par l'arrêté du 14 septembre 1999, cette disponibilité ayant été renouvelée le 29 juin 2004, est la conséquence directe de l'intervention de l'arrêté litigieux ; que l'illégalité de cet arrêté est donc susceptible d'engager la responsabilité de l'État ;

Considérant toutefois qu'il y a lieu de limiter cette responsabilité à la période comprise entre la date d'effet de l'arrêté du 14 avril 1999, soit le 30 septembre suivant, et la date d'expiration de la dernière période de disponibilité accordée avant l'intervention du jugement du 9 octobre 2003, soit le 30 septembre 2004 ; qu'en effet, la demande de disponibilité présentée le 29 juin 2004 pour le renouvellement de celle-ci à compter de septembre 2004, ne se justifiait plus du fait que l'introduction d'un pourvoi en cassation contre le susdit jugement par le ministre des affaires étrangères et européennes, qui sera déclaré non admis en février 2005, ne faisait pas obstacle à l'exécution du jugement lui-même selon l'une des voies précédemment évoquées ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

Considérant qu'en l'absence de service fait, Mme A ne saurait prétendre, en tout état de cause, au rappel de ses traitements à compter du 30 septembre 1999, date de mise en disponibilité, et jusqu'au 1er septembre 2006, date à laquelle l'intéressée a été réintégrée, non rétroactivement, à l'ambassade de France à Rome ; qu'elle est toutefois fondée à demander réparation des préjudices qu'elle a subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du 14 avril 1999, l'ayant conduit à solliciter un placement en disponibilité, entre les dates susmentionnées ;

Considérant que par une demande préalable en date du 8 novembre 2005, Mme A a sollicité la réparation de son préjudice évalué à la somme de 315 000 euros, détaillant celui-ci plus précisément en trois chefs de préjudice, à savoir une perte en matière de traitement et en matière de cotisations d'assurance-maladie estimée à 150 000 euros, une perte en matière de retraite estimée à 150 000 euros, y ajoutant un préjudice moral estimé à 15 000 euros ;

Considérant en premier lieu, que Mme A a droit sur la période précédemment définie, à la différence entre d'une part, la rémunération qu'elle aurait perçue en qualité d'adjointe de chancellerie au 10e échelon comprenant les indemnités de fonction attribuées aux personnels de l'Etat en service à l'étranger qui constituent les accessoires des traitements, nets des cotisations sociales calculées en tenant compte des taux de cotisations sociales en vigueur aux dates de naissance respectives des droits, et d'autre part, les rémunérations qu'elle a perçues pendant la même période provenant des activités qu'elle a exercées au cours de ladite période, que l'intéressée produit en pièce n° 6 ; que la cour ne trouvant pas au dossier les éléments permettant de calculer le montant de la différence nette ainsi définie, il y a donc lieu de renvoyer Mme A devant l'administration aux fins de liquidation de l'indemnité qui lui est due selon les modalités susdécrites ;

Considérant en deuxième lieu que, durant la période précédemment définie, Mme A soutient qu'elle a dû cotiser à titre privé à la mutuelle des affaires étrangères, du fait de la convention fiscale bilatérale franco-italienne du 5 octobre 1989 l'obligeant à payer ses impôts en France, lesdits impôts et cotisations étant ensemble prélevés ; que, non seulement l'intéressée n'établit pas le surcoût allégué, mais encore et en tout état de cause, en vertu du règlement communautaire n° 1408/71 du conseil du 14 juin 1971, Mme A aurait dû être affiliée au régime italien de sécurité sociale puisqu'elle était salariée de droit privé italien durant la période de disponibilité, nonobstant les termes de la convention fiscale susmentionnée ; que dans ces conditions, le moyen selon lequel elle avait tout intérêt à rester affiliée au régime mutualiste français compte tenu des insuffisances du régime italien de sécurité sociale, est inopérant ; que sa demande d'indemnisation de ce chef de préjudice doit dès lors être écartée ;

Considérant en troisième lieu, qu'en ce qui concerne la " perte de retraite ", préjudice résultant de l'absence de cotisations de l'intéressée au régime de retraite des fonctionnaires de l'État durant la période de disponibilité, Mme A soutient sans être utilement contredite qu'à la date du 31 décembre 2005 son nombre d'annuités aurait été de 40 ans, 9 mois et 11 jours en l'absence de l'arrêté du 14 avril 1999 d'affectation d'office en administration centrale, parvenant ainsi à l'âge de 60 ans soit trois ans plus tard, à un nombre d'annuités lui permettant de bénéficier d'une retraite à taux plein ; que le ministre pour sa part fait valoir, que la pension à servir à Mme A à son 60e anniversaire, le 17 décembre 2008, sera de 917, 64 euros, alors que si l'intéressée avait la volonté de maintenir son activité jusqu'à 65 ans, elle aurait pu prétendre à une pension d'un montant de 1 154, 43 euros correspondant à un taux proche du taux plein ; qu'ainsi, il y a lieu de calculer le différentiel entre la pension nette perçue par l'intéressée à la date à laquelle elle a fait valoir ou fera valoir ses droits à la retraite, ci-après dénommée date de retraite, par rapport à la même pension nette qu'elle aurait perçue dans le cadre d'une carrière, exempte de la période du 30 septembre 2004 au 1er septembre 2006, et s'écoulant jusqu'à la date de retraite, ce différentiel étant lui-même estimé sur la période comprise entre la date de retraite et la date correspondant à l'espérance de vie des femmes établie par l'INSEE pour l'année correspondant à la date de retraite ; que l'état de l'instruction ne permettant pas de déterminer exactement le montant de l'indemnité due à la requérante pour ce troisième chef de préjudice, correspondant au versement de la différence susmentionnée et que la cour estime à moins des 150 000 euros demandés, il y a lieu de renvoyer l'intéressée devant le ministre des affaires étrangères et européennes pour qu'il soit procédé à la liquidation de ladite indemnité ;

Considérant enfin, que Mme A demande la réparation de son préjudice moral estimé à 15 000 euros ; qu'eu égard au motif d'illégalité retenu par le tribunal dans le jugement susvisé du 9 octobre 2003 devenu définitif, et lien direct de causalité étant établi entre cette illégalité et les préjudices subis, il y a lieu d'évaluer forfaitairement les troubles en résultant dans les conditions d'existence de Mme A, à la somme de 5 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que le jugement attaqué ayant rejeté l'ensemble des conclusions indemnitaires de Mme A, il y a lieu de l'annuler ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que Mme A a droit aux intérêts au taux légal sur les deux indemnités précédemment retenues et dont le calcul sera effectué par l'administration ainsi que sur l'indemnité pour préjudice moral allouée par le présent arrêt, à compter de la date de réception par celle-ci de sa demande préalable soit le 9 novembre 2005, ainsi qu'à la capitalisation de ces intérêts, demandée dans un mémoire enregistré devant le Tribunal administratif de Paris le 14 mai 2008, les intérêts étant alors dus pour au moins une année entière, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les frais irrépétibles :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à payer à Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0603048/5-2 du Tribunal administratif de Paris en date du 10 juillet 2008 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à Mme A au titre de la période comprise entre le 30 septembre 1999 et le 30 septembre 2004, la somme définie dans les motifs du présent arrêt en réparation de la perte de rémunérations subie durant ladite période, ainsi que la somme représentative de la perte de retraite dont elle a fait l'objet à la date à laquelle elle fera ou a fait valoir ses droits à la retraite, telle que définie également dans les motifs du présent arrêt, hormis la période du 30 septembre 2004 au 1er septembre 2006. Les dites sommes porteront intérêts à compter du 9 novembre 2005. Les intérêts échus à la date du 14 mai 2008 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Mme A est est renvoyée devant l'administration (ministre des affaires étrangères et européennes) aux fins de liquidation, sur les bases indiquées dans le présent arrêt, des deux indemnités susmentionnées relatives à la perte de rémunérations et au préjudice de carrière.

Article 4 : L'Etat (ministre des affaires étrangères et européennes) versera à Mme A, une somme de 5 000 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence, laquelle portera intérêts, eux-mêmes capitalisés, selon les mêmes modalités que celles définies à l'article 2 ci-dessus, ainsi qu'une somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A est rejeté.

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N° 08PA04731


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8éme chambre
Numéro d'arrêt : 08PA04731
Date de la décision : 14/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROTH
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PRIVESSE
Rapporteur public ?: Mme SEULIN
Avocat(s) : GUILLAUME ET ANTOINE DELVOLVE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2010-06-14;08pa04731 ?
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