Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 7 mai 2008, présentée par la VILLE DE MARSEILLE, représentée par son maire en exercice ;
La VILLE DE MARSEILLE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0605890 du 6 mars 2008 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de son maire du 18 août 2006 en tant qu'elle confirme le non-renouvellement du contrat de Mme Agnès A et met à sa charge la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2°) de rejeter les conclusions de première instance de Mme Agnès A ;
La VILLE DE MARSEILLE soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de droit en annulant la décision attaquée de non renouvellement d'un contrat à durée déterminée au motif de son absence de motivation, alors qu'une telle décision n'a pas à être motivée, sauf si elle a été prise pour un motif disciplinaire ;
- il ne peut lui être reproché de n'avoir pas indiqué les motifs de sa décision dans ses écritures de première instance, dès lors que l'intéressée n'a jamais soutenu que la décision attaquée n'aurait pas été prise dans l'intérêt du service ;
- en tout état de cause, le motif du non-renouvellement est la nomination à la place de
Mme A d'un agent titulaire ;
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Vu la directive 99/70/CE CE du 28 juin 1999 concernant l'accord cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
Vu la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 ;
Vu le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;
Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre exceptionnel, les dispositions de l'article 2 du décret n°2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 octobre 2010 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- les conclusions de Mme Fédi, rapporteur public,
- et les observations de Me Chibout pour Mme A ;
Considérant que Mme A a été recrutée par le maire de la commune de Marseille à compter du 13 juin 1991 en qualité d'attaché territorial de 2ème classe non titulaire, par contrat du 20 juin 1991 qui a fait l'objet de renouvellements successifs dont le dernier, daté du 31 décembre 2003, prévoit l'engagement de l'intéressée pour une durée d'un an du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2004 inclus ; que le 14 septembre 2004, le maire a informé l'intéressée de sa décision de ne pas renouveler son contrat à son échéance ; qu'après un premier recours gracieux du 17 novembre 2004, auquel l'administration a répondu le 7 décembre 2004, puis un recours du Mme A du 12 avril 2005, qui s'est vu opposer un rejet le 18 mai 2005, un dernier recours du 1er août 2006 a obtenu une réponse négative confirmant le refus initial de renouvellement du contrat en litige, par la décision attaquée du 18 août 2006 ; qu'aucun des courriers susmentionnés des 7 décembre 2004, 18 mai 2005, et 18 août 2006 ne mentionne les voies et délais de recours ;
Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé pour excès de pouvoir la décision attaquée du 18 août 2006, non pour son insuffisante motivation mais au motif que, si une autorité de nomination compétente ne peut refuser de renouveler un contrat à durée déterminée que pour des motifs de service ou en raison de ce que le comportement de l'agent n'aurait pas donné entière satisfaction, en l'espèce, la VILLE DE MARSEILLE n'avait apporté devant le tribunal aucun motif lui permettant d'apprécier le bien-fondé de la décision en litige, en l'absence de motivation des courriers susmentionnés des 14 septembre 2004 et 18 août 2006, et dès lors qu'elle ne s'est prévalue devant lui d'aucun motif dans ses écritures ; que devant le juge d'appel, la VILLE DE MARSEILLE soutient désormais que le seul motif de la décision attaquée est le remplacement de Mme A, agent contractuel nommé sur un emploi permanent, par un agent titulaire ; que la matérialité de ce motif est effectivement établie par les pièces du dossier ; qu'il appartient à la Cour de statuer dans ces conditions sur la légalité de ce motif ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée: "La présente directive vise à mettre en oeuvre l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP)." ; qu'aux termes de l'article 2 de cette directive : " Les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s'assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, les Etats membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. Ils en informent immédiatement la Commission. Les Etats membres peuvent, si nécessaire, et après consultation des partenaires sociaux, pour tenir compte de difficultés particulières ou d'une mise en oeuvre par convention collective, disposer au maximum d'une année supplémentaire " ; qu'aux termes des stipulations de la clause 4, relative au principe de non discrimination, de l'accord-cadre que la directive a pour objet de mettre en oeuvre : " 1. Pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. (...) 3. Les modalités d'application de la présente clause sont définies par les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux, et/ou par les partenaires sociaux, compte tenu de la législation Communautaire et de la législation, des conventions collectives et pratiques nationales. (..) " ; et qu'aux termes des stipulations de la clause 5 du même accord-cadre, relative aux mesures visant à prévenir l'utilisation abusive des contrats à durée déterminée : "1. Afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. 2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c'est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée : a) sont considérés comme "successifs" ; b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée." ;
Considérant qu'il résulte de l'arrêt C-212/04 du 4 juillet 2006 de la Cour de justice des communautés européennes que ces dispositions doivent être interprétées en ces sens, en premier lieu, que l'accord-cadre s'oppose à l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs qui serait justifiée par la seule circonstance qu'elle est prévue par une disposition législative ou réglementaire générale d'un Etat membre, en deuxième lieu, que l'accord-cadre impose que le recours au contrat à durée déterminée soit justifié par l'existence d'éléments concrets tenant notamment à l'activité en cause et aux conditions de son exercice, en troisième lieu, et pour autant que l'ordre juridique interne de l'État membre concerné ne comporte pas, dans le secteur considéré, d'autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner, l'utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs, que ledit accord-cadre fait obstacle à l'application d'une réglementation nationale qui interdit d'une façon absolue, dans le seul secteur public, de transformer en un contrat de travail à durée indéterminée une succession de contrats à durée déterminée qui, en fait, ont eu pour objet de couvrir des "besoins permanents et durables" de l'employeur et doivent être considérés comme abusifs, enfin, en quatrième lieu et dans l'hypothèse de la transposition tardive dans l'ordre juridique de l'État membre concerné d'une directive ainsi que de l'absence d'effet direct des dispositions pertinentes de celle-ci, que les juridictions nationales sont tenues, dans toute la mesure du possible, d'interpréter le droit interne, à partir de l'expiration du délai de transposition, à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause aux fins d'atteindre les résultats poursuivis par cette dernière, en privilégiant l'interprétation des règles nationales la plus conforme à cette finalité pour aboutir ainsi à une solution compatible avec les dispositions de ladite directive ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 3 du la loi susvisée n° 84-53
portant statut de la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable lors du premier refus de renouvellement du contrat de l'intéressé le 14 septembre 2004 confirmé le 7 décembre 2004 après recours gracieux : " Les collectivités et établissements mentionnés à l'article 2 ne peuvent recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents que pour assurer le remplacement momentané de titulaires autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d'un congé de maladie, d'un congé de maternité ou d'un congé parental, ou de l'accomplissement du service national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux, ou pour faire face temporairement et pour une durée maximale d'un an à la vacance d'un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la présente loi. Ces collectivités et établissements peuvent, en outre, recruter des agents non titulaires pour exercer des fonctions correspondant à un besoin saisonnier pour une durée maximale de six mois pendant une même période de douze mois et conclure pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une seule fois à titre exceptionnel, des contrats pour faire face à un besoin occasionnel. Des emplois permanents peuvent être occupés par des agents contractuels dans les mêmes cas et selon les mêmes conditions de durée que ceux mentionnés à l'article 4 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. " ; et qu'aux termes de l'article 4 de la loi susvisée n° 84-16 portant statut de la fonction publique de l'Etat dans sa rédaction applicable lors du premier refus de renouvellement du contrat de l'intéressé le 14 septembre 2004 confirmé le 7 décembre 2004 après recours gracieux : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 du titre Ier du statut général, des agents contractuels peuvent être recrutés dans les cas suivants : 1° Lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations de l'Etat à l'étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. Les agents ainsi recrutés sont engagés par des contrats d'une durée maximale de trois ans qui ne peuvent être renouvelés que par reconduction expresse. " ;
Considérant qu'à la date du premier refus de renouvellement du contrat de l'intéressée le 14 septembre 2004, confirmé le 7 décembre 2004 après recours gracieux, les dispositions des articles 3 et 4 précités, avant qu'elles ne soient complétées par les dispositions de la loi
n° 2005-843 du 26 juillet 2005 transposant notamment la directive 1999/70/CE susmentionnée du Conseil, ne limitaient ni la durée maximale totale de contrats de travail à durée déterminée successifs, ni le nombre de renouvellements de ces contrats ; qu'elles ne permettaient pas aux collectivités territoriales, sauf disposition législative spéciale contraire, de conclure des contrats à durée indéterminée en vue de recruter des agents non titulaires ; que cette interdiction n'était pas justifiée par l'existence d'éléments suffisamment concrets et objectifs tenant à la nature des activités exercées et aux conditions de leur exercice ; qu'ainsi, Mme A est fondée à soutenir que lesdites dispositions n'étaient pas compatibles avec les objectifs posés par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, laquelle devait faire l'objet d'une transposition au plus tard le 10 juillet 2001 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A a été recrutée de façon continue par la ville de Marseille sur une période totale continue de plus de treize ans, du
13 juin 1991 au 31 décembre 2004, en qualité d'attachée territoriale de 2ème classe non titulaire, par contrats à durée déterminée dont les renouvellements successifs ont permis de couvrir les besoins permanents et durables de la collectivité, à la division foncière puis à la direction des sports ; que, dans ces conditions, Mme A est fondée à soutenir que la décision de ne pas renouveler son contrat a été prise sur le fondement de dispositions incompatibles avec les objectifs de la directive 1999/70/CE du Conseil, qui vise à prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs ; que, compte de la durée d'engagement continue de Mme A sur un emploi permanent pour exercer les mêmes fonctions et au cours de laquelle elle a donné entière satisfaction, l'intéressée doit être regardée au 31 décembre 2004 comme bénéficiant d'une contrat à durée indéterminée ; qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée, qui doit par suite être regardée comme un licenciement en cours de contrat, a été prise, non pour un motif disciplinaire ou de réorganisation du service ou au motif d'une insuffisance professionnelle de l'intéressée, mais au seul motif que l'emploi permanent qu'elle occupait en qualité de contractuelle devait être pourvu par un agent titulaire ; que ce motif ne permet pas à lui seul d'évincer dans l'intérêt du service un agent sous contrat à durée indéterminée, eu égard à la nécessaire protection des droits qu'il a acquis du fait de son contrat ; qu'il s'ensuit que la décision attaquée est entachée d'une illégalité interne de nature à justifier son annulation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la ville appelante n'est pas fondée à se plaindre que le tribunal a annulé la décision attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la partie intimée, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à l'appelante la somme demandée au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'appelante la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Mme A ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la VILLE DE MARSEILLE est rejetée.
Article 2 : La VILLE DE MARSEILLE versera à Mme A la somme de
1 500 (mille cinq cents) euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la VILLE DE MARSEILLE, à Mme Agnès A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
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N° 08MA023952