LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche, qui est recevable comme étant de pur droit :
Vu l'article 6 paragraphe 1 de la directive n° 2000/78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;
Attendu, selon ce texte, que nonobstant l'article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été employée à compter du 26 mai 1986 par l'Opéra national de Paris en qualité de régisseur de production, puis de chef du service patrimoine ; que par lettre du 27 janvier 2005, l'employeur lui a notifié sa mise à la retraite, à l'âge de 60 ans, conformément aux dispositions de l'article 6 du décret n° 68-382 du 5 avril 1968, modifié le 16 octobre 1980, portant statut de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris ; que soutenant qu'en vertu de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, primant sur ce décret, sa mise à la retraite n'était possible, en l'absence de dérogation prévue par un accord collectif, que si elle avait atteint l'âge de 65 ans et que cette mesure constituait une discrimination à raison de l'âge, s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la salariée a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour débouter Mme X... de sa demande, l'arrêt retient que sa mise à la retraite était régie exclusivement par l'article 6 du décret du 5 avril 1968 et que l'intéressée remplissait les conditions d'âge et d'ancienneté requises ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater que, pour la catégorie d'emploi de cette salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, la cour d'appel, qui devait appliquer la directive communautaire consacrant un principe général du droit de l'Union, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne l'Opéra national de Paris aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme X... à payer à l'Opéra national de Paris la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Coutard, Mayer et Munier-Apaire, avocat aux conseils pour Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR jugé que la mise à la retraite d'office de Madame X... à l'âge de 60 ans ne constituait pas un licenciement et D'AVOIR, en conséquence, débouté la salariée de ses demandes en paiement d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE lorsque le régime de retraite est régi par un régime spécial prévu par une loi, celle-ci est seule applicable ; qu'en l'espèce, le régime spécial de retraite a été prévu par le décret du 5 avril 1968, modifiant le statut des caisses de retraites des personnels de l'Opéra et de l'Opéra comique qui a été pris pour l'application de la loi du 14 janvier 1939 portant création de la réunion des théâtres lyriques nationaux ; que l'article 6 de ce décret prévoit l'ouverture des droits à pension à 60 ans après quinze années de services civils effectifs au théâtre valables pour la retraite de la catégorie professionnelle concernant Madame Victoria X... ; que la loi du 21 août 2003, qui a modifié l'article L 1237-5 (anciennement article L122-14-13) du Code du travail, n'a pas remis en cause les régimes spéciaux de retraite et donc celui de l'Opéra ; qu'il s'ensuit que l'article L 1237-5 du Code du travail n'est pas applicable à Madame Victoria X... qui demeure exclusivement régie par le régime spécial concernant les personnels de l'Opéra ; qu'aux termes de l'article L 1237-4 (anciennement article L 122-14-12) du Code du travail, « les stipulations relatives au départ à la retraite des salariés prévues par une convention collective, un accord collectif de travail ou un contrat de travail sont applicables sous réserve qu'elles ne soient pas contraires aux dispositions légales. Sont nulles toute stipulation d'une convention ou d'un accord collectif de travail et d 'un contrat de travail prévoyant une rupture de plein droit du contrat de travail d 'un salarié en raison de son âge ou du fait qu'il serait en droit de bénéficier d'une pension de vieillesse » ; qu'en l'occurrence, les dispositions rendant automatique la rupture du contrat de travail ne figurant pas dans l'article 17 de la convention collective qui se borne à renvoyer aux règles applicables à la caisse de retraite de l'Opéra de Paris, mais dans le statut particulier applicable à l'Opéra, sont licites dans la mesure où elles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article L 1237-4 (anciennement article L 122-14-12) du Code du travail ; qu'il s'ensuit que la mise à la retraite de la salariée, distincte d'un licenciement, était régie exclusivement par l'article 6 du décret du 5 avril 1968 précité et que l'intéressée remplissait les conditions d'âge et d'ancienneté permettant à l'employeur de la mettre à la retraite, sans que par ailleurs, il soit nécessaire de se prononcer sur la norme la plus favorable ; qu'en conséquence, Madame Victoria X... doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes
ALORS, D'UNE PART, QUE constitue un licenciement nul, la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur fondée sur l'âge du salarié, à un moment où celui-ci ne peut bénéficier d'une pension de retraite à taux plein; que la loi du 21 août 2003, portant réforme des retraites, fixant à 65 ans l'âge auquel un salarié bénéficie de la retraite à taux plein, même s'il ne justifie pas de la durée requise d'assurance dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires et garantissant aux assurés le bénéfice d'un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils relèvent, prohibe ainsi la mise à la retraite à 60 ans d'un salarié, ne bénéficiant pas d'une retraite à taux plein et ce, quel que soit son régime de retraite; qu'en l'espèce pour juger le contraire, la cour d'appel, s'est bornée à affirmer que le décret du 5 avril 1968 portant statut de la caisse de retraite des personnels de l'opéra national de Paris ouvrait à 60 ans le droit à pension de ses salariés après 15 années de services civils effectifs et n'entrait pas dans le champ d'application de l'article L. 1237 - 4 du code du travail, sans constater que Madame X... bénéficiait d'une retraite à taux plein, et sans rechercher si la rupture de son contrat à l'âge de 60 ans ne constituait pas un licenciement la privant du droit de tout assuré à bénéficier d'un traitement équitable afin de cotiser jusqu'à 65 ans pour percevoir une pension à taux plein ; que l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard du principe de non discrimination, de la directive n° 2000/78 du 27 novembre 2000, des articles 3 de la loi du 21 août 2003, L 1132 - 1, L 1133 - 1 et L 1237- 4 du code du travail et L 351-8 du code de la sécurité sociale;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE la loi du 21 août 2003 «portant réforme des retraites » et qui fixe à 65 ans l'âge de la mise à la retraite s'applique aux régimes spéciaux de la fonction publique définie par l'article R 711-1 du Code de la sécurité sociale ; qu'ainsi, son application n'est pas exclusive de celle des statuts régissant la retraite des entreprises publiques visées à l'article R 711-1 de ce code ; qu'en affirmant, en l'espèce, que « l'article L 1237-5 du Code du travail n'est pas applicable à Madame Victoria X... qui demeure exclusivement régie par le régime spécial concernant les personnels de l'Opéra », alors que Madame X..., bien que soumise à un régime spécial de retraite déterminé par décret, pouvait revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article L 1237-5 du Code du travail, telles qu'issues de la loi du 21 août 2003, et s'opposer ainsi à sa mise à la retraite avant l'âge de 65 ans, la Cour d'appel de Paris a violé les nouvelles dispositions des articles L 1237-4 et L1237-5 du Code du travail ;
ALORS, EN OUTRE, QU' en vertu du principe fondamental du droit du travail selon lequel la situation des salariés doit être régie, en cas de conflit de normes, par celle qui est la plus favorable, la cour d'appel devait rechercher si les statuts de la caisse de retraite des personnels de l'opéra national de Paris ouvrant le droit à pension par anticipation à partir de 60 ans, moyennant des coefficients de réduction, étaient plus favorables que l'article L 122-14-13 du code du travail (devenue les articles L 1237-4 à L 1237-10) ; qu'en s'y refusant en l'espèce, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé, ensemble, l'article 34 de la Constitution, le principe susvisé, les dispositions précitées et l'article L 1221-1 du code du travail ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'est interdite toute différence injustifiée de traitement fondée sur l'âge ; qu'en l'espèce, mise d'office à la retraite par l'Opéra de Paris, du seul fait de ses soixante ans, Madame X... a été privée de facto de la possibilité d'améliorer ses droits à la retraite, contrairement aux agents de la fonction publique dont la mise à la retraite ne peut être prononcée avant l'âge de 65 ans ; qu'ainsi, en affirmant que « les dispositions rendant automatique la rupture du contrat de travail à l'âge de 60 ans (...) étaient licites dans la mesure où elle n 'entr aient pas dans le champ d 'application de l'article L 123 7-4 du Code du travail » et que « l'intéressée remplissait les conditions d 'âge et d 'ancienneté permettant à l'employeur de la mettre à la retraite », la Cour d'appel de Paris, qui n'a pas constaté que cette différence de traitement du personnel de l'opéra de Paris était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime, a violé, ensemble, les principes d'égalité et de non discrimination des salariés, l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que la directive n°2000/78 du 27 novembre 2000 «portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d 'emploi et de travail », l'article 3 de la loi du 21 août 2003 et l'article L 1132-1 du code du travail.