LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente mai deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MÉNOTTI, les observations de Me CARBONNIER et de la société civile professionnelle Le GRIEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL ;
REJET ET IRRECEVABILITE des pourvois formés par le procureur général près la cour d'appel de Colmar, l'association grande mosquée de Srasbourg, la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 11 mai 2006, qui a relaxé Patrick X... du chef de provocation à la discrimination religieuse, a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la deuxième et débouté la troisième de ses demandes ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-Sur le pourvoi formé par l'association grande mosquée de Strasbourg :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II-Sur les autres pourvois :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour la LICRA, pris de la violation des articles 23,24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Patrick X... du chef de provocation à la discrimination nationale, raciale ou religieuse ;
" aux motifs qu'il convient de rechercher si le tract provoque "... à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée... " ; que, plus précisément, il convient de rechercher s'il provoque à la discrimination et à la haine à l'égard des musulmans demeurant en Alsace et des personnes supposées y pratiquer cette religion ; que le fait que les musulmans de France ou encore d'Alsace constituent un groupe protégé par la loi en raison de son appartenance à une religion ne fait pas difficulté ; qu'il s'agit bien au sens de la loi d'un groupe appartenant à la religion de l'Islam et pratiquant la religion musulmane ; que le contenu du tract lui-même s'analyse en un texte virulent d'opposition de nature politique au financement partiel (25 %) du coût de la grande mosquée strasbourgeoise par une subvention de 423 874 euros du conseil régional ainsi que de la ville et du conseil général ; qu'il est accompagné d'un dessin représentant deux paysans priant dans la campagne en direction d'un minaret ; qu'il ne critique pas la religion musulmane en elle-même ni ceux qui la pratiquent ; que le dessin qui l'assortit relève de la dérision ; qu'il peut choquer les membres de la communauté musulmane mais n'incite pas à leur égard à la discrimination, à la haine ou à la violence ; qu'il insiste sur le défaut de réciprocité du don et sur le comportement hostile aux chrétiens imputé à d'autres pays, parle de la république islamiste au sujet de l'action de l'UMPS ; que ces considérations sont d'ordre politique et dénoncent cette action en ce qu'elle est, selon les auteurs du tract, favorable à l'islam pris en tant que religion dont les pratiquants ne sont pas visés en tant que tels ; que la critique porte sur la décision de financer un lieu de culte mais n'a pas pour objet de stigmatiser ceux qui pratiquent ce culte, de manière à les exposer à la haine d'autrui ; que l'infraction n'est pas constituée " (arrêt, page 6) ;
" alors que constitue une provocation tout propos susceptible d'inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ; que le délit de provocation, exclusif de toute bonne foi, est caractérisé lorsque, tant par son sens que par sa portée, le texte incriminé tend à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations des juges du fond que Patrick X... a écrit et signé un tract intitulé " Pas de cathédrale à la Mecque, pas de mosquée à Strasbourg " dénonçant la subvention accordée par le conseil régional d'Alsace en vue de la construction d'une mosquée à Strasbourg, aux termes duquel il est mentionné : " Au Kosovo, les églises sont brûlées ou transformées en mosquées ", " La République islamiste, l'UMPS la fait ", " Je soutiens votre combat contre l'islamisation de l'Alsace " ; que ce texte était accompagné d'un dessin, inspiré de l'Angélus de Millet, représentant dans la campagne alsacienne, deux agriculteurs ayant cessé leur travail pour se prosterner vers un minaret ; que tant les propos que le dessin figurant sur le tract tendaient manifestement à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les musulmans, en ce que ces derniers étaient présentés comme brûlant les églises ou les transformant en mosquées, voulant instituer une République islamiste, souhaitant l'islamisation de l'Alsace, le dessin illustrant cette transformation de la société ; qu'en jugeant qu'il s'agissait là que de considérations d'ordre politique, ne visant pas l'islam pris en tant que religion, les pratiquants n'étant pas visés en tant que tels, c'est en violation des textes susvisés et en contradiction avec ses propres constatations que la cour d'appel a déclaré que le texte retenu par la citation ne visait pas la communauté musulmane " ;
Sur le moyen unique de cassation du procureur général de la cour d'appel de Colmar, pris de la violation des articles 23,24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite du vote, par le conseil régional d'Alsace, d'une subvention en vue de la construction d'une mosquée à Strasbourg, Patrick X... et Xavier Y..., conseillers régionaux, ont diffusé un tract intitulé " Pas de cathédrale à la Mecque, pas de mosquée à Strasbourg ", dénonçant ce financement et appelant le public à protester contre celui-ci ; que cités directement devant le tribunal correctionnel, du chef de provocation à la discrimination religieuse, Patrick X... et Xavier Y... ont été retenus dans les liens de la prévention et condamnés à réparer le préjudice subi par la LICRA ; que seul Patrick X... a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et renvoyer ce dernier des fins de la poursuite, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que les propos dénoncés n'excédaient pas les limites admissibles à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
DECLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale, présentée par la LICRA ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, M. Beyer, Mmes Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin conseillers de la chambre, Mme Lazerges conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Charpenel ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;