AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf juillet deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Bakanadio,
- Y... Pedro,
- Z... Léna,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 26 mars 2003, qui, dans l'information suivie contre eux pour trafic de stupéfiants, a rejeté leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 16 mai 2003 joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;
I - Sur le pourvoi de Léna Z... ;
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II - Sur les pourvois de BaKanadio X... et Pedro Y... ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'article L. 112-2 du Code pénal, des articles 62-1, 973, 593 et 706-57 et suivants du Code de procédure pénale, de l'article 57 de la loi du 15 novembre 2001 ;
"en ce que la chambre de l'instruction a dit n'y avoir lieu à annulation ;
"aux motifs, d'une part, que l'article 706-57 se substituant à l'ancien article 62-1 prévoit que des personnes peuvent témoigner en déclarant comme domicile, avec l'autorisation du procureur de la République, l'adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie ;
que cette disposition exige, en tant que de besoin, pour être applicable, ainsi que le prévoit l'article 706-60 du Code de procédure pénale, des dispositions réglementaires concernant notamment les conditions d'application de cet article ; que ces dispositions n'ont pas encore été prises ; qu'en conséquence l'article 706-57 du Code de procédure pénale n'était pas en vigueur lors de l'établissement du procès-verbal du 8 août 2002 ; que, par ailleurs, les articles 706-58 et suivants sur la procédure de recueil de déclarations d'une personne sans que son identité apparaisse prévoient l'autorisation du juge des libertés préalable à une telle audition, un recours devant le président de la chambre de l'instruction et certaines modalités de confrontation ; que la loi a prévu qu'un décret préciserait en tant que de besoin les conditions d'application de ces dispositions ; que, s'agissant d'une procédure aménageant un équilibre entre la protection des témoins et les droits de la défense, ceux-ci devant être protégés dans le strict respect des règles de la Convention européenne des droits de l'homme, sa mise en application est subordonnée à l'édiction de toutes les règles nécessaires à son application, notamment quant aux modalités de présentation de la requête prévues par l'article 706-58 au juge des libertés et de la détention ; que les dispositions de l'article 706-58 ne s'imposaient donc pas lors de l'établissement du procès-verbal du 8 août 2002 ;
"alors, d'une part, qu'une loi est exécutoire dès sa publication en l'absence de dispositions formelles subordonnant expressément ou nécessairement son exécution à une condition déterminée ; que l'article 57 de la loi du 15 novembre 2001, qui n'a fixé aucune date particulière pour son entrée en vigueur, n'a pas subordonné l'application des mesures qu'il prévoit pour la protection des témoins, et qui sont aussi des garanties pour les droits de la défense, à l'intervention d'un décret qui n'est visé "qu'en tant que de besoin", et que les mesures législatives sont suffisamment claires et précises pour pouvoir entrer immédiatement en application ;
qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"et aux motifs, d'autre part, qu'aux termes de l'article 57-II de la loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001, les premier et troisième alinéas de l'article 62-1 du Code de procédure pénale sont supprimés ; que cette abrogation a immédiatement pris effet, en l'absence de dispositions la différant ;
"alors, d'autre part, qu'en supposant que l'entrée en vigueur de l'article 57 de la loi du 15 novembre 2001 soit subordonnée à l'édiction d'un décret, les dispositions des premier et troisième alinéas de l'article 62- 1 du Code de procédure pénale sont restées en vigueur, et la chambre de l'instruction devait apprécier la régularité de l'audition litigieuse au regard de ce texte" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 8 août 2002, un fonctionnaire de police a établi un procès-verbal relatant qu'une personne souhaitant garder l'anonymat lui avait livré des informations sur un possible trafic d'héroïne ou de cocaïne ;
qu'après quelques investigations sommaires, effectuées en enquête préliminaire, le procureur de la République a ouvert une information du chef de trafic de stupéfiants ; que Bakanadio X... et Pedro Y..., mis en examen de ce chef, ont demandé à la chambre de l'instruction, saisie en application de l'article 173 du Code de procédure pénale, l'annulation du procès-verbal initial et de la procédure subséquente en faisant valoir, notamment, que les déclarations d'un témoin anonyme ne pouvaient être recueillies sans que fussent respectées les dispositions des articles 706- 57 et suivants du Code de procédure pénale issues de la loi n? 2001- 1062 du 15 novembre 2001 ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, la chambre de l'instruction prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, c'est à tort que la chambre de l'instruction a énoncé que l'entrée en vigueur des dispositions issues de la loi du 15 novembre 2001 avait été subordonnée, par l'article 706-63 du code précité, à un décret en Conseil d'Etat et qu'en l'absence d'un tel décret à la date d'établissement du procès-verbal critiqué, ces dispositions n'étaient pas applicables à cette date ;
Que, d'une part, en prévoyant qu'un décret en conseil d'Etat préciserait "en tant que de besoin" les conditions d'application des dispositions du titre XXI du livre IV du Code de procédure pénale relatives à la protection des témoins, l'article 706-63 de ce Code n'a pas subordonné à la parution d'un tel décret l'entrée en vigueur de ces dispositions, par ailleurs suffisamment claires et précises pour être appliquées immédiatement ; qu'au demeurant, jusqu'à l'entrée en vigueur des nouveaux textes réglementaires d'application, issus du décret n° 2003-455 du 16 mai 2003, l'article R.15-33-61 du Code de procédure pénale, édicté pour l'application des premier et troisième alinéas de l'article 62-1 ancien de ce code abrogés par la loi précitée, est demeuré applicable pour la mise en oeuvre de l'article 706-57 nouveau reprenant la teneur des dispositions légales abrogées ;
Que, d'autre part et en tout état de cause, un procès-verbal d'audition de témoin ne révélant pas l'identité de celui-ci ne peut être tenu pour régulier au seul motif qu'il aurait été établi avant l'entrée en vigueur des articles 706-58 à 706-62 du Code de procédure pénale, dès lors que ces textes ont eu pour objet d'autoriser, sous les conditions qu'ils prévoient, l'établissement d'un tel procès-verbal ;
Attendu que, toutefois, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure, dès lors que la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen des pièces de la procédure soumises à son contrôle, que le procès-verbal critiqué, qui rapportait des informations obtenues par un policier auprès d'une personne désirant conserver l'anonymat, constituait, non un procès-verbal d'audition de témoin entrant dans les prévisions des articles 706-57 et suivants du Code de procédure pénale, mais un procès- verbal de renseignements destiné à guider d'éventuelles investigations sans pouvoir être retenu lui-même comme un moyen de preuve ;
D'où il suit que, pour ces motifs substitués à ceux de l'arrêt attaqué, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;