AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a fait citer devant cette juridiction statuant en matière disciplinaire M. X..., greffier du tribunal de commerce de cette ville, pour avoir dénoncé à la commission d'enquête parlementaire sur les tribunaux de commerce, sans aucun commencement de preuve, qu'un "contrat" aurait été lancé contre sa personne, mettant en cause à cette occasion le procureur de la République qui aurait fait fi de la plainte, alors même qu'une enquête avait été diligentée et les résultats portés à sa connaissance ; qu'il était encore reproché à M. X... d'avoir mis en cause de manière fantaisiste et sans le moindre commencement de preuve, le procureur de la République en ce que, ayant attiré l'attention de celui-ci par l'envoi d'un rapport sur des points qui lui paraissaient anormaux dans une procédure collective, il déclarait à la commission ne pas avoir eu de réponse en ces termes : "la seule chose que le procureur avait su faire, c'était de renvoyer le dossier au président du tribunal de commerce en lui disant que ce n'était pas normal que son greffier agisse comme ça", alors que l'enquête effectuée avait révélé qu'à la suite de ce rapport, le procureur de la République avait précisément attiré l'attention du président du tribunal de commerce ; que l'arrêt confirmatif attaqué (Pau, 4 février 2002) a prononcé à l'encontre de M. X... la sanction disciplinaire de l'avertissement ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé cette sanction, alors que "ne peut être considéré comme indépendant et impartial le tribunal dont le représentant du ministère public est à la fois partie poursuivante et partie à l'instance, de sorte qu'en déclarant impartial le tribunal dont le procureur a décidé de poursuivre disciplinairement un greffier, dont le témoignage devant une commission d'enquête parlementaire l'avait mis personnellement en cause, et par conséquent requis à l'audience sur des faits qui le concernait directement, la cour d'appel aurait violé l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe d'impartialité des juridictions" ;
Mais attendu que l'exigence d'impartialité ne s'applique pas aux représentants du ministère public qui ne participent pas au jugement ;
que le moyen est dépourvu de fondement ;
Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen :
1 / que l'ordre de la loi et le commandement de l'autorité légitime imposent que l'immunité couvrant les discours prononcés et les écrits produits devant les tribunaux, destinés à garantir aussi bien la liberté de la défense que la sincérité des auditions, bénéficient au témoin appelé à témoigner sous serment devant une commission d'enquête parlementaire ; qu'en retenant néanmoins une faute disciplinaire à l'encontre d'un greffier, du fait de ses déclarations devant la commission relative au fonctionnement des tribunaux de commerce, la cour d'appel a violé les principes susvisés, ensemble les articles 41 de la loi du 29 juillet 1881, 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, 434-13 à 434-15 du Code pénal ;
2 / que les déclarations faites sous serment devant une commission d'enquête parlementaire bénéficient de l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 qui couvre les discours tenus dans le sein du Parlement ; que faute d'avoir fait application de cette règle d'ordre public, la cour d'appel a violé la disposition susvisée ;
Mais attendu, d'une part, que l'immunité accordée aux discours prononcés et aux écrits produits devant les tribunaux par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, destinée à garantir aussi bien la liberté de la défense que la sincérité des auditions, est applicable, sauf le cas où ils sont étrangers à la cause, aux propos tenus devant les juridictions d'instruction comme de jugement ; que ne constituent pas des tribunaux au sens de ce texte les commissions d'enquête parlementaires ;
que, d'autre part, l'immunité parlementaire étant strictement définie par le même texte, ne peut être étendue en dehors de ses prévisions et notamment aux personnes appelées par ces commissions ; que c'est dès lors à bon droit que l'arrêt n'a pas fait application en la cause des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 aux auditions de M. X... ; qu'aucune des deux branches du moyen n'est fondée ;
Sur les trois dernières branches du même moyen :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen :
1 / qu'il ne peut être qualifiée de manquements aux règles professionnelles l'interrogation émise par un greffier sur le traitement d'une affaire pénale par un membre du Parquet devant une commission d'enquête parlementaire, lorsque malgré les diverses sollicitations de déposant, le parquetier a refusé de l'informer des suites données à sa plainte ; qu'en l'espèce, M. X... s'était borné à affirmer devant la commission que, suite au rapport qu'il avait adressé au procureur de la République au sujet des malversations commises par un mandataire-liquidateur du Tribunal, le représentant du Parquet n'avait pas réagi ; qu'ayant constaté que le procureur de la République avait refusé, de façon répétée, d'informer M. X... des suites qu'il avait donné à sa plainte, la cour d'appel ne pouvait condamner le greffier, qui exprimait un doute légitime sur le traitement de son dossier, pour manquement aux obligations de discrétion, de réserve, de prudence, à l'honneur et à la probité, sans omettre de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, violer l'article L. 822-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
2 / que ne peuvent être qualifiées de manquements aux règles professionnelles les réponses erronées d'un greffier apportées en toute bonne foi aux questions posées par les membres d'une commission parlementaire, lorsque l'auteur de ces déclarations ne disposait d'aucun moyen d'en vérifier la véracité ; qu'en l'espèce, M. X... avait déclaré à la commission que, suite au rapport qu'il avait adressé au procureur de la République pour dénoncer les malversations constatées dans l'affaire Y..., M. Z... avait simplement renvoyé le dossier au président du tribunal de commerce en se plaignant de l'attitude du greffier ; qu'ayant constaté que M. X..., au jour de son témoignage, n'avait pas connaissance de l'inexactitude matérielle de sa déclaration, le procureur ne l'ayant pas informé de ses diligences, la cour d'appel ne pouvait pas reprocher au greffier d'avoir manqué à ses obligations professionnelles sans omettre de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, violer l'article L. 822-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
3 / que, contrairement aux affirmations des juges du fond, les comportements reprochés au greffier ne sauraient constituer des manquements à la probité et à l'honneur et, partant, doivent bénéficier de l'amnistie des sanctions disciplinaires instaurées par l'article 11 de la loi du 6 août 2002 ;
Mais attendu que l'arrêt constate que le procureur de la République, qui, contrairement à l'affirmation de M. X..., avait donné suite à sa plainte, n'était nullement tenu de lui donner l'information que celui-ci avait demandée par voie de sommation ; que l'arrêt, dont il résulte qu'il appartenait à M. X... d'indiquer aux membres de la commission d'enquête parlementaire ces seuls faits objectifs, retient ensuite que les déclarations selon lesquelles le procureur de la République avait "fait fi" de sa plainte, pouvaient laisser supposer à la commission d'enquête que le procureur de la République, non seulement n'entendait donner aucune suite à sa plainte, mais aussi avait l'intention de protéger d'une certaine façon M. A..., mandataire judiciaire ; que la cour d'appel a, en conséquence, pu retenir que le greffier en chef avait commis un manquement aux obligations de discrétion, de réserve et de prudence que lui imposait sa charge, et a exactement décidé que ces manquements étaient contraires à l'honneur, de sorte que l'intéressé ne pouvait bénéficier de la loi d'amnistie ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille quatre.