AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que le 25 octobre 1985, Mme X..., propriétaire d' un tableau de l'école française du XVIIe siècle, a requis la société civile professionnelle Perrin-Royère-Lajeunesse (la SCP), commissaire priseur, pour le vendre aux enchères publiques dans les six mois ; que l'acte chargeait l'officier ministériel d'une mission préalable de recherches et investigations par tout expert, sachant ou procédé scientifique, aux fins de déceler l'origine de l'oeuvre et la dire de l'atelier de Nicolas Poussin ou du maître lui-même, stipulait à ce propos l'assistance des experts Y... et Z..., et fixait un prix de réserve à 100 000 francs ; que le tableau a été présenté au catalogue sous les formules "Atelier de Nicolas Poussin, La fuite en Egypte, huile sur toile", suivies, références bibliographiques à l'appui, des indications selon lesquelles les spécialistes considéraient l'oeuvre originale comme perdue, à moins, selon l'un d'eux, qu'elle ne figurât dans une collection suisse ; qu'estimé entre 150 000 ou 200 000 francs, il a été adjugé le 2 mars 1986 pour le prix de 1 600 000 francs à la société Galerie Pardo, avant de devenir, en conséquence de la liquidation amiable de celle-ci, la propriété indivise de MM. Richard et Robert A... ;
Attendu que la venderesse, convaincue en 1994, par la lecture de publications relatives à Poussin et relatant les opinions nouvelles de personnes qualifiées, que le tableau était de la main de l'artiste, a, en 1995, assigné MM. A... et le mandataire ad hoc de la galerie liquidée, en nullité de la vente, et la SCP et M. Z... en responsabilité ; qu'un premier arrêt (Paris, 27 février 1998), frappé par ceux-ci de deux pourvois rejetés par la Cour de Cassation (Civ1, 27 juin 2000, D 98-15.483 et E 98-15.714), après avoir énoncé en son dispositif qu'"aucun aléa permettant l'attribution de la toile à Nicolas Poussin n'existait pour la venderesse lors de la vente intervenue le 2 mars 1986", a ordonné avant dire droit une expertise, laquelle a conclu le 24 mars 2000 qu'il en était certainement l'auteur, et que la valeur de l'oeuvre litigieuse se situait entre quarante-cinq et soixante millions de francs ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que MM. A... et les autres membres de la société liquidée font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2001) d'avoir prononcé la nullité de la vente sans préciser les éléments établissant que Mme X... avait fait du défaut d'authenticité du tableau une qualité substantielle l'ayant déterminée, méconnaissant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et privant sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du Code civil ;
Mais attendu qu'en rappelant le dispositif précité de sa décision du 27 février 1998, ainsi que les motifs par lesquels elle avait alors dit les termes du catalogue exclusifs de toute possibilité d'attribution au peintre puis souligné l'extrême modicité de l'estimation initiale du tableau comme de son prix de réserve, et en ajoutant que c'est précisément parce que Mme X... avait acquis la certitude que le tableau n'était pas de l'artiste qu'elle avait accepté de le laisser mettre en vente sous l'appellation "Atelier de Nicolas Poussin", la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen et la troisième branche du premier :
Attendu que les consorts A... font aussi grief à la cour d'appel, d'une part, de les avoir déboutés de leur action en responsabilité civile contre la SCP, sans rechercher si sa "déclaration mensongère" faite à Mme X..., par lettre du 29 janvier 1986 selon laquelle le tableau avait été montré à l'un des meilleurs spécialistes de la peinture française du XVIIe siècle sans être reconnu par lui comme une oeuvre du maître, ne constituait pas une faute contractuelle envers sa mandante, préjudiciable aussi à l'acheteur par la conviction erronée suscitée chez la venderesse qu'il ne pouvait être de Poussin et par l'annulation consécutive de la vente, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1382 du Code civil, et, d'autre part, d'avoir méconnu, en violation des articles 1110 et 1984 du même Code, que la faute du mandataire, génératrice de l'erreur de la mandante, ouvrait seulement à cette dernière une action en responsabilité à l'encontre du commissaire priseur, mais faisait par ailleurs obstacle au prononcé de la nullité de la vente ;
Mais attendu que la cour d'appel a vérifié, par référence aux données acquises au moment de la vente, l'exactitude des mentions du catalogue quant au sort supputé de l'original du tableau "La fuite en Egypte" ; qu'elle a ajouté que la non-réponse du spécialiste sollicité à une lettre de M. Z... accompagnée d'une photographie et d'une demande d'avis avait pu être interprétée par lui et par la SCP comme un désintérêt témoignant de la non attribution de la toile au maître, les confortant ainsi dans leur opinion épistolairement exprimée et dans leur résolution de la présenter comme une oeuvre d'atelier ; qu'elle a relevé qu'un nettoyage ou des mesures scientifiques ou radiographiques ou d'autres investigations encore n'auraient pas suffi à établir son authenticité par rapport à une copie d'époque ; que par ces constatations et appréciations souveraines, elle a légalement justifié sa décision de ne retenir aucun manquement de la SCP à ses obligations de prudence et diligence ; d'où il suit que le moyen manque en fait ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est subsidiairement reproché à l'arrêt, en violation des articles 1371 du Code civil et 695 du nouveau Code de procédure civile, de débouter les consorts A... de leur action en enrichissement sans cause dirigée contre Mme X..., alors que, condamnés aux entiers dépens, ils supportent la charge des expertises menées à partir d'analyses scientifiques entreprises à leur demande par les Laboratoires des Musées nationaux et qui ont abouti à la reconnaissance de l'authenticité du tableau ;
Mais attendu que l'enrichissement dont s'agit n'est pas dû au fait des consorts A... mais à l'initiative prise par Mme X... de faire prononcer la nullité de la vente ; d'où il suit qu'en ne dérogeant pas au principe de la condamnation de la partie perdante aux dépens posé par l'article 696 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt n'encourt pas le grief allégué ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de Mme X..., de M. Z..., de M. Le Taillanter, ès qualités et de la SCP Perrin-Royère-Lajeunesse ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille trois.