Vu la procédure suivante :
Le syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie (SDPPR74) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 7 août 2024 fixant les dispositions cadres applicables aux baux ruraux et aux conventions pluriannuelles de pâturages en Haute-Savoie et de l'arrêté du préfet du même jour portant fixation des valeurs locatives des terres, bâtiments agricoles et d'habitation en Haute-Savoie et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de procéder à la révision des minima et des maxima des loyers de fermage dans un délai de deux mois. Par une ordonnance n° 2408763, 2408761 du 11 décembre 2024, la juge des référés a suspendu l'exécution de ces deux arrêtés et enjoint au préfet de réexaminer les bases des minima et maxima des loyers de fermage applicables en Haute-Savoie, dans un délai de quatre mois.
Par un pourvoi enregistré le 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande du SDPPR74 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat du syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 avril 2025, présentée par le syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie ;
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie (SDPPR74) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 7 août 2024 fixant les dispositions cadres applicables aux baux ruraux et aux conventions pluriannuelles de pâturages en Haute-Savoie et de l'arrêté du préfet du même jour portant fixation des valeurs locatives des terres, bâtiments agricoles et d'habitation en Haute-Savoie et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de procéder à la révision des minima et des maxima des loyers de fermage dans un délai de deux mois. Par une ordonnance du 11 décembre 2024, la juge des référés a suspendu l'exécution de ces deux arrêtés sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative et enjoint au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer les bases des minima et maxima des loyers de fermage applicables en Haute-Savoie dans un délai de quatre mois. Le ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt se pourvoit en cassation contre cette décision.
Sur l'intervention de la Fédération nationale de la propriété privée rurale :
2. La Fédération nationale de la propriété privée rurale justifie d'un intérêt suffisant au maintien de l'ordonnance attaquée. Par suite, son intervention est recevable.
Sur le pourvoi du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et de la forêt :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.
5. Aux termes de l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime : " Le prix de chaque fermage (...) est constitué, d'une part, du loyer des bâtiments d'habitation et, d'autre part, du loyer des bâtiments d'exploitation des terres nues. / Le loyer des bâtiments d'habitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima qui sont arrêtés par l'autorité administrative sur la base de références calculées d'après des modalités définies par décret (...). / Le loyer des terres nues et des bâtiments d'exploitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l'autorité administrative (...). / L'autorité administrative détermine les maxima et les minima prévus aux alinéas ci-dessus sur proposition de commissions consultatives paritaires départementales. En cas de carence de ces commissions, l'autorité compétente procède elle-même à cette fixation. / Ces maxima et ces minima font l'objet d'un nouvel examen au plus tard tous les six ans. S'ils sont modifiés, le prix des baux en cours ne peut, sous réserve des dispositions figurant au premier alinéa de l'article L. 411-13, être révisé que lors du renouvellement ou, s'il s'agit d'un bail à long terme, en début de chaque nouvelle période de neuf ans. A défaut d'accord amiable, le tribunal paritaire des baux ruraux fixe le nouveau prix du bail (...) ". Aux termes de l'article R. 414-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 411-11, le préfet fixe, par arrêté publié au recueil des actes administratifs de la préfecture : / 1° Les maxima et minima des loyers des bâtiments d'habitation sont exprimés en monnaie et calculés par mètre carré de surface définie conformément aux dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Ces montants sont arrêtés par catégories en fonction de l'état d'entretien et de conservation des logements, de leur importance, de leur confort et de leur situation par rapport à l'exploitation ; ils tiennent compte des indicateurs publics ou privés mesurant les loyers pratiqués localement ; / 2° Les maxima et minima exprimés en monnaie des loyers représentant les valeurs locatives normales des bâtiments d'exploitation et des terres nues, éventuellement par régions naturelles agricoles (...) ".
6. Pour admettre que la condition d'urgence devait être regardée comme remplie, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble s'est fondée sur les conséquences financières des arrêtés litigieux pour les membres de l'association requérante et sur l'intérêt public qui s'attache au respect de sa précédente ordonnance de référé du 27 novembre 2023.
7. En premier lieu, aux termes de cette ordonnance du 27 novembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble avait ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté du 2 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Savoie avait actualisé les minima et maxima des loyers de fermage en tant qu'il se bornait à procéder à cette actualisation annuelle, qui est fonction de la variation d'indices de référence, sans procéder à leur révision résultant d'un nouvel examen tel que prévu à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime précité. Par suite, le ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt est fondé à soutenir qu'en se fondant sur l'intérêt public qui s'attache au respect de cette ordonnance alors que les arrêtés contestés ont précisément pour objet de procéder à une telle révision, la juge des référés a commis une erreur de droit.
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés que les conséquences financières des arrêtés contestés étaient évaluées par le syndicat requérant lui-même à un préjudice annuel d'environ un million d'euros pour ses 240 adhérents, soit un préjudice moyen de l'ordre de 4 000 euros. Le syndicat requérant ne produisait aucun élément individuel propre à démontrer que les arrêtés contestés auraient porté une atteinte grave à la situation financière de certains de ses membres. Dans ces conditions, et alors que la suspension de l'exécution des arrêtés attaqués avait, en tout état de cause, pour premier effet de rétablir la réglementation antérieure à toute révision et qu'au surplus, la révision des minima et maxima des loyers de fermage, qui n'a vocation à s'appliquer, aux termes de l'article L. 411-11 du code rural et de la pêche maritime que lors du renouvellement des baux ou, s'il s'agit d'un bail à long terme, en début de chaque nouvelle période de neuf ans, ne saurait avoir un effet immédiat, la juge des référés a dénaturé les pièces du dossier en estimant que les conséquences financières alléguées étaient de nature à caractériser la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de procédure administrative.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme satisfaite. Les effets indirects qu'auraient ces arrêtés en raison des situations de faible rentabilité du fermage qu'ils créent, tenant notamment, selon la Fédération nationale de la propriété privée rurale, à l'aggravation de la déprise agricole et de l'artificialisation et des sols et au manque d'investissement dans les exploitations agricoles sont à cet égard sans incidence.
12. Il résulte de ce qui précède que le syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie n'est pas fondé à demander la suspension de l'exécution des arrêtés du 7 août 2024 du préfet de la Haute-Savoie.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale de la propriété privée rurale est admise.
Article 2 : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 11 décembre 2024 est annulée.
Article 3 : Les demandes présentées par le syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie devant la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par le syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, au syndicat départemental de la propriété privée rurale de Haute-Savoie et à la Fédération nationale de la propriété privée rurale.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 avril 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras