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14/06/2021 | FRANCE | N°438431

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 14 juin 2021, 438431


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 avril 2014 par laquelle l'inspecteur du travail de la 3ème section de l'unité territoriale du Haut-Rhin a autorisé son licenciement par la société René Graf. Par un jugement n° 1403012 du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17NC01451 du 27 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de Mme A..., annulé ce jugement et la décision de l'inspecteur d

u travail du 11 avril 2014.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complément...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 avril 2014 par laquelle l'inspecteur du travail de la 3ème section de l'unité territoriale du Haut-Rhin a autorisé son licenciement par la société René Graf. Par un jugement n° 1403012 du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17NC01451 du 27 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de Mme A..., annulé ce jugement et la décision de l'inspecteur du travail du 11 avril 2014.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 10 février, 18 mai et 21 décembre 2020 et le 19 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société René Graf demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... D..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société René Graf et à la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la cession, au sein du groupe Stihlé Frères, le 9 décembre 2013, du fonds de commerce de la société Haller, ayant son siège à Vieux-Thann (Haut-Rhin), à la société René Graf, ayant son siège à Colmar (Haut-Rhin), les contrats de travail des salariés de la société Haller, dont celui de Mme A..., déléguée du personnel au sein de cette entreprise, ont été transférés à la société René Graf. Le 6 février 2014, la société René Graf a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme A... pour motif économique. Par décision du 11 avril 2014, l'inspecteur du travail de la 3ème unité territoriale du Haut-Rhin a autorisé ce licenciement. Par un jugement du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cette décision. La société René Graf se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, sur l'appel de Mme A..., annulé ce jugement et la décision de l'inspecteur du travail du 11 avril 2014.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". En application de ces dispositions, lorsqu'une entreprise cède tout ou partie de ses actifs dans des conditions de nature à caractériser le transfert d'une entité économique autonome, le salarié légalement investi de fonctions représentatives qui est en activité au sein de cette entité bénéficie du transfert de son contrat de travail.

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ". Lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié protégé d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique. Pour apprécier la réalité d'un tel motif économique, lorsque la demande d'autorisation de licenciement est présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le rachat de la société Haller par la société René Graf s'est accompagné de la fermeture concomitante du site de Vieux-Thann. Il résulte, en outre, des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nancy a relevé que la société René Graf, auprès de laquelle le contrat de travail de Mme A... avait été transféré de plein droit à compter du 9 décembre 2013 en application des dispositions citées au point 2, se bornait devant elle à faire état des seules difficultés économiques de la société Haller pour justifier du motif économique du licenciement de Mme A.... En en déduisant que ce motif n'était pas établi, faute de tout élément sur la situation économique de la société René Graf et des sociétés de son groupe relevant du même secteur d'activité, le chauffage sanitaire, et en écartant comme dépourvue d'incidence la circonstance que la société René Graf avait décidé de maintenir la fermeture du site de Vieux-Thann, annoncée par la société Haller au moment de son rachat, la cour administrative d'appel de Nancy n'a pas commis d'erreur de droit.

5. En second lieu, sont inopérants les moyens tirés d'un vice de forme et d'une insuffisance de motivation dès lors qu'ils sont présentés à raison d'une argumentation développée en appel en défense qui n'était pas constitutive d'un moyen de défense et était inopérante, ainsi que le moyen de dénaturation des pièces du dossier dès lors qu'il critique un motif surabondant de l'arrêt attaqué.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société René Graf doit être rejeté, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société René Graf une somme de 3 000 euros à verser à Mme A... au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société René Graf est rejeté.

Article 2 : La société René Graf versera à Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société René Graf et à Mme B... A....

Copie en sera adressée à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 438431
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-07-01-04-03 TRAVAIL ET EMPLOI. LICENCIEMENTS. AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS. CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION. LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE. - LICENCIEMENT FONDÉ SUR LE REFUS DU SALARIÉ D'ACCEPTER UNE MODIFICATION DE SON CONTRAT DE TRAVAIL (ART. 1233-3 DU CODE DU TRAVAIL) - EXISTENCE D'UN MOTIF ÉCONOMIQUE [RJ1] - APPRÉCIATION - CAS OÙ LA DEMANDE DE LICENCIEMENT EST FORMULÉE PAR UNE ENTREPRISE CESSIONNAIRE D'UNE ENTITÉ ÉCONOMIQUE AUTONOME ET CONCERNE UN SALARIÉ DONT LE CONTRAT DE TRAVAIL LUI A ÉTÉ TRANSFÉRÉ DE PLEIN DROIT - POSSIBILITÉ POUR CETTE ENTREPRISE D'INVOQUER LES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES DE L'ENTREPRISE CÉDANTE - ABSENCE.

66-07-01-04-03 Lorsque l'employeur sollicite, sur le fondement de l'article L. 1233-3 du code du travail, une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié protégé d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique. Pour apprécier la réalité d'un tel motif économique, lorsque la demande d'autorisation de licenciement est présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause.,,,Dans l'hypothèse où, à la suite de la cession par une entreprise de tout ou partie de ses actifs dans des conditions de nature à caractériser le transfert d'une entité économique autonome, une demande de licenciement pour ce motif est formulée par l'entreprise cessionnaire à l'endroit d'un salarié protégé dont le contrat de travail lui a été transféré de plein droit, en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, cette entreprise ne peut invoquer, pour justifier le motif économique du licenciement, que ses propres difficultés économiques ou celles de sociétés du groupe auquel elle appartient et relevant même secteur d'activité, et non les difficultés économiques de l'entreprise cédante.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 12 mars 2014, Mme Abaoui, n° 368282, T. p. 890.


Publications
Proposition de citation : CE, 14 jui. 2021, n° 438431
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Brouard-Gallet
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP ZRIBI, TEXIER ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:438431.20210614
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