Vu la procédure suivante :
M. A... D..., M. B... D... et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la réparation des préjudices ayant résulté pour eux de la contamination par voie transfusionnelle de M. A... D... par le virus de l'hépatite C. Par un jugement n° 1807907 du 28 septembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 20MA04346 du 22 septembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé contre ce jugement par MM. D....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 novembre 2022 et 23 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. D... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bardoul, avocat des consorts D... et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement devenu définitif du 1er avril 2004, le tribunal de grande instance de Marseille a retenu que la responsabilité de l'Etablissement français du sang (EFS) était engagée à l'égard de M. A... D... au titre de sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C et a mis à la charge de cet établissement l'indemnisation des frais médicaux, du préjudice spécifique de contamination et des souffrances de la victime ainsi que du préjudice moral de ses proches. M. D..., ayant présenté en 2008 un cancer du foie, à la suite duquel il a dû subir une greffe, et estimant que son état n'était pas encore consolidé, a, par un courrier du 8 décembre 2011, adressé à l'ONIAM une " demande provisionnelle " de réparation de l'aggravation de ses préjudices. Par une décision du 23 septembre 2013, l'ONIAM lui a adressé, sur le fondement de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, une offre de prise en charge de son seul déficit fonctionnel permanent à hauteur de 14 496 euros. M. D..., ayant refusé cette offre, a saisi le tribunal administratif de Marseille le 29 janvier 2016. Par un jugement devenu définitif du 19 février 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande comme tardive et, par suite, irrecevable. Par un courrier du 29 mai 2018, M. D... a saisi l'ONIAM d'une nouvelle demande de prise en charge à titre définitif de ses préjudices non réparés par le jugement du 1er avril 2004 du tribunal de grande instance de Marseille. Par un jugement du 28 septembre 2020, le tribunal administratif a rejeté la demande de M. D... et de ses fils tendant à leur indemnisation par l'ONIAM aux motifs que la décision implicite de rejet née du silence conservé par l'office sur la seconde demande de réparation devait être regardée comme confirmative de la décision du 23 septembre 2013 et qu'elle n'avait ainsi pu faire naître un nouveau délai de deux mois de nature à permettre à MM. D... de saisir le tribunal administratif d'une nouvelle action indemnitaire. M. D... et ses fils se sont pourvus en cassation contre l'arrêt du 22 septembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté leur appel dirigé contre ce jugement. A la suite du décès de M. A... D..., survenu le 24 janvier 2024, MM. C... D... et B... D..., ayants droit du défunt, ont déclaré reprendre l'instance en tant qu'elle avait été engagée par leur père.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Il ressort des pièces de la procédure que le moyen tiré de ce que la minute de l'arrêt attaqué rendu par la cour administrative d'appel de Marseille n'aurait pas été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, manque en fait.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
3. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.
4. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.
5. En revanche, si une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur.
6. Il n'est fait exception à ce qui est dit au point précédent que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. Dans ce cas, qu'il s'agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l'administration d'une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus.
7. En l'espèce, pour rejeter l'appel dont elle était saisie, la cour administrative d'appel a retenu, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation des pièces du dossier, d'une part qu'il était constant que la décision du 23 septembre 2013 par laquelle l'ONIAM avait proposé à M. D... la prise en charge de ses préjudices présentait un caractère définitif, d'autre part qu'il ne résultait d'aucun des éléments versés à l'instruction, et notamment pas du rapport déposé le 30 juin 2015 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que l'état de santé de M. D... aurait connu une aggravation depuis cette décision.
8. Par sa décision d'adresser le 23 septembre 2013 à M. D... une offre d'indemnisation d'un montant de 14 496 euros, l'ONIAM avait pris position sur la réparation définitive des préjudices alors subis par l'intéressé, en fixant notamment la " date de stabilisation de [son] état de santé au 17 janvier 2012 ", la part de ses séquelles imputables à la contamination et le taux de son " déficit fonctionnel permanent ". Cette décision valait refus de lui accorder, pour l'ensemble des dommages causés par sa contamination, une indemnité supérieure à 14 496 euros. Dès lors, la cour administrative d'appel a pu sans erreur de droit, et par un arrêt suffisamment motivé, déduire de ses constats que la décision de rejet implicite opposée par l'ONIAM à la nouvelle réclamation présentée le 29 mai 2018 par M. D..., laquelle avait trait au même fait générateur que sa demande du 8 décembre 2011 et se rapportait à des préjudices qui ne pouvaient être regardés comme s'étant aggravés depuis le 23 septembre 2013, constituait, alors même que M. D... avait présenté sa demande du 8 décembre 2011 à titre " provisionnel ", une décision purement confirmative de la décision antérieure de l'office.
9. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que les juges du fond n'auraient pas recherché si le préjudice de la victime ne s'était pas révélé dans toute son ampleur postérieurement à sa première réclamation, qui n'est pas d'ordre public, est nouveau en cassation et ne peut, par suite, être utilement invoqué à l'encontre de l'arrêt attaqué.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de MM. D... doit être rejeté, ainsi que, par suite, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par l'ONIAM.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de MM. D... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... D..., premier requérant dénommé, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales, à l'Etablissement français du sang et à la caisse primaire d'assurance maladie de Marseille.