LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 novembre 2024
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1060 F-B+R
Pourvoi n° X 22-22.855
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
Mme [C] [T], domiciliée [Adresse 1], [Localité 4], agissant en qualité de tutrice de Mme [Z] [T], a formé le pourvoi n° X 22-22.855 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) du Val d'Oise, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3],
2°/ au département du Val d'Oise, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Reveneau, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de Mme [T], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du département du Val d'Oise, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 octobre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Reveneau, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 septembre 2022), Mme [C] [T] (la tutrice), tutrice de sa fille majeure Mme [Z] [T] (la bénéficiaire), handicapée, a formé en cette qualité pour cette dernière, auprès de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du Val d'Oise (la CDAPH) une demande de prestation de compensation du handicap, accordée le 26 octobre 2016 au titre de l'aide humaine. Le 18 novembre 2016, le président du conseil départemental du Val d'Oise (le département) lui a notifié le versement d'une certaine somme mensuelle en qualité d'aidant familial pour la période du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2021 mais a rejeté la demande de la tutrice tendant à ce qu'elle soit salariée de sa fille en emploi direct.
2. La tutrice a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La tutrice fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de reconnaissance de la qualité de salariée de la bénéficiaire en emploi direct, alors « que la prestation de compensation du handicap peut être affectée à des charges liées à un besoin d'aides humaines y compris celles apportées par les aidants familiaux; que la prestation de compensation du handicap peut être employée, selon le choix de la personne handicapée, à rémunérer directement un salarié, notamment un membre de sa famille ; que la personne handicapée majeure peut salarier, notamment, un de ses obligés alimentaires au premier degré lorsque son état nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi-constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne ; qu'il s'agit là des deux seules conditions de l'emploi direct d'un obligé au premier degré ; que s'il est certain que lorsque le salarié est également le tuteur de la personne handicapée, le contrat de travail doit être conclu par le subrogé tuteur et homologué par le conseil de famille ou, à défaut, le juge des tutelles, la conclusion de ce contrat et son homologation ne doivent intervenir qu'après la décision d'attribution de la prestation de compensation du handicap, et ne constituent donc pas des conditions qui doivent être remplies à la date de la demande ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les deux seules conditions de l'emploi direct étaient remplies : « l'état de la majeure protégée nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi-constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne » ; qu'elle a toutefois considéré que les conditions de l'emploi direct de la tutrice par sa fille ne seraient pas remplies au prétexte qu'« au jour de l'audience, il n'est justifié d'aucun contrat de travail conclu par le subrogé tuteur, encore moins d'une homologation de ce contrat par le conseil de famille ou, en l'absence de conseil de famille, par le juge des tutelles, laquelle homologation ne pourrait, en toute hypothèse, revêtir un caractère rétroactif » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 245-3, L.245-12 (dans sa version issue de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, applicable en la cause), et D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 245-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, applicable au litige, la prestation de compensation est accordée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et servie par le département où le demandeur a son domicile. L'instruction de la demande comporte l'évaluation des besoins de compensation du demandeur et l'établissement d'un plan personnalisé de compensation réalisés par une équipe pluridisciplinaire.
5. Selon le 1° de l'article L. 245-3 du même code, la prestation de compensation peut être affectée, dans des conditions définies par décret, à des charges liées à un besoin d'aides humaines, y compris, le cas échéant, celles apportées par les aidants familiaux.
6. Selon l'article L. 245-12 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, applicable au litige, l'élément lié à un besoin d'aides humaines peut être employé, selon le choix de la personne handicapée, à rémunérer directement un ou plusieurs salariés, notamment un membre de la famille.
7. Selon, enfin, l'article D. 245-8 du même code, la personne handicapée peut utiliser les sommes attribuées au titre de l'élément lié à un besoin d'aide humaine de la prestation de compensation pour salarier un membre de sa famille autre que son conjoint, son concubin ou la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou autre qu'un obligé alimentaire du premier degré, à condition que ce dernier n'ait pas fait valoir ses droits à la retraite et qu'il ait cessé ou renoncé totalement ou partiellement à une activité professionnelle pour être employé par la personne handicapée. Toutefois, lorsque son état nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi-constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne, la personne handicapée majeure ou émancipée peut utiliser ces sommes pour salarier son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou un obligé alimentaire du premier degré. Dans le cas où le membre de la famille salarié par la personne handicapée est son tuteur, le contrat de travail est conclu par le subrogé tuteur ou, à défaut de subrogé tuteur, par un tuteur ad hoc nommé par le juge des tutelles. Le contrat de travail doit être homologué par le conseil de famille ou, en l'absence de conseil de famille, par le juge des tutelles. L'homologation du juge des tutelles est également requise si le juge a autorisé le majeur protégé à conclure lui-même le contrat de travail avec son tuteur ou lorsque le membre de la famille salarié par la personne handicapée est son curateur.
8. Il résulte de la combinaison de ces textes que le bénéfice de la prestation de compensation est soumis, d'une part, à des conditions d'ordre médical tenant à l'existence d'un handicap et à la reconnaissance d'un besoin de compensation faisant l'objet d'un examen par la CDAPH, laquelle décide de l'attribution de la prestation, d'autre part, à des conditions d'ordre administratif dont le contrôle ressortit à la compétence du département, qui en assure le paiement.
9. Les conditions d'utilisation des sommes attribuées pour l'emploi des aidants familiaux, telles celles résultant de l'article D. 245-8 précité, sont au nombre des conditions administratives d'ouverture du droit à la prestation qu'il appartient, dès lors, au département de vérifier.
10. L'arrêt constate que la décision contestée par la tutrice émane du département, et non de la CDAPH. Il relève que si le département a accepté la répartition des heures de compensation au titre de l'aide humaine accordée à la bénéficiaire à hauteur de 174 heures mensuelles en emploi direct et de 100,33 heures en aidant familial pour la période litigieuse, il s'est opposé à ce que la tutrice puisse être l'employée directe de sa fille. Il retient que si, par ordonnance en date du 8 juin 2022, un juge des tutelles a désigné un subrogé tuteur afin d'établir un contrat de travail régulier au profit de la tutrice de la bénéficiaire de la prestation de compensation, il n'est justifié, à la date de l'audience, d'aucun contrat de travail conclu par le subrogé tuteur, encore moins d'une homologation de ce contrat par le conseil de famille ou, en l'absence de conseil de famille, par le juge des tutelles.
11. De ces constatations et énonciations, faisant ressortir que le président du département, qui n'avait fait que vérifier, comme il lui incombait, si les conditions administratives pour procéder au versement de la prestation de compensation étaient réunies, la cour d'appel en a exactement déduit, que faute pour la tutrice de justifier d'un contrat de travail répondant aux règles protectrices du bénéficiaire de la prestation de compensation en matière d'emploi des aidants familiaux, la demande d'emploi direct de la tutrice ne pouvait être accueillie.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. La tutrice fait le même grief à l'arrêt, alors « que pour débouter la tutrice de sa demande en fixation des salaires, la cour d'appel s'est fondée sur la seule circonstance que les conditions de son emploi direct dans le cadre de la prestation de compensation du handicap ne seraient pas remplies ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen, en ce qu'elle reposera sur le constat qu'en réalité les deux seules conditions exigées étaient bien remplies, emportera donc, par voie de conséquence, la censure du chef de l'arrêt ayant rejeté la demande de fixation des salaires dus, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. Le rejet du premier moyen tendant à la cassation de l'arrêt en tant qu'il rejette la demande de la tutrice en reconnaissance de sa qualité de salariée de sa fille majeure handicapée en emploi direct, entraîne, par voie de conséquence, le rejet du second moyen, qui est dépourvu d'objet, tendant à la cassation du même arrêt en tant qu'il rejette la demande de la tutrice tendant à la fixation du montant de ses salaires dus par le département au titre de la part de la prestation de compensation destinée à financer cet emploi direct.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.