LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 novembre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1144 F-B
Pourvoi n° V 23-14.255
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 NOVEMBRE 2024
La société Groupama Paris Val-de-Loire, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 23-14.255 contre l'arrêt rendu le 2 février 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ à l'Agent judiciaire de l'État, domicilié [Adresse 4],
3°/ à la Caisse nationale militaire de sécurite sociale, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
L'Agent judiciaire de l'État a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, cinq moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de la société Groupama Paris Val-de-Loire, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [M], de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Agent judiciaire de l'État, après débats en l'audience publique du 16 octobre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 2023) et les productions, le 16 septembre 2013, alors qu'il circulait à motocyclette, M. [M] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel a été impliqué un véhicule automobile assuré par la société Groupama Paris Val-de-Loire (l'assureur).
2. Après que l'assureur a refusé de l'indemniser, M. [M] l'a assigné devant un tribunal de grande instance, en présence de l'Agent judiciaire de l'État (l'AJE), de la caisse nationale militaire de sécurité sociale et de la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret, à fin d'indemnisation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal de l'assureur
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à l'AJE la somme de 388 067,61 euros, au titre de son recours subrogatoire pour les dépenses de santé actuelles, versée à M. [M], en conséquence de son accident du 16 septembre 2013, incluant la somme de 5 292 euros au titre du forfait hospitalier, alors « que les personnes publiques sont admises à exercer un recours subrogatoire pour les seules prestations versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne énumérées au paragraphe II de l'article 1er de l'ordonnance 59-76 du 7 janvier 1959, au nombre desquelles ne figure pas le forfait hospitalier, qui correspond aux frais d'hébergement, de nourriture et d'entretien que la victime aurait dû normalement exposer pour répondre aux besoins de sa vie quotidienne, si l'accident ne s'était pas produit et si elle n'avait pas été hospitalisée ; qu'en allouant néanmoins la somme de 5 292 euros à l'AJE au titre de la prestation de forfait hospitalier, remboursée par celui-ci à M. [M], motif pris que le forfait hospitalier ouvrait droit au recours subrogatoire au profit de l'État, bien que cette prestation n'entre pas dans la liste limitative des prestations ouvrant droit au recours subrogatoire de l'État, la cour d'appel a violé les articles 29, 30 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :
5. Il résulte de ce texte que seules les prestations qu'il énumère, versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne, ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur, au nombre desquelles figurent les prestations énumérées au II de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'État et de certaines autres personnes publiques.
6. S'agissant des prestations visées à l'article 29, 2°, de la loi du 5 juillet 1985, seules celles expressément énumérées à l'article 1er, II, de l'ordonnance du 7 janvier 1959 alors en vigueur ouvrent droit à un recours subrogatoire.
7. Pour intégrer, dans l'assiette du recours subrogatoire exercé par l'AJE, l'indemnisation que ce dernier avait versée à la victime au titre du forfait hospitalier, l'arrêt énonce qu'il ressort de l'article 1er, I, de l'ordonnance du 7 janvier 1959 applicable à la date des faits que toutes les prestations, quelle que soit leur nature, dès lors qu'elles ont un lien direct avec le fait dommageable, versées par l'État au profit de l'un de ses agents, ouvrent droit à un recours subrogatoire.
8. Il ajoute que l'article 1er, II, de cette même ordonnance confirme le fait que toutes les prestations versées par l'État doivent être prises en compte, puisque ce texte fait précéder de l'adverbe « notamment » la liste des prestations qu'il énumère.
9. Il en déduit que le forfait hospitalier ouvre droit à un recours subrogatoire au profit de l'État.
10. En statuant ainsi, alors que le forfait hospitalier ne figure pas dans la liste des prestations énumérées à l'article 1er, II, de l'ordonnance du 7 janvier 1959, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. La cassation du chef de dispositif condamnant l'assureur à verser la somme de 388 067,61 euros au titre des dépenses de santé actuelles, provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire du jugement non déduites, avec les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2021, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'assureur aux dépens ainsi qu'au paiement, au profit de M. [M], d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
Mise hors de cause
12. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [M], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi, la cassation n'étant prononcée que sur le premier moyen du pourvoi qui concerne le seul AJE.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
13. Les moyens de l'assureur portant sur les chefs de dispositif concernant M. [M] étant rejetés, il convient d'accueillir la demande formée par ce dernier contre l'assureur sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident de l'Agent judiciaire de l'État, qui n'est qu'éventuel en cas de cassation sur les troisième ou quatrième moyens, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Groupama Paris Val-de-Loire à verser à l'Agent judiciaire de l'État la somme de 388 067,61 euros au titre des dépenses de santé actuelles, provisions et sommes versées, en vertu de l'exécution provisoire du jugement, non déduites, avec les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2021, l'arrêt rendu le 2 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Met hors de cause M. [M] ;
Condamne l'Agent judiciaire de l'État aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Groupama Paris Val-de-Loire à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du vingt-huit novembre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Cathala, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.