Vu la procédure suivante :
Mme C... F... D... E... a porté plainte contre M. B... A... devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Le conseil départemental de Haute-Savoie de l'ordre des médecins s'est associé à la plainte. Par une décision du 14 octobre 2016, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. A... la sanction du blâme.
Par une décision du 9 janvier 2019, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par M. A... contre cette décision et, sur appel de Mme D... E..., infligé à M. A... la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée d'un mois.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 février et 23 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la plainte de Mme D... E... ;
3°) de mettre à la charge de Mme D... E... et du conseil départemental de Haute-Savoie de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A... et à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de Mme D... E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... E... a porté plainte devant le conseil départemental de Haute-Savoie de l'ordre des médecins contre son ex-époux, M. A..., médecin radiologue. Par une délibération du 23 avril 2015, à laquelle a pris part le psychiatre de Mme D... E..., le conseil départemental a décidé de s'associer à cette plainte, qu'il a transmise à la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Par une décision du 14 octobre 2016, la chambre disciplinaire de première instance a, d'une part, rejeté comme irrecevable la plainte du conseil départemental, au motif que la participation du psychiatre de Mme D... E... à sa délibération, en méconnaissance du principe d'impartialité, entachait cette délibération d'irrégularité, d'autre part infligé à M. A... la sanction du blâme. Par une décision du 9 janvier 2019, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel de M. A... et, sur appel de Mme D... E..., a prononcé à l'encontre de M. A... l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée d'un mois. M. A... se pourvoit en cassation contre cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique : " Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d'au moins trois de ses membres. (...) / Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin (...) mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant. / (...) / En cas de carence du conseil départemental, l'auteur de la plainte peut demander au président du Conseil national de saisir la chambre disciplinaire de première instance compétente. Le président du Conseil national transmet la plainte dans le délai d'un mois ". Aux termes de l'article R. 4126-1 du même code : " L'action disciplinaire contre un médecin (...) ne peut être introduite devant la chambre disciplinaire de première instance que par l'une des personnes ou autorités suivantes : / 1° Le Conseil national ou le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction, agissant de leur propre initiative ou à la suite de plaintes, formées notamment par les patients, les organismes locaux d'assurance maladie obligatoires, les médecins-conseils chefs ou responsables du service du contrôle médical placé auprès d'une caisse ou d'un organisme de sécurité sociale, les associations de défense des droits des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de précarité, qu'ils transmettent, le cas échéant en s'y associant, dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 4123-2 (...) ". Ces dispositions confèrent à toute personne, lésée de manière suffisamment directe et certaine par le manquement d'un médecin à ses obligations déontologiques, la faculté d'introduire, par une plainte portée devant le conseil départemental de l'ordre et transmise par celui-ci au juge disciplinaire, une action disciplinaire à l'encontre de ce médecin, en cas d'échec de la conciliation organisée conformément aux dispositions de l'article L. 4123-2 du même code.
3. Il résulte des dispositions citées au point 2 qu'en s'associant à la plainte de Mme D... E..., qu'il était tenu de transmettre à la juridiction disciplinaire, le conseil départemental de Haute-Savoie de l'ordre des médecins a formé une plainte qui lui est propre. Par suite, l'irrégularité de la délibération par laquelle le conseil départemental a décidé de s'associer à cette plainte, sur laquelle il a, par ailleurs, émis un avis motivé, ne saurait avoir d'incidence sur la recevabilité de la plainte ainsi transmise. Dès lors, le moyen tiré de ce que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins aurait commis une erreur de droit en jugeant implicitement que la plainte de Mme D... E... était recevable ne peut qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 4127-32 du code de la santé publique : " Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents. " Selon l'article R. 4127-40 du même code, le médecin doit s'interdire, dans les investigations et interventions qu'il pratique comme dans les thérapeutiques qu'il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié. Enfin, aux termes de l'article R. 4127-70 du même code : " Tout médecin est, en principe habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose. "
5. D'une part, la chambre disciplinaire nationale a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que M. A... avait prescrit de la Ritaline à Mme D... E... sans examen cardiovasculaire préalable ni mise en place de mesure de suivi et qu'il n'était pas établi que l'intéressée aurait été atteinte de troubles de nature à justifier une telle prescription, ni qu'elle aurait précédemment bénéficié d'une prescription initiale effectuée par un praticien hospitalier. En en déduisant que M. A... avait manqué aux obligations lui incombant en vertu des articles R. 4127-32, R. 4127-40 et R. 4127-70 du code de la santé publique du fait de la prescription dans de telles conditions de ce médicament, alors qu'en vertu de l'autorisation de mise sur le marché la prescription initiale doit être effectuée par un médecin hospitalier spécialiste en neurologie, psychiatrie ou pédiatrie et que, s'agissant des adultes, il n'est indiqué que pour le traitement de la narcolepsie, la chambre disciplinaire nationale, dont la décision est suffisamment motivée, n' a pas commis d'erreur de droit.
6. D'autre part, la chambre nationale disciplinaire n'a pas dénaturé les pièces du dossier en relevant que M. A... avait également prescrit à Mme D... E... la prise de lithium sous la forme de la spécialité dénommée Téralithe, destinée au traitement des troubles bipolaires, sans que l'existence de troubles de cette nature n'ait été établie par la consultation préalable d'un psychiatre.
7. En troisième lieu, en infligeant à M. A... l'interdiction d'exercer la médecine pour une durée d'un mois, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'a pas prononcé une sanction hors de proportion avec les fautes retenues, eu égard à leur gravité et malgré leur ancienneté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A... doit être rejeté, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros à verser à Mme D... E..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : M. A... versera à Mme D... E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: La présente décision sera notifiée à M. A... et à Mme C... F... D... E....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins et au conseil départemental de Haute-Savoie de l'ordre des médecins.